Recevoir la newsletter

Pologne : terre d’accueil des enfants placés ukrainiens

Article réservé aux abonnés

Crédit photo Karolina Jonderko
Près de 1 500 enfants placés ukrainiens ont été évacués vers la Pologne à l’aide de la fondation polonaise Happy Kids. A Lódz, plus de 50 mineurs habitent une maison d’enfants en partie désaffectée. Leurs éducatrices ukrainiennes, aussi installées sur place, s’efforcent de rétablir un semblant de normalité.

Deux garçons tapent dans un gros ballon. Ils ne jouent pas sur du gazon, mais entre des murs. Impassible, Halyna Yovyk traverse la longue pièce bordée de canapés qui leur sert de terrain de foot. D’un ton ferme, elle leur demande, en ukrainien, de ne pas se coincer les doigts dans les portes en les fermant. « Ici, je ne suis plus directrice, mais éducatrice », résume-t-elle. A Kovel, en Ukraine, à 65 km de la frontière polonaise, elle dirigeait l’équivalent d’une maison d’enfants à caractère social, qui comptait 47 enfants. Dès les premiers jours de l’invasion russe, une partie de son équipe et elle-même ont décidé de fuir. D’abord abrité chez un prêtre vivant près de la frontière polonaise, le groupe est arrivé à Lódz. Il ne comptait plus que 21 enfants, les autres ayant été pris en charge en Ukraine.

Dans cette ville de plus de 680 000 habitants située à quelque 140 km à l’ouest de Varsovie, tous se sont installés dans une « maison d’enfants », comme on les appelle en Pologne. D’une capacité d’une centaine de places, ce bâtiment servait à l’époque de logement pour des enfants placés polonais. L’évolution de la législation polonaise, qui limite la taille des maisons d’enfants, l’a rendu en partie obsolète. Aujourd’hui, ils ne sont plus qu’une poignée d’enfants placés polonais à occuper le deuxième étage. Le reste de l’immeuble est habité par trois groupes d’enfants ukrainiens et par le personnel éducatif qui s’en occupe.

Dès le début de la guerre, la fondation polonaise Happy Kids (qui gère en Pologne 17 villages d’enfants) s’est mobilisée pour organiser le transport et l’accueil de mineurs relevant de la protection de l’enfance ukrainienne dans divers centres d’accueil. Elle a pu faire évacuer près de 1 500 enfants vers la Pologne, en s’apppuyant sur des volontaires faisant des allers-retours jusqu’à la frontière. « Notre force est que nous sommes une petite structure, en capacité de prendre des décisions rapides », souligne Agnieszka Zych-Grzelak, coordinatrice de deux centres à Lódz, où sont accueillis ces enfants ukrainiens. La Fondation assiste actuellement 10 centres de tailles diverses sur tout le territoire, en coopération dans certains cas avec d’autres associations. Le rapatriement des enfants ukrainiens n’étant toujours pas au programme, ces endroits se transforment peu à peu en lieux d’hébergement permanent. Alors que chacun pensait que cette fuite serait provisoire, la guerre en Ukraine continue. Même dans la région occidentale de l’Ukraine, frontalière de la Biélorussie, beaucoup jugent la situation imprévisible.

Personnel hébergé sur place

Cela fait donc près de trois mois que Halyna Yovyk vit ici. « C’est difficile, mais nous sommes en lieu sûr », dit-elle. Elle nous accueille au rez-de-chaussée, dans une grande pièce où elle dort et qui lui sert aussi de bureau. Comme les chambres des enfants placés, cette pièce est remplie de lits individuels. Y dorment deux de ses collègues, leurs enfants ainsi que deux petits enfants placés. Mais aussi son propre petit-fils, qu’elle a emmené, son fils et sa fille, engagés à l’armée, étant restés en Ukraine. Divers documents administratifs relatifs à la prise en charge des enfants sont posés en vrac sur une petite table et sa banquette. La directrice se montre particulièrement vigilante quant au statut des enfants. Désignée par les autorités ukrainiennes comme leur responsable « temporaire » en Pologne, elle a veillé à ce qu’ils ne soient pas intégrés, sur le plan juridique, au système de protection de l’enfance polonais. Une souplesse qui doit permettre un rapatriement rapide, dans l’éventualité où un parent, par exemple, serait autorisé à récupérer son enfant.


