Plusieurs dispositions visent à combattre l’abandon et l’isolement dont trop d’enfants souffrent dans le cadre même de leur prise en charge. Ils dénoncent souvent une démarche trop administrative, et ont parfois le sentiment d’être de trop.
Condamner l’accueil hôtelier
On a mis en avant la condamnation du recours à l’hébergement hôtelier, devenu une facilité dans la dernière période, sans garantir un réel suivi éducatif. Combien a-t-on vu de ces enfants réclamer leur scolarisation et l’appui d’un éducateur ? Un hôtel n’est pas une structure sociale de la protection de l’enfance répondant aux critères réglementaires. Les départements n’étant pas en situation de disposer à bref délai des structures nécessaires, ce type de pratique est condamné à échéance de deux ans. Tout au plus tolérera-t-on, à titre exceptionnel, une mise à l’abri sur deux mois (CASF, art. L. 221-2-3). De fait, n’est pas contestable l’instrument en soi, mais son mauvais usage. Le recours à l’hôtel peut être une manière d’“exfiltrer” provisoirement un jeune qui, par son comportement, met en danger l’institution sociale. On aurait dû exiger que tout enfant accueilli hors de chez lui fasse l’objet d’un accompagnement social et éducatif.
Mobiliser la famille
Il est des cas où l’éloignement de l’enfant d’un milieu pathogène et dangereux reste indispensable. Or le départ du domicile est une violence, a fortiori si le point de chute est inconnu, voire éloigné. Un accueil de proximité respectant les repères de l’enfant peut amortir cette brutalité. L’obligation faite au juge d’examiner l’hypothèse d’une mobilisation de la famille élargie ou de proches avant toute orientation, et avant d’aller vers une réponse institutionnelle, est donc une disposition majeure. Au passage, on réaffirme le souci de ne pas séparer les fratries. La loi s’inscrit ici dans les orientations de la Convention internationale des droits de l’enfant du 20 novembre 1989, qui prône la protection de substitution. On doit en attendre une baisse du nombre d’enfants institutionnalisés. Car l’aide sociale à l’enfance (ASE) ne se résume pas à des enfants “placés” que l’on déplace comme des objets.
Des familles d’accueil
Si l’on aura toujours besoin d’institutions en nombre et en qualité, disponibles à toute heure du jour et de la nuit, 365 jours par an, sur l’ensemble du territoire pour accueillir les enfants contraints de quitter leur domicile, la loi a le souci que des assistants familiaux soient mobilisables en urgence 24 heures sur 24. Encore faut-il que l’administration sociale, directement ou via le secteur associatif, puisse disposer d’un vivier de familles d’accueil. D’où les efforts pour arrêter l’hémorragie des assistants familiaux et en recruter de nouveaux en améliorant leur statut et en leur faisant une vraie place dans l’équipe sociale.
Un tiers référent
Toujours pour lutter contre l’abandon réel ou ressenti des jeunes accueillis, on veillera à ce qu’ils soient accompagnés ou assistés durant leur parcours d’un tiers digne de confiance (voir ce numéro, page 6), d’un parrain et/ou d’un mentor (CASF, art. L. 222-16). Un tiers référent extérieur sera nommé dans chaque institution pour être un recours en cas de violence. Le juge pour enfants pourra – et non pas “devra”, comme certains le souhaitaient – faire désigner un avocat au bénéfice de l’enfant même s’il ne le demande pas de son propre chef ou à la demande de l’ASE, ou un administrateur ad hoc chargé de le représenter.
Le juge pourra faire appel à la collégialité – avec des juges pas nécessairement spécialisés ! – dans des affaires délicates (CASF, art. L. 252-6). Cela suppose qu’il y ait plusieurs juges disponibles dans la juridiction, ce qui n’est pas le cas actuellement.
Le suivi des sortants et des jeunes majeurs
Pour répondre à un des points de faiblesse majeurs du dispositif actuel, mis en exergue avec vigueur par les anciens enfants placés, l’ASE aura l’obligation de proposer un accompagnement au jeune sortant, majeur ou non, libre à lui de refuser (CASF, art. L. 222-5) et de faire un bilan avec lui six mois après sa sortie. On saluera le fait de maintenir sous forme légale la disposition de 1975 qui veut qu’un jeune puisse demander de l’aide à l’ASE sans pour autant avoir été suivi par elle. Au nom de la solidarité nationale, l’Etat s’engage à assumer, en totalité ou en partie, le surcoût de cette mobilisation pour les jeunes majeurs. Ces derniers se verront systématiquement proposés la couverture de l’article L. 5131-6 du code du travail. On peut regretter la référence à l’âge de 21 ans, alors que ce seuil n’a plus aucun sens sociologique aujourd’hui.
