« Les filles qui veulent bosser, se faire de l’argent le plus rapidement possible, venez en privé dès maintenant. » Sur les réseaux sociaux ou par téléphone, ce genre de message circule librement. De l’autre côté de l’écran, des mineures qui voient dans ce qu’elles appellent « bons plans » ou « michetonnage », l’occasion de s’émanciper. C’est là toute l’ambivalence d’une prostitution qui ne dit pas son nom. « Il y a quelque chose de très poreux dans la façon dont sont présentées les choses qui rend la prostitution invisible. D’autant que ces adolescents se reconnaissent rarement comme victimes », décrit Léa Messina, référente du dispositif « Mineurs en situation de prostitution » et chargée de projet à l’Association territoriale pour l’emploi et les compétences de Nantes métropole (ATDEC), qui le pilote. Depuis qu’elle sévit sur les réseaux sociaux, la prostitution des mineurs est pourtant massive.
Pour y faire face, neuf associations et institutions de Loire-Atlantique(1), dont le département, ont donc lancé en septembre dernier une ligne d’écoute et d’alerte. Dès lors, le 06 03 68 39 50 sonne entre 10 et 30 fois par semaine et les appels proviennent essentiellement de professionnels démunis. « Nous sommes interpelés, par exemple, pour des mineurs qui “découchent” ou fuguent de plus en plus, avec un comportement désinhibé inadapté. Des signaux faibles qui génèrent des inquiétudes, même si, à ce moment-là, la prostitution n’est pas forcément avérée », poursuit la référente. A chaque fois, elle prévient la CRIP (cellule de recueil des informations préoccupantes du département) et, en cas de danger imminent, fait un signalement au parquet (99 % des cas). Dans la foulée, une réunion flash des partenaires est organisée. Objectif ? Proposer un suivi personnalisé et pluridisciplinaire, indispensable vu la complexité des situations. Voilà en effet la force de ce dispositif : fédérer des acteurs qui, grâce à leurs compétences spécifiques, pourront nourrir la prise en charge. « Il faut pouvoir intervenir sur la santé, le volet juridique, offrir un soutien psychologique, social, agir sur les addictions… Tout cela pour permettre une reprise d’autonomie et éviter la récidive qui est énorme », observe Léa Messina.
Des filles entre 13 et 16 ans
Le rôle de la coordinatrice est d’autant plus crucial que La réactivité est le maître-mot. Il s’agit de mobiliser, en 48 à 72 heures, l’ensemble des partenaires, la justice et la protection de l’enfance. « Même si on est rarement le premier interlocuteur, on tient à participer, ne serait-ce que pour aider s’il faut faire le lien avec le parquet des mineurs », détaille Camille Dormegnies, directrice de France Victimes 44.
Actuellement, le dispositif accompagne une vingtaine de mineurs, essentiellement des jeunes filles de 13 à 16 ans, suivies par l’ASE. Beaucoup ont subi des violences physiques, psychologiques, sexuelles dans leur enfance. Si l’arrêt de la prostitution n’est pas une condition, l’adhésion est essentielle. Pour cela, la sensibilisation et la formation des professionnels sont nécessaires. « On donne du vocabulaire pour présenter les choses. On peut aussi conseiller des séjours de rupture en dehors du département ou des rendez-vous dans des lieux tiers, mais à aucun moment, on ne se positionne en tant que sachants », prévient Léa Messina. A ce jour, une cinquantaine de professionnels sont formés. « Il en faudrait plus, estime la référente. Si on veut éviter que ces pratiques ne s’ancrent dans le temps. »
(1) Maison des adolescents de Loire-Atlantique, France Victimes 44, Planning familial 44, Oppelia – Le Triangle, Nosig, Paloma et SOS Inceste.