Crédit photo :

Huit personnes se relaient désormais pour s’occuper des enfants du rez-de-chaussée. Contrairement aux plus de 7 ans, qui ont été scolarisés, les enfants de 3 à 6 ans ne sont pas allés à l’école maternelle, facultative et payante en Pologne. Il a donc fallu organiser leurs apprentissages sur place. Alors que les deux garçons continuent de faire du bruit en jouant au foot dans la pièce d’à côté, la directrice nous montre les différents supports éducatifs visant à stimuler les petits : des grains de riz colorés, des lettres en couleur aimantées, des crécelles… En ce mercredi après-midi du mois de juin, c’est quartier libre. Deux petits se coursent sur tout le rez-de-chaussée, des Crocs aux pieds. Les jeux s’étalent par terre, avant d’être ramassés par une femme ukrainienne. Dans une salle de loisirs, d’autres bambins ont lancé un clip de karaoké sur YouTube. Sur un air de musique techno, ils rebondissent à dada sur des gros ballons. Autour d’eux, le rebord des fenêtres est envahi de peluches. Autant de dons que l’on trouve dans tout l’immeuble, et qui aident à égayer un quotidien pesant.

Aux plus petits, Halyna Yovyk explique qu’ils sont ici « en vacances ». Les plus âgés, connectés aux smartphones, sont informés de la guerre. Alors qu’ils devaient être placés pendant neuf mois maximum, le temps passé loin de leurs familles restées en Ukraine s’allonge. Les services sociaux ukrainiens n’ont plus les moyens de vérifier si celles-ci sont de nouveau aptes à reprendre leur garde. Recrutée par la fondation en Pologne, la jeune psychologue Tetiana Fomenko vient prêter main-forte au sein de l’établissement. Elle en profite pour organiser avec les enfants des ateliers d’éducation à la sexualité et à la vie affective. Dans ce contexte difficile, sa priorité est aussi de les aider à « gérer leurs émotions ». « Les enfants ont perdu le seul élément de stabilité qui leur restait, le pays d’où ils viennent », remarque-t-elle. Point de hasard si des drapeaux ukrainiens décorent ici les murs ou que des ballons de baudruche jaune et bleu sont distribués aux petits. L’ensemble du personnel éducatif, lui aussi de nationalité ukrainienne, est rémunéré par la ville de Lódz. La cuisinière, elle, est polonaise.

Pas de temps libre

Au premier étage, c’est une autre institution ukrainienne qui s’est installée, à la fois institut médico-éducatif et maison d’enfants. Sa directrice adjointe, Valentyna Cheliada, la dirige. Au quotidien, elle est devenue multitâche. En plus de piloter les activités des enfants et d’organiser le travail du personnel sur place, elle s’implique elle aussi dans le quotidien des enfants. A Holovne, petite ville également située à l’ouest de l’Ukraine, son établissement – qui abrite aujourd’hui des personnes déplacées à cause de la guerre – comptait 148 enfants. Tandis que la plupart d’entre eux ont été repris par leurs parents, 20 orphelins âgés de 8 à 17 ans et en situation de handicap intellectuel plus ou moins lourds (en particulier autisme et syndrome de Down) ont été évacués ici. « Il y a beaucoup d’enfants, ce n’est pas facile », admet-elle, nous accueillant à la cuisine du premier étage. Valentyna Cheliada est arrivée ici en avril, un mois après les enfants. Orthophoniste et enseignante spécialisée de métier, la possibilité de s’installer ici avec ses deux filles l’a convaincue de venir. Si la scolarisation dans des institutions spécialisées polonaises est désormais programmée pour septembre, il a fallu dans un premier temps s’organiser sans elles. La directrice recevait des instructions de son établissement en Ukraine pour faire la classe ici, via l’application Viber sur son téléphone, faute d’une bonne connexion Internet qui aurait permis des visioconférences. Avec d’autres collègues, elle est venue prendre le relais d’une équipe de quatre personnes, rentrée en majorité en Ukraine.


