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Entretien : « Les militants pour les droits des pères sont masculinistes »

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Docteur en sociologie, Edouard Leport est l’auteur du livre Les papas en danger ? (éd. Maison des sciences de l’homme, 2022)

Crédit photo DR
Spécialiste des mouvements de défense des droits des pères tels que SOS Papa, Edouard Leport démontre, à rebours des clichés, que ces hommes ne sont en rien victimes de discrimination face à la justice. Loin d’être des militants de l’égalité parentale, ils défendent le plus souvent une idéologie masculiniste.

Actualités sociales hebdomadaires - Vous récusez l’idée selon laquelle les femmes obtiendraient plus facilement la résidence principale des enfants. Pourquoi ?

Edouard Leport : Dans 80 % des cas environ, la résidence principale est fixée chez la mère. C’est un fait que les associations de défense des droits des pères mettent en avant pour dénoncer une discrimination à leur égard. Sauf que les causes de ce déséquilibre sont tout autres : elles résultent d’un accord des parents. Les cas dans lesquels un père demande la résidence alternée et ne l’obtient pas représentent seulement 2,5 % des affaires de divorce et de séparation. Et, bien souvent, des éléments justifient de ne pas accorder la résidence alternée. C’est aussi ce que montrent mes observations, même si elles n’ont pas valeur statistique : parmi les 24 pères que j’ai rencontrés, un tiers sont accusés de violences intrafamiliales. La justice ne favorise donc pas les femmes. C’est même l’inverse : en 2013, dans l’ouvrage Au tribunal des couples, le Collectif Onze concluait que le droit et la pratique judiciaire étaient favorables aux pères : la justice leur accorde une attention pour préserver leur place auprès des enfants.

Quelles sont les revendications de ces mouvements ?

Ils portent trois demandes principales : la résidence alternée, automatique ou par défaut ; des sanctions plus fortes en cas de non-représentation d’un enfant ; et la pénalisation de l’éloignement géographique volontaire, notion inventée par ces mouvements pour décrire les situations dans lesquelles la mère déménage loin du père. Les associations ne mettent pas en avant les questions financières. Dire que les femmes divorcent pour vivre aux crochets de leur ex-conjoint suscite peu d’empathie. Mais ce sont des sujets évoqués au sein des associations, qui donnent des conseils pour diminuer le montant des pensions alimentaires, défiscaliser, voire se déclarer insolvable – ce qui est illégal. La sociologue Aurélie Fillod-Chabaud a travaillé sur l’enjeu de la reproduction sociale, au sein de SOS Papa à Paris. Elle démontre combien la transmission du capital économique et culturel aux enfants est un enjeu important pour les pères. Beaucoup expriment alors des reproches, soupçonnent les mères d’enrichissement, de détournement de pension alimentaire : « Il faut payer pour voir nos enfants », disent-ils, considérant qu’il s’agit d’un « racket ». Dans les faits, c’est plutôt l’inverse qui se produit. En cas de séparation, le revenu des femmes baisse quand celui des hommes augmente, même si cette hausse est moins rapide que celle des couples unis.

Comment ce mouvement a-t-il évolué ?

Ces associations ont émergé au milieu des années 1970, lorsque le divorce par consentement mutuel a été reconnu légalement. Elles défendaient alors les droits des pères face à la justice familiale. A partir de 2002, elles ont changé de discours, argumentant davantage sur les droits des enfants. Pour deux raisons : d’une part, en donnant une existence légale à la résidence alternée, la loi satisfaisait d’une certaine manière une revendication ; d’autre part, la montée du féminisme rendait plus difficile d’assumer leurs positions.

Quelle influence politique ont ces pères ?

C’est difficile à dire. Pour le moment, leur demande n’a pas connu d’aboutissement concret. Mais leur lobbying politique reçoit un accueil favorable, encore aujourd’hui. L’analyse qu’ils font du monde et de la justice est reprise par une grande partie de la société. Par des élus de tous bords, qui ne connaissent pas la réalité, séduits par un discours qui se veut porteur d’égalité et de lutte contre les discriminations. Il donne l’impression de répondre à une attente d’implication des hommes dans la prise en charge des enfants. La communication fonctionne très bien.

La réalité est-elle tout autre ?

Au-delà de leur parole publique, ils désignent les féministes comme leur ennemi politique, comme une force négative à combattre. Les pères bénéficiaires n’en ont pas forcément conscience : ils rencontrent des difficultés dans leur parcours personnel. Concernant les militants, c’est différent. Il s’agit d’un engagement politique porté en toute conscience et qui pose clairement les enjeux : défendre les intérêts des hommes contre ceux des femmes, rétablir l’ordre et le rapport hiérarchique. Ils ont conscience aussi d’occuper une place privilégiée dans la société. Militants comme bénéficiaires sont convaincus en toute sincérité d’avoir le droit, en tant qu’hommes, d’accéder à ces demandes. Ils portent une mobilisation sur la base du genre. Et sont, en ce sens, masculinistes.

En quoi ces groupes se distinguent-ils des mouvements féministes ?

Il s’agit de groupes déjà en position dominante et privilégiée. Ce qui n’est ni identique ni comparable. Un des objectifs – et une des avancées – du féminisme était de politiser la sphère privée et de questionner la frontière étanche entre vie privée et vie publique. Ce qui a permis de dénoncer les violences conjugales et de défendre l’avortement, etc. A l’inverse, ces mouvements revendiquent de retracer une frontière étanche entre vie privée et publique. Dans la famille, avec les enfants, le père est, selon eux, le seul à avoir un pouvoir de décision. Les mesures d’action éducative en milieu ouvert (AEMO) ou les enquêtes complémentaires demandées par les juges sont ainsi vécues comme une intrusion dans le domaine familial. Certes, la remise en cause de la parentalité n’est jamais facile à accepter. Mais les discours des pères révèlent ici un rejet de la limitation de leur pouvoir sur les enfants et de leur liberté à les éduquer. En même temps, ils saluent un accueil plutôt positif de la part des travailleurs sociaux, qui révèle parfois une certaine complaisance envers leur cause.

Quelle est la place des enfants dans ce contexte ?

Ils sont complètement absents des associations. Les enfants représentent un outil argumentaire, mobilisé lorsque cela sert leur « cause ». Mais il n’existe aucune discussion sur le rapport aux enfants, sur l’éducation. Ils sont instrumentalisés. Et j’en veux pour preuve irréfutable l’utilisation généralisée par ces associations du concept de « syndrome d’aliénation parentale ». Cette théorie a émergé dans les années 1990. Son initiateur, le psychiatre américain Richard Gardner, postule que, dans les cas de divorce ou de séparation conflictuelle, les mères – très exactement, « un parent (le plus souvent les mères) » – lavent le cerveau de leurs enfants pour les amener à faire des fausses accusations contre leurs pères et ainsi les éloigner. Ce concept a été réfuté par la majorité de la communauté scientifique. Sans aucune légitimité et sans avoir été reconnu par la justice américaine, il est pourtant largement utilisé dès qu’un enfant exprime le refus de voir sopn père ou des réserves face à ses comportements. Cette idée est aussi dangereuse en ce qu’elle dédouane les pères de toute accusation de violence intrafamiliale.

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