Oui, elles relient l’ordinateur à la télévision pour y projeter une vidéo pédagogique de l’ONG suisse Action Innocence. Et non, ces professionnelles du centre de PMI (protection maternelle et infantile) Pierre-Semard, à Saint-Denis, ne rejettent pas tous les écrans. A condition d’éviter les pratiques nuisibles aux interactions parent-enfant. Lorsqu’un téléphone brise les regards échangés pendant une tétée ou un biberon, que des notifications introduisent un appel au multitâche ou qu’un fond de télévision allumée multiplie les stimuli visuels et sonores…
Mis en scène dans la vidéo, ces exemples font partie de situations identifiées sur le terrain et discutées un vendredi matin sur deux dans la salle d’attente du lieu. « Nous nous retrouvions souvent devant des parents qui consultaient leur téléphone pendant la consultation », décrit Patricia Gutmann, secrétaire du centre, qui compte une file active de 900 familles. « Nous en parlions difficilement. C’était une préoccupation, sans vouloir culpabiliser ou interdire son usage », rebondit Brigitte Paugam, éducatrice de jeunes enfants. Initiés il y a quatre ans, ces rendez-vous bimensuels sont ouverts aux parents afin d’interroger des pratiques indissociables du quotidien. Une participation encore irrégulière : « La crise sanitaire a rendu plus difficile la venue des parents, et ce quartier comporte beaucoup de familles monoparentales », indique Marie-Claude Bossière, pédopsychiatre, qui a conçu cette « clinique contributive », associant également des chercheurs de l’Institut de recherche et d’innovation (IRI) présents sur le département pour un projet plus vaste.
Méthode des « quatre pas »
Pour elle, le déclic a été l’arrivée dans ses consultations en centre médico-psychologique d’enfants exclusivement intéressés par les écrans ou qui présentaient des difficultés motrices et une acquisition du langage différée. Face à elle, Hakima Yacouben l’écoute attentivement. Cette « maman ambassadrice » de Bobigny a passé la porte de la PMI il y a quelques années avec son aîné, aujourd’hui âgé de 8 ans. « J’étais habituée à lui donner mon téléphone pour qu’il regarde des comptines et des dessins animés sur YouTube. A son entrée en maternelle, il répondait peu et était souvent en retrait. » Passée une première phase d’interdiction, elle affirme aujourd’hui mieux maîtriser cet usage pour sa cadette. Depuis, elle évoque régulièrement son expérience auprès d’autres parents.
Un premier point de référence, la méthode des « quatre pas » : pas d’écrans le matin, avant de s’endormir, pendant les repas ou dans la chambre de l’enfant. « La problématique étant devenue plus grand public, je trouve que les parents sont de moins en moins sur la défensive lorsqu’on leur pose des questions », constate Danièle Le Roy, directrice, notamment lorsqu’elle se déplace à domicile. Autre sujet fréquemment abordé : l’influence des aînés dans la consommation des écrans. En plus d’un échange sur des cas particuliers, ces professionnelles ont également étudié des textes théoriques comme ceux de l’anthropologue américain Gregory Bateson ou du philosophe allemand Martin Heidegger. Cette démarche s’est également dupliquée à l’échelle de la mairie, où un groupe d’une quinzaine d’agents et de parents sont sensibilisés au travers d’une formation financée par un appel à projets de la Mildeca (Mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives). Quant à la PMI, l’équipe aimerait prolonger ce partage en incluant davantage l’étude des comportements des 3-6 ans, a fortiori lors de l’entrée en maternelle.