Actualités sociales hebdomadaires - Pourquoi insister, aujourd’hui, sur l’enjeu de la qualité éducative dans la petite enfance ?…
Brigitte Bonnafous : La culture du respect d’autrui est impérative, qu’il s’agisse des petits enfants en crèche ou des personnes âgées dépendantes. Cela nécessite d’accompagner les équipes avec un management adéquat. Or les crèches, en plus de la pénurie de personnel et du mal-être général, sont dans la « dictature de la pendule » : tout y est souvent organisé de manière très précise. Les heures des repas, des siestes ou des activités sont fixes, de même que les temps de nettoyage. Cela répond à des processus déjà actés ou à des habitudes installées qui contredisent le principe même du respect des rythmes de l’enfant, pourtant inscrit dans les projets pédagogiques. La recherche d’économies a pris le pas sur la quête de qualité éducative. La multiplication de nouvelles structures comme les microcrèches ou les maisons d’assistantes maternelles conduit surtout à réduire les coûts. Elles ne répondent pas à cet enjeu de qualité.
... Et sur l’importance du management pour progresser ?
Les directrices sont prises par le temps. En raison des règles de financement du secteur – la prestation de service unique versée est calculée sur la base des heures facturées aux familles et non plus sur un forfait –, leur principale préoccupation, le matin, est de savoir si tous les enfants seront présents et si la proportion de personnels diplômés disponibles répond à la réglementation. En cas d’absence de salariés, elles sont souvent dans l’obligation de déplacer les personnels comme des pions en fonction de leurs qualifications. En contradiction avec le principe du repère humain stable auprès des petits, un tel management n’est pas centré sur l’intérêt supérieur de l’enfant. Les contraintes des directions les empêchent de réfléchir à l’amélioration de la qualité éducative et de se montrer à l’écoute des salariés. Sur le terrain, le travail perd alors de son sens, aggravant le turn-over. On assiste parfois, dans les crèches, à la persistance de styles de management très verticaux, qui se caractérisent par l’absence d’autonomie. Les directrices sont concernées elles aussi. Dans ces structures, chacune se protège en survalorisant les tâches administratives qui, faute de responsabilité, se limitent à du secrétariat. Finalement, chacun s’abrite derrière des certitudes, des choses sécurisantes. Sans responsabilité reconnue, encouragée et valorisée, le management devient un mot creux, vide de sens, alors qu’il s’agit d’un outil clé pour surmonter les difficultés liées à l’insuffisance des moyens.
En quoi consiste le management participatif que vous prônez ?
Le management participatif propose de se montrer attentif à ses équipes pour trouver des leviers d’amélioration des conditions de travail et in fine, de qualité. Toute organisation du travail doit être adaptée à la situation, forcément différente d’une structure à l’autre, selon le nombre d’enfants accueillis. Aller chercher le sac de change avec l’enfant dans les bras dans l’entrée avant de l’accompagner dans la salle de bains, c’est possible dans une crèche de 15 enfants. Mais si l’agrément augmente le nombre d’enfants, il faut repenser l’organisation pour réduire les ports de charge qui vont poser des difficultés… Et pour cela, s’accorder des temps de réflexion avec les équipes, hors de la présence des enfants, s’avère indispensable. Ces temps de concertation réguliers ne sont pas prévus dans la réglementation. Il faut donc les dégager sur les plannings. Un quart d’heure de travail en moins sur le terrain équivaut à une heure en un mois. Attention, les 6 heures de supervision annuelles, aujourd’hui obligatoires, n’ont pas vocation à remplacer ces indispensables réunions d’équipe.
Que faut-il, ensuite, pour entraîner le changement ?
Il va falloir avancer doucement, car il n’est pas facile de changer les habitudes. Il faut aussi s’adapter au profil des équipes. On ne s’adresse pas de la même manière à une personne ayant 25 ans de maison qu’à une jeune diplômée. Plus globalement, il faut respecter ce que l’autre est capable d’entendre, valoriser ce qui est correct tout en faisant apparaître, en creux, ce qui l’est moins. Même si tout va mal, il faut pouvoir parler aussi de ce qui va bien. C’est ainsi que les personnes pourront s’exprimer. Réorganiser une salle de repas en séparant les tables collées les unes aux autres va sans doute compliquer le travail de ménage. En revanche, cela permettra de réduire considérablement le bruit, au bénéfice des enfants et de leurs éducatrices. Il faut poursuivre l’accompagnement de proximité pour évaluer la progression de ces changements et dresser un bilan. Certaines personnes en retrait pourraient finalement adhérer au projet en percevant les bénéfices qu’en tirent les autres membres du collectif. C’est pourquoi il faut y aller doucement, petit à petit, en lien avec le bien-être des professionnels. Et si cela ne fonctionne pas, ne pas entrer dans un rapport de force. Sans laisser tomber l’idée, il convient de passer à autre chose pour mieux revenir au problème en l’abordant sous un autre angle.
Quid du cas où les gestionnaires compliquent le travail des directrices ?
C’est là que les formations en management ont un rôle à jouer. Hélas, les formations initiales d’éducatrices de jeunes enfants et de puéricultrices ne prévoient pas de tels modules. Quant à la formation continue sur le sujet, elle vise l’administratif, le juridique et le positionnement entre la hiérarchie et les équipes. Les formations en communication, accessibles aux cadres comme aux non-cadres, peuvent alors être utiles. Il est aussi possible de s’auto-former. On trouve en ligne de nombreuses ressources consacrées au management. La supervision constitue enfin une autre manière de progresser sur ces enjeux, à condition qu’elle soit suivie hors du cadre de l’équipe. Cela se pratique notamment dans les crèches associatives, qui mutualisent des temps de supervision au service de leurs directrices.
Vous insistez également sur la nécessité d’avoir une expertise…
Sans expertise dans son domaine, une directrice ne peut peser face à un gestionnaire. Je suis toujours étonnée de constater la méconnaissance du cadre national d’accueil des jeunes enfants. Cadre pourtant passé dans la réglementation depuis septembre 2021 dans le but de faire évoluer, voire de reformuler les pratiques éducatives et d’accueil du jeune enfant. Maîtriser ce cadre est essentiel pour être en phase avec ce qui touche à la qualité de la prise en charge des tout-petits, mais aussi pour en transmettre les 10 principes aux équipes. Cela permet aussi de contester la décision d’un gestionnaire qui veut retirer un potager pour le remplacer par du gazon synthétique, en mettant en avant le principe d’accès à la nature inscrit dans le cadre national. La méconnaissance de la réglementation conduit les professionnels à appliquer des normes qui relèvent parfois du mythe ! Une majorité d’établissements imposent par exemple pour les promenades et autres sorties un ratio d’un adulte pour deux enfants alors qu’il n’existe aucun texte en ce sens.
Comment l’encadrement peut-il améliorer la qualité éducative ?
La plupart des gestionnaires recrutent des coordinatrices « petite enfance » pour intervenir sur les aspects administratifs et financiers. Les coordinatrices pédagogiques sont encore très rares. Pourtant ce poste permet de soutenir les directrices sur l’accompagnement des équipes mais aussi sur les pédagogies pour une éducation spécifique à la prime enfance. Une telle présence assure que les connaissances de base du métier, comme sur l’attachement de l’enfant par exemple, ne soient pas oubliées.