Un effort pour mieux protéger (sic) les MNA
Le législateur consacre le fichier national d’appui à l’évaluation de la minorité des personnes se déclarant non accompagnées, en conséquence mineures, que certains départements refusent toujours d’alimenter pour ne pas voir ses données utilisées à des fins de gestion des flux migratoires plus que de protection de l’enfance. Ainsi, les départements qui ne joueront pas le jeu ne seront pas remboursés par l’Etat de leurs frais d’évaluation. On se réjouira du fait que, quoi qu’il en soit de l’identité réelle d’un jeune alléguant sa minorité, on commencera par le mettre à l’abri (CASF, art. L. 221-2-4). Il reste à voir comment l’obligation posée par la loi sera sanctionnée en cas de refus.
On s’inquiétera en revanche de ce que le législateur ait pu écrire que le président du conseil départemental “statue sur la minorité” (CASF, art. L. 221-2-4), quand cette compétence revient à l’Etat, spécialement à l’autorité judiciaire, en vertu des articles 34 et 37 de la Constitution. On attendra avec impatience la position du Conseil constitutionnel sur ce point. Plus loin, il pose pour règle que le département doit respecter la décision judiciaire de la minorité de la personne, quitte à demander une expertise.
Mieux piloter la politique de l’enfance
La loi ne revient pas sur la démarche décentralisatrice de 1982 – dont acte ! – et on est loin de modifier la gouvernance comme annoncé, mais elle a le souci que l’Etat exerce enfin ses responsabilités en sachant que, entre-temps, il a perdu son administration locale (CASF, art. L. 121-10). Il doit se concerter avec les collectivités territoriales sur sa politique et promouvoir une coopération entre acteurs publics et associatifs afin qu’ils puissent bénéficier de contrats pluriannuels d’objectifs et de moyens (CASF, art. L. 313-12-4). Encore faudrait-il que l’Etat retrouve une légitimité aux yeux de ceux qu’il entend animer en assumant déjà ses propres services. Avec la stratégie nationale pour l’enfance, il a envoyé des signaux dans ce sens depuis trois ans ; il confirme ici qu’en demandant de s’occuper des jeunes majeurs il déclare devoir en assumer le coût. Pour autant, il a du retard à combler : service social scolaire, service de santé scolaire, psychiatrie infantile, etc. sont exsangues !
Un groupement d’intérêt public (GIP) “protection de l’enfance”, cogéré par l’Etat et les départements mais piloté par un président de conseil départemental, viendra en appui aux pouvoirs publics et au secteur associatif dans l’exercice de leurs responsabilités. Il fournira à tous les organismes qui y sont intégrés (Onpe, Snated, AFA, CNA, Cnaop), l’intendance dont ils ont besoin pour leurs missions. Usine à gaz ou valeur ajoutée ?
Injustement critiqué, le Conseil national de la protection de l’enfance (CNPE), instauré par la loi de 2016 avec le souci de nouer un échange entre Etat, représentants des collectivités territoriales, grandes associations gestionnaires, représentants des professionnels et structures de recherche et de formation, sauve sa peau. Avec une voilure réduite : son secrétariat sera assuré par le GIP. Mais qui le présidera et garantira son indépendance ?
Quand tous les départements ne sont toujours pas dotés d’un observatoire recueillant les données, un comité départemental pour la protection de l’enfance, copiloté par chaque département et l’Etat, sera expérimenté sur la base du volontariat pour dégager une politique territoriale coordonnée, voire pour gérer des situations individuelles délicates.
La voix des enfants, suivis ou anciens suivis, sera explicitement présente au sein du CNPE. Le dispositif y gagnera. Les parents ont été oubliés, alors même que ceux-ci jouent un rôle majeur dans la protection de l’enfance. Dans la même veine, la loi facilite encore davantage le transfert à l’administration sociale de l’exercice des attributs de l’autorité parentale, au risque d’introduire une confusion avec la délégation d’autorité parentale ou la tutelle relevant du juge aux affaires familiales (JAF), même si quelques précautions ont été introduites.
En conclusion, sans être une “grande” loi au regard de l’histoire de l’action sociale, des avancées sont relevées, mais aussi des interrogations. »