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Sessad : quand les professionnels de La Sauvegarde des Yvelines ne font qu’un autour de l’enfant

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Crédit photo vincent Wartner / Riva Press
La Sauvegarde des Yvelines a créé, il y a un an, un service d’éducation spéciale et de soins à domicile (Sessad) dédié notamment à l’accueil de jeunes issus de la protection de l’enfance. L’objectif : proposer un repère convivial à ces enfants souffrant de troubles du comportement tout en répondant à leurs besoins en matière de soins.

« Il n’est pas encore prêt pour aller dans un grou­pe d’habileté sociale. Il est encore trop instable. Il passe d’une idée à l’autre, d’une tâche à l’autre en permanence. C’est plus fort que lui. Nous suivons ses besoins et essayons de le canaliser », raconte Romain Giffard. Le psychologue vient de terminer une partie de football dans le jardin avec Karim, un enfant d’une dizaine d’années résidant en foyer. Aujourd’hui, ce préadolescent souriant arpente bruyamment les couloirs, circulant d’une pièce à l’autre avec nervosité. Les professionnels interagissent avec lui sereinement. Après de multiples aller-retours, Karim se pose enfin pour quelques minutes d’apaisement sur la chaise à l’accueil : c’est le moment de la tisane et des petits-beurres.

Romain Giffard l’accompagne depuis l’ouverture du centre. Souffrant d’importants troubles de l’attention, l’enfant est actuellement confronté à une « inadaptation scolaire massive », d’après son thérapeute. Ses venues ici lui permettent de se décharger un peu du temps d’enseignement. « C’est compliqué pour lui de rester tout le temps à l’école, expose le psychologue, il est très en demande qu’on s’occupe de lui. Ses troubles se répercutent sur tous les aspects de sa vie, personnelle, sociale, dans sa relation avec les autres, etc. » Si Karim est dans l’agitation, « d’autres enfants sont plutôt dans l’inhibition, le retrait, avec un fort manque de confiance en eux et des idées un peu noires », précise le professionnel.

Aujourd’hui, 13 enfants sont ainsi accueillis par le service d’éducation spéciale et de soins à domicile (Sessad) du Mantois. Implanté dans une bâtisse de Mantes-la-Jolie (Yvelines), ce dispositif a été lancé en septembre 2020 pour accompagner des enfants, adolescents et jeunes adultes âgés de 3 à 20 ans et disposant d’une notification de la MDPH (maison départementale des personnes handicapées). Leur profil : des jeunes présentant des difficultés psychologiques dont l’intensité perturbe gravement la socialisation et l’accès aux apprentissages. Doté d’une équipe pluridisciplinaire (éducateurs spécialisés, psychométricienne, psychologues), ce projet a en outre pour spécificité « d’apporter une attention particulière aux jeunes pris en charge par la protection de l’enfance ». Quatre enfants suivis par le Sessad sont ainsi actuellement hébergés en foyer ou en famille d’accueil et quatre autres bénéficient d’une action éducative en milieu ouvert (AEMO).

Décloisonner les institutions

A travers cette initiative, l’association La Sauvegarde des Yvelines tente en premier lieu de briser les cloisonnements institutionnels. Car, selon un rapport publié en 2015 consacré aux droits de l’enfant, la problématique de ces jeunes confiés à l’aide sociale à l’enfance (ASE) et en situation de handicap s’avère alarmante. Produite par le Défenseur des droits, l’étude pointait « un sujet peu connu, peu étudié, peu traité », avec des enfants bien souvent « invisibles (…) dans les politiques publiques d’accompagnement du handicap ». Parmi les jeunes suivis en protection de l’enfance, 70 000 seraient ainsi concernés. « Des enfants doublement vulnérables, qui devraient en toute logique bénéficier d’une double attention et d’une double protection, mais qui vont paradoxalement, parce qu’ils se trouvent à l’intersection de politiques publiques distinctes, être les victimes de l’incapacité à dépasser les clivages, l’empilement des dispositifs et la multiplicité des acteurs, ainsi que les différences de cultures professionnelles », exposait ce rapport. Face à cette situation, le directeur du champ « soin et handicap » de l’association, Claude Guittin, coopère aujourd’hui avec la MDPH. « Elle a repéré qu’il y avait beaucoup de situations bloquées, expose-t-il. Entre un quart et un tiers de ces enfants en protection de l’enfance auraient des besoins, reconnus ou pas par la MDPH. J’estime aujourd’hui qu’ils sont dans l’angle mort, on ne les voit pas assez. »

Nina et Jeanne, deux fillettes de 7 et 8 ans, descendent les escaliers main dans la main, manifestement heureuses de se retrouver. Nina vient de terminer son premier bilan avec la psychométricienne. Jeanne, quant à elle, vient d’être déposée par l’accompagnatrice Sylvie Cambraye. Les jeunes filles s’étaient rencontrées quelques jours plus tôt, lors de la sortie « piscine ». Elles affichent aujourd’hui leur complicité, contemplant ensemble les photographies des dernières excursions « escalade » placardées dans le couloir. « Les enfants se montrent parfois violents à l’école. Mais ici, le cadre est complètement différent. Il n’y a pas de bonne ou de mauvaise image, pas de bonne ou de mauvaise note. Nous travaillons avec l’école et, souvent, nous leur expliquons qu’avant de parler d’apprentissage, d’acquisition, il faudrait déjà qu’ils retrouvent leur statut d’élève, qu’ils réussissent à écouter, à se socialiser avec les autres », explique Arnaud Bourgoin.

