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PJJ : « Notre métier est celui de tous les paradoxes »

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Sophie Moreau

Éducatrice à la PJJ dans une unité éducative d’hébergement collectif (UEHC), Sophie Moreau est l’auteure de Œil pour œil, clan pour clan (éd. érès, 2020) et de Educ, un métier sur le fil du rasoir (id., 2022).

Crédit photo DR
Dans Educ, un métier sur le fil du rasoir, Sophie Moreau nous plonge dans un foyer de la protection judiciaire de la jeunesse où elle a exercé pendant quatre ans. A travers ce travail introspectif entrecoupé de scènes du quotidien, la jeune professionnelle partage ses difficultés et son attachement pour cette profession complexe.

Actualités sociales hebdomadaires - Écrire vous aide-t-il dans votre métier ?

Sophie Moreau : L’écriture est assez vitale dans mon quotidien. Je me pose beaucoup de questions et ressens le besoin de les mettre en mots. Je considère l’écriture comme une métaphore du travail éducatif, avec les mêmes efforts de collecte, d’observation et de mise en forme de ce qui peut paraître, dans un premier temps, chaotique. Quand on exerce dans un foyer, de nombreuses personnes se succèdent, les prises en charge ne vont pas toujours à leur terme, avec des jeunes parfois réorientés. Ecrire est une façon pour moi de matérialiser un phénomène un peu immatériel. Dans mon premier livre, un chapitre est intitulé « Turnover dose », parce que les jeunes changent tout le temps. Au début, c’était dur pour moi. Je me disais : « Je n’ai même pas eu le temps de dire au revoir à ce jeune, qu’est-ce qu’il va devenir ? » Ecrire me permet de fixer la rencontre sans la figer.

Vous utilisez l’expression « syndrome du professionnel secoué »…

Ces termes traduisent l’ambivalence et le tiraillement ressentis en tant que professionnelle de la PJJ. Une ambiguïté entre le cœur, l’affection, l’attachement qu’on a pour ces jeunes, mais aussi l’agacement de les voir toujours empêtrés dans les mêmes problèmes, réitérer les passages à l’acte, multiplier les gardes à vue, les incidents… On observe bien cette idée du balancement, le professionnel est« secoué » par un quotidien où il faut tenir bon face à des jeunes qui vont nous utiliser comme un potentiel support d’agressivité. Parce que si l’on ne tient pas et que, par exemple, on s’abandonne à les exclure du foyer, on ne fait que rejouer leur problématique. Il faut les aimer, chercher leur adhésion, mais eux n’ont pas choisi d’être là. Une sensation de vacuité nous envahit parfois aussi dans notre accompagnement. On peut se demander à quoi on sert. Ces jeunes sont à la fois traversés par un élan de vie et par une grande pulsion de mort. Les professionnels le constatent sans cesse. Les fugues sont récurrentes en foyer. Accompagner un jeune qui n’est pas là ou est régulièrement absent, c’est une autre façon de travailler. Cela montre la difficulté des mineurs à adhérer à une aide sous contrainte, à intégrer le cadre judiciaire. Les voir parcourus par ces mouvements est douloureux. Notre frustration naît de cette réalité. J’utilise d’ailleurs le terme « sinusoïdal » pour les définir, un peu comme sur un électrocardiogramme…

Pourquoi soulignez-vous l’importance de la créativité éducative ?

Je mets en lien cette idée de pari éducatif avec les stoïciens, qui nous invitent à distinguer ce qui dépend ou pas de nous, associée à cette sensation parfois de ne rien maîtriser. Si on ne contrôle pas réellement les situations, alors autant tenter des choses et voir ce qu’il advient. Je pars du postulat qu’il faut venir surprendre les jeunes, les étonner. Il ne faut pas hésiter à avoir des réponses un peu audacieuses, qui nous conduisent à être parfois dans une sorte de provocation. Quand, face à un jeune qui me dit : « Nique ta mère », je téléphone à ma mère, c’est un peu fou. Confrontée à une insulte, à un geste violent, j’ai deux possibilités : m’agacer ou montrer qu’une autre réaction est possible pour cesser l’escalade. C’est ce que de grands théoriciens ont appelé la « pédagogie du détour ». Selon moi, les travailleurs sociaux sont de grands créatifs. L’éducateur est un peu poète quand il se risque à ce type de propositions. Nous sommes soumis à de plus en plus de référentiels, de cadres légaux ou institutionnels. Les espaces de liberté passent par ces moments de réponses inattendues. Même si nous ne pouvons pas être uniquement là-dedans, au risque de perdre l’effet de surprise ou de passer à côté d’instants où il faut juste les reprendre de façon ferme. Cependant, j’ai vite compris qu’il fallait lâcher toute vision à long terme et se contenter d’échanges intéressants, de fous rires, de moments d’émotion partagée, se contenter de l’ici et maintenant. A la suite de l’appel à ma mère, nous avons ensuite pu discuter de ces sujets. Et j’ai trouvé magnifique que ce jeune m’ait rappelé régulièrement cet épisode les jours et les semaines suivantes. Je me suis dit : « Nous avons créé un souvenir ensemble. »

Entre proximité et juste distance, vous exposez les complexités de l’accompagnement en foyer…

Notre métier est vraiment celui de tous les paradoxes. C’est ce qui le rend palpitant. Il faut mener des jeunes vers l’autonomie, mais certains sont encore très jeunes, 13-14 ans, même s’ils revendiquent d’être traités comme « des grands ». On voit bien leur ambivalence. Nous voyons aussi qu’ils portent malheureusement toutes les défaillances de ceux qui étaient chargés de la mission d’éducation à la base, à savoir les parents. Nous sommes pris dans tous ces mouvements, en espérant que la rencontre éducative leur permettra un remaniement dans leur rapport à l’autre, tout en sachant qu’eux-mêmes se protègent beaucoup de ce lien. Dans l’un des chapitres, j’évoque le cas d’un jeune qui est toujours étonné quand on lui propose une sortie, qu’on lui adresse un regard plein de tendresse… Nous exerçons des métiers où l’équilibre est toujours un peu précaire. Nous devons toujours réfléchir à ce que nous faisons, comment et pourquoi nous agissons. L’éducateur est dans une double posture, à la fois dans la conduite du groupe et dans la méta-observation de ce qu’il effectue. C’est pour moi la spécificité du travail en hébergement, avec cette double notion d’action et de réflexion, à la fois sur soi et sur l’autre.

Les jeunes placés en foyer de la PJJ sont en majorité des garçons. Quel est votre positionnement en tant qu’éducatrice ?

Malheureusement, je rencontre trop souvent des jeunes collègues qui me disent qu’elles ne s’autorisent pas à porter certaines tenues. Pour ma part, je me suis toujours imposé une ligne de conduite en m’habillant comme je le souhaitais. Inviter quelqu’un à être lui-même, à se connaître, tout en se travestissant soi-même est un contresens fondamental. Même si j’ai pu être parfois victime de remarques ou d’insultes sexistes, tant pis, si cela peut les sensibiliser à ce qu’ils vont trouver à l’extérieur. Je pense nécessaire qu’ils aient accès à une représentativité de la société à l’intérieur du foyer car on a vite fait de considérer le foyer comme une bulle. C’est un peu un huis clos. Quand ces jeunes en sortent, ils vont voir des jeunes femmes, au lycée, dans le RER… Au niveau du langage, je suis également très soucieuse de les voir employer des mots justes. D’abord, parce que je les estime dignes d’utiliser ces mots, mais aussi pour qu’ils ne s’enferment pas dans des étiquettes sémantiques.

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