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Opposer le droit des enfants à celui des parents : un débat simpliste

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Jean-Pierre Rosenczveig

Jean-Pierre Rosenczveig est ancien président du tribunal pour enfants de Bobigny

Crédit photo DR
TRIBUNE - Quelle place donner aux parents en protection de l’enfance ? La question peut paraître iconoclaste. Pourtant, elle se pose, la famille étant présentée comme un lieu de tous les dangers pour les enfants. Mais opposer le droit des enfants à celui des parents, c’est oublier que, dans la majorité des situations, ces derniers ont leur mot à dire.

« Notre dispositif de protection de l’enfance est accusé d’être trop familialiste en niant les droits des enfants, en les maintenant trop longtemps à domicile ou en facilitant leur retour quand ils ont été un temps éloignés. Cet affrontement entre familialistes et pro-droits des enfants ne date pas d’aujourd’hui. Ainsi, les porteurs de la loi du 12 mars 2016 se targuent d’avoir recentré la protection de l’enfance sur l’enfant. Quand la loi du 5 mars 2007 affichait dans un article L. 112-3 du CFAS que : “La protection de l’enfance a pour but de prévenir les difficultés auxquelles les parents peuvent être confrontés dans l’exercice de leurs responsabilités éducatives […]”, celle de 2016 affirme que “la protection de l’enfance vise à garantir la prise en compte des besoins fondamentaux de l’enfant, à soutenir son développement physique, affectif, intellectuel et social et à préserver sa santé, sa sécurité, sa moralité et son éducation, dans le respect de ses droits […].”

Dans cette même loi, des dispositions entendent rompre plus sûrement et plus rapidement le lien parent-enfant via la procédure de délaissement parental que le parquet peut engager si le juge des enfants ou les services sociaux le négligent, avec pour objectif un projet d’adoption. Quand le législateur de 2022 s’évertue à faire à juste titre une place pour les usagers, il crée formellement un collège “enfants et jeunes”, mais il refuse la mise en place d’un collège “parents”. La tendance tente de les faire passer à la trappe, estimant a priori qu’ils sont “irrécupérables”. Déjà l’appareil statistique les ignore. Il devient donc indispensable de rappeler certains éléments du cadre juridique pour identifier les vraies questions auxquelles notre dispositif se trouve confronté.

Les parents sont des “usagers”, des “acteurs”, des “bénéficiaires”, du dispositif de protection de l’enfance. Si 150 000 enfants sont actuellement accueillis physiquement par le secteur public ou habilité, autant demeurent au domicile familial avec un soutien éducatif, sans compter ceux – en nombre équivalent – qui bénéficient d’une aide financière ou matérielle, avec comme souci que les parents exercent leurs responsabilités dans l’intérêt même de leur enfant. La plupart de ces enfants accueillis ont des parents qui, certes, ne sont pas en situation de les héberger de manière pérenne et sécure, mais entretiennent généralement au moins mal des relations avec eux pour se comporter comme parents avec, en théorie, vocation à les reprendre totalement en charge. Nombre d’enfants retrouvent d’ailleurs leur domicile, avec ou sans accompagnement éducatif sur mandat administratif ou judiciaire.

Des droits fondamentaux

Seuls 3 000 enfants sur les 150 000 accueillis physiquement sont explicitement sans parents pour être pupilles de l’Etat. Or les parents de l’enfant accueilli conservent les attributs essentiels de l’autorité parentale compatibles avec cet accueil (code civil [C. civ.], art. 375-7). Tant que la justice ne les leur a pas retirés par une procédure spécifique, ils jouissent des droits fondamentaux liés aux responsabilités parentales, en matière d’orientation scolaire, de sortie du territoire ou des soins majeurs.

L’intervention judiciaire en protection de l’enfance s’inscrit dans une procédure que la loi qualifie d’“assistance éducative” au sein du chapitre “Autorité parentale” (C. civ., art. 375 et s.). Dans ces situations dites de “danger”, l’objectif fixé est bien non de rompre le lien parent-enfant mais de le restaurer pleinement avec une intervention judiciaire qui s’appuie sur du travail social et éducatif auprès des parents sinon des enfants.