Crédit photo :

Car les premiers temps ici ont été durs pour le personnel. De cette première équipe, seule Olha Lischuk, 33 ans, a tenu la distance. Elle habite sur place avec son mari – qui travaille aussi à ses côtés – et ses deux enfants, de 4 et 9 ans. Au début, elle et trois collègues s’occupaient des 20 enfants, sans réelle interruption. « Je n’avais pas de temps libre. C’était très difficile. Même aller dans la salle de bains était compliqué, car il fallait sans cesse surveiller les enfants. On a alerté pour dire que la situation était difficile ici, qu’il fallait que d’autres prennent le relais », raconte l’institutrice qui, comme les autres, s’est muée pour l’heure en éducatrice. Depuis, une dizaine de personnes composent l’équipe. Avec, parmi elles, les enfants majeurs de certaines éducatrices, eux-mêmes recrutés par la municipalité pour les épauler. Tous se relaient, le jour ou la nuit, sur des plages de douze heures. « On ne peut pas les laisser, détaille Valentyna Cheliada. Ils ont besoin d’aide pour ranger leurs affaires. Il faut les surveiller à chaque instant. Un garçon, épileptique, doit recevoir beaucoup de traitements pendant la journée. Et la nuit, il fait des crises », explique-t-elle. En pratique, il est difficile de prendre du temps pour soi lorsqu’on vit dans ce contexte. « Quand on veut partir prendre l’air deux heures en ville, les enfants nous disent : “Ne nous laissez pas !” »

Des ados qui fuguent

Si le quotidien de la directrice, chamboulé, est devenu particulièrement intense, elle perçoit aussi un peu de positif. Là où elle supervisait une grande structure, le groupe à gérer ici est beaucoup plus restreint. « Je peux leur accorder davantage d’attention qu’en Ukraine. On joue tous les rôles auprès d’eux : enseignant, éducateur, maman, papa, médecin. » De ce point de vue, c’est « un peu mieux ». Pour Olha, c’est l’occasion de promouvoir de nouvelles expériences. « Chaque jour, on emmène les enfants en ville, pour voir à quoi elle ressemble. Chez nous, c’est la campagne, il n’y a pas de tramway, juste un autobus. Les magasins sont tout petits chez nous, alors qu’ici il y a des grands supermarchés. On montre aux enfants comment cela fonctionne », confie-t-elle. Tous les enfants ont bénéficié d’une visite chez le dentiste. « Ils nous ont donné à manger, des vêtements, des produits d’hygiène. Dès qu’on a besoin de quelque chose, les coordinateurs de la maison d’enfants nous aident », ajoute-t-elle. Le quotidien des enfants s’avère particulièrement rempli. « Hier, on a organisé un atelier pizza, c’était très bien. Nous sommes aussi allés à Varsovie pour participer à des matchs de foot », ajoute Olha. Des détails qui comptent, car, ainsi, « les enfants pensent moins à ce qui se passe à la maison ». Il n’empêche qu’Agnieszka Zych-Grzelak veut mieux faire. Si le suivi médical, psychologique et orthophonique est bien assuré, elle cherche désormais à procurer aux enfants ayant les plus forts troubles de la parole des tablettes permettant de communiquer par le biais de pictogrammes.

La situation des enfants ukrainiens présents en Pologne préoccupe aussi la coordinatrice. Dans d’autres centres d’accueil, le nombre d’enfants hébergés peut être plus élevé. On en compte jusqu’à 500 à Ossa, un village à 75 km de Varsovie. L’Etat ukrainien aurait décidé de maintenir le statu quo pour ne pas disséminer les enfants sur tout le territoire. Dans une autre partie du bâtiment, un troisième groupe de 10 adolescents ukrainiens a justement emménagé, une semaine plus tôt, dans une autre partie du bâtiment, accompagné de deux éducateurs et d’une éducatrice. En provenance de Houliaïpole, près de Zaporijia, ils s’étaient installés, début mars, dans un centre de loisirs de Moryn, petite ville polonaise proche de la frontière allemande. Là-bas, ils étaient 106, tandis qu’ici ils ne sont plus que 10. « Nous sommes venus avec les enfants les plus difficiles. On avait un problème car, là-bas, ils fuguaient », explique Vitalii Borulko, l’un des encadrants. Tandis que leur séjour à Lódz, devait être temporaire afin de ne pas perturber les deux autres groupes de jeunes enfants, ils ont finalement décidé de rester. Quatre autres ados viennent de les rejoindre, au calme.

Reportage

Protection de l'enfance

S'abonner
Div qui contient le message d'alerte
Se connecter

Identifiez-vous

Champ obligatoire Mot de passe obligatoire
Mot de passe oublié

Vous êtes abonné, mais vous n'avez pas vos identifiants pour le site ?

Contactez le service client 01.40.05.23.15

par mail

Recruteurs

Rendez-vous sur votre espace recruteur.

Espace recruteur