Cet éducateur spécialisé est en première ligne pour constater les difficultés institutionnelles rencontrées durant le suivi de ces enfants. Il est chargé de tisser un lien à la fois avec les professionnels extérieurs, les parents, les familles d’accueil et l’école. Selon lui, la situation peut s’avérer complexe lorsqu’il doit coopérer avec les foyers, face à des interlocuteurs qui changent très fréquemment. « Dans un foyer, on n’a jamais le même référent en face de soi », déplore-t-il. Résultat ? « Il y a une méconnaissance du service de l’autre. Pourtant, en Mecs [maison d’enfants à caractère social], il n’y a pas de soins. L’intérêt de ce dispositif est que ces enfants puissent être suivis par un service extérieur. Il faudrait que cela se multiplie. »

Hébergée en famille d’accueil, Jeanne compte actuellement cinq services et 17 professionnels gravitant autour de sa situation. « C’est compliqué, souligne l’éducateur, il y a des enjeux entre les services. On voit Jeanne souvent à travers ses symptômes, ses problématiques, ses troubles. Mais, selon moi, quand je la vois interagir avec d’autres jeunes, elle n’est pas plus en difficulté que cela. Entre les partenaires, nous ne sommes pas forcément d’accord sur notre manière de la voir. » Une difficulté dont a bien conscience Bénédicte Bruyelle, responsable de service. « La complexité de ces situations provient souvent de la multiplicité des professionnels, chacun remplissant des tâches très différentes et devant trouver sa place dans cet accompagnement multiple. Il faut aussi rester vigilant, quand les parents ont toujours l’autorité parentale, à travailler avec eux et la famille d’accueil. Il faut travailler avec tout le monde. Mais quand il y a beaucoup de professionnels, le soin n’est pas toujours mis en avant. »

Afin de répondre à la complexité des situations de Jeanne et de Logan, un garçon d’une dizaine d’années, Arnaud Bourgoin a décidé de mettre en place un important suivi autour d’eux, à raison de plusieurs demi-journées par semaine. « Sans un accompagnement au quotidien, c’est compliqué, souligne-t-il. Je pense qu’il faut être un minimum militant. Il faut revendiquer des demandes pour l’intérêt des enfants. » « Un cadre souple », soutenu par sa responsable. « Ces enfants avec des difficultés de comportement sont souvent confrontés à des situations difficiles. Quand c’est compliqué pour l’enfant, ou pour l’école, le mieux est de le sortir le plus possible, à la demande de l’école. La question du temps est aussi importante. Nous ne sommes pas nécessairement dans la même temporalité que les autres professionnels. Nous pouvons nous donner les moyens d’avoir le temps de la rencontre, pour favoriser le tissage d’un lien qui soit solide et qui permettra d’avancer avec l’enfant, de l’accompagner et que lui aussi nous accompagne », assure Bénédicte Bruyelle.

Devenir un repère

Pour ce faire, la convivialité s’inscrit au cœur du projet. « Je pars du principe que nous sommes là pour les enfants. Le Sessad est un service qui est aussi le leur, qu’ils doivent aussi construire, habiter. Les portes sont ouvertes pour dire “bonjour”, parce que nous devons tous être accessibles, même s’il faut que cela reste cadré. Ce n’est pas seulement un lieu de passage où l’on vient travailler et faire des séances mais un lieu vivant, avec des rituels, où ils sont attendus, où l’on partage des choses aussi », ajoute la responsable.

Après un détour par les bureaux de Bénédicte Bruyelle et de Catherine Benard, la secrétaire, Nina et Jeanne se préparent à démarrer leur séance de « médiation ». Romain Giffard pilote en binôme cet atelier de jeu libre. Nicolas, un enfant d’une dizaine d’années, et Logan se joignent aux jeunes filles. L’outil thérapeutique : de grosses boîtes de Lego contenant quelques milliers de briques de toutes les couleurs. « Nous avons des enfants avec des problèmes d’apprentissage, de manipulation, de planification. Les Lego servent à développer leurs capacités, l’imaginaire et à travailler sur ces habiletés sociales. Ils vont ramener, par exemple, leurs scénarios de jeux vidéo et les dernières séries à la mode qu’ils ont vues », explique Romain Giffard. « Il se passe plein de choses pendant le groupe par rapport au partage, aux échanges, à ce qu’ils se racontent. Cela leur évoque beaucoup d’éléments sur leur environnement, leurs soucis. »

Créer avant tout un endroit où les enfants se sentent bien. « Nous n’allons surtout pas singer l’école. Nous voulons leur redonner des comportements d’enfant, avec la découverte, la curiosité, l’envie de bien faire. C’est cela qui doit leur permettre d’aller mieux », insiste pour sa part Claude Guittin, le directeur. La volonté de la Sauvegarde ? Faire en sorte que le parcours de ces enfants soit en continuité. « Nous les voyons beaucoup, ils sont vraiment identifiés », renchérit Arnaud Bourgoin. Pour assurer la sécurité du lien et suivre leur développement, les professionnels misent sur une prise en charge suffisamment longue. « Au-delà de leur situation familiale, les années de non-réponse à leurs besoins sont des années de perdues et de retard pris. Ces derniers s’accumulent souvent faute de prise en charge institutionnelle », conclut Romain Giffard.

Reste que l’établissement rencontre, comme l’ensemble du secteur, un certain nombre de problèmes pour assurer cette continuité. Une éducatrice est actuellement absente, faute de vaccination. Et les difficultés de recrutement demeurent encore le principal enjeu pour assurer un accompagnement à part entière de ces enfants. « Nous aimerions recruter un orthophoniste et un psychiatre, mais il s’agit de deux professions en tension, déplore Claude Guittin. Il est notamment très difficile de trouver des orthophonistes. Ils sont très mal payés par rapport à leur niveau réel de qualification. »

Reportage

Protection de l'enfance

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