Dans certaines circonstances bien circonscrites, comme la disparition des parents ou leur incapacité majeure à exercer leurs compétences, la désignation d’une personne physique ou morale susceptible d’exercer juridiquement des responsabilités parentales en déshérence présente une alternative. Peut-être n’y recourt-on pas suffisamment, mais ce n’est qu’à la marge ! Le cœur d’intervention de la protection administrative sur la base d’un contrat passé avec les parents ou de l’intervention judiciaire où le juge reçoit mission de la loi de recueillir l’adhésion des intéressés est bien d’étayer les parents dans l’exercice de leurs responsabilités, dans l’intérêt même de l’enfant, pour au final avoir vocation à s’estomper dans les meilleurs délais. C’est d’ailleurs ce qui dans la plupart du temps se produit.

C’est donc bien une erreur que de concevoir la protection de l’enfance sans et par-delà les parents. L’ordre de la loi est tout autre. On se doit d’associer les parents à la réponse sociale et judiciaire. Le législateur y appelle formellement en incitant l’aide sociale à l’enfance à élaborer un “projet pour l’enfant”, démarche instituée en 2007, réécrite en 2016. Les parents seront invités à le signer pour en donner acte, mais ils doivent contribuer à le faire leur en s’associant à son élaboration malgré leurs difficultés et en souscrivant de facto à certains engagements.

Les compétences parentales

Dès lors, le souci de mobiliser les compétences parentales doit être un ressort majeur de l’intervention éducative, quand il serait souvent très facile, mais contre-productif, de se substituer aux parents. Ainsi, si on identifie un besoin pour l’enfant, on peut certes en informer les parents, engager les démarches avec le corps médical pour prodiguer la réponse, mais il est essentiel dans toute la mesure du possible que les parents soient présents auprès de lui pendant tout ce parcours quand il eût été généralement plus aisé et moins chronophage de faire les choses sans eux et à leur place. Il en est de même pour l’orientation scolaire, la loi souhaitant que les parents soient fondamentalement partie prenante des décisions importantes concernant leur enfant.

De deux choses l’une : ou bien les parents ainsi étayés ou accompagnés exercent leurs responsabilités à l’échelle de leurs compétences, et petit à petit se mettent en situation de retrouver pleinement leur rôle ; ou bien ils font la démonstration de leur refus de s’investir et ils justifient non seulement le maintien de la séparation physique, mais éventuellement une séparation juridique, voire de sanctions pénales pour non-exercice de l’autorité parentale (code pénal, art. 227-17). Si on peut protéger au mieux des enfants de parents négligents, maltraitants ou toxiques en leur offrant un autre cadre de vie, aller jusqu’à leur permettre d’entrer juridiquement dans une autre famille par l’adoption, on n’empêchera pas que pour eux leurs parents restent leurs parents, avec un attrait et une place spéciale. D’où l’importance d’une évaluation au cas par cas de la réponse projetée. Par exemple, recourir à l’adoption simple plutôt que plénière quand l’enfant a la mémoire de ses parents. S’il suffisait de retirer un enfant de son milieu inadapté pour le faire adopter, cela se saurait depuis longtemps.

Entre risques et dérapages

Il devient urgent de revisiter ces fondamentaux pour quitter la logique de tension dans laquelle nous sommes à nouveau engagés depuis la loi de 2016. Cette nécessité s’impose d’autant plus que dans un proche avenir les conclusions de la Civiise (Commission indépendante sur l’inceste et les violences sexuelles faites aux enfants) sur l’ampleur et l’impact de l’inceste alimenteront qu’on le veuille ou pas une dénonciation des dangers de la famille. D’ores et déjà, les situations dans lesquelles la justice est saisie pour retirer de jeunes enfants à leurs parents se multiplient. On peut voir dans cette évolution récente une dégradation des conditions de vie des familles ; on peut aussi y trouver une défaillance des services sociaux de proximité ; on peut encore, et c’est là le plus grave, y voir une perversion dans la grille d’analyse de ces situations ou un dérapage dans le principe de précaution conduisant à mettre en cause d’une manière définitive les compétences parentales.

La régression majeure serait d’aller comme dans certains pays européens ou d’Amérique du Nord vers des démarches judiciaires, sinon purement administratives, de retraits plus ou moins définitifs d’enfants de leur milieu familial sans la garantie sur l’existence des justifications alléguées et surtout sans que soient développées ab initio les démarches sociales et éducatives pour permettre aux parents de mieux exercer leurs responsabilités et aux enfants de vivre parmi les leurs. Le débat sur la place des parents est ouvert. Plus que jamais il mérite de se nouer au quotidien sur le terrain et dans les instances de réflexion sur les politiques publiques à mener. Le premier des droits des enfants est de vivre en famille, dans la tradition de notre histoire sociale et de nos engagements internationaux. Il ne s’agit pas que d’un droit formel mais d’un droit réel pour tous. »

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