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Protection de l'enfance : un tour de Stade pour apprécier les situations complexes

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STADE_Sonia-Juliette

L'éducatrice Juliette Rouault emmène Sonia dans un champ de Vertou (44) où vit son cheval Rasta, ainsi qu'un vieux canasson boiteux et abandonné pour lequel la jeune fille s'est pris d'affection.

Crédit photo Armandine Penna
En Loire-Atlantique, la fondation La Vie au grand air expérimente un dispositif hors les murs pour les jeunes dont les mesures de placement ne sont pas exécutées faute de solution appropriée. Le Stade, service tremplin d’accueil diversifié et d’évaluation, suscite l’intérêt croissant d’institutions à la peine face à ces adolescents.

Jour de soldes. Rose, 17 ans, a déniché un « crop top » dans une enseigne prisée de prêt-à-porter. Avec un jean et des baskets, ce haut court, star de la mode, sera parfait, pense-t-elle. Question de point de vue. « C’est super moulant, quand même. Tu vas te sentir à l’aise ? Ça ne va pas faire ressortir la petite graisse qu’on a là ? », interroge son éducatrice Marie Ménard, un brin dubitative. Le temps d’effectuer le tour du magasin, et l’idée du crop top sera vite abandonnée au profit de six articles jugés plus séduisants, de l’achat d’un nouveau téléphone et de la réalisation de photos d’identité, en vue de la demande de naturalisation de l’adolescente originaire de Centrafrique.

Le tout est pris en charge par la structure d’accueil, moyennant une légère contribution de la jeune fille. Au-delà des emplettes, la matinée est un prétexte à poursuivre la relation éducative débutée en décembre 2020. A l’époque, l’adolescente affichait un parcours semé d’embûches : cinq mois de fugue, une toute première cohabitation chez sa mère en mars lors du confinement, suivie de la rencontre avec une nouvelle famille d’accueil et d’un nouvel échec. C’est à ce moment que Rose, orientée par les services de l’aide sociale à l’enfance, a intégré le service tremplin d’accueil diversifié et d’évaluation (Stade).

Créé en 2018, en réponse à un appel à projets du département de Loire-Atlantique, ce service a été imaginé par les accueils éducatifs de Loire-Atlantique (AELA), l’antenne nantaise de la fondation La Vie au grand air. En permanence, il accueille 15 jeunes. Des ados âgés de 12 à 16 ans au moment de leur entrée, dont les mesures de placement n’ont pas été exécutées parce que, souvent, les structures d’accueil n’ont pas su répondre à leurs difficultés. « Ces jeunes ont la particularité de se trouver au croisement de plusieurs champs d’intervention : l’aide sociale à l’enfance, la protection judiciaire de la jeunesse, l’action sociale, médico-sociale et sanitaire. Souvent, ils arrivent en piteux état, déscolarisés, sans désir ni perspectives, explique Sarah Michel, la psychologue du Stade. On est là pour leur dire : “Ce n’est pas grave, on a aussi le droit de ne rien faire et on peut mettre en place des choses pour améliorer la situation”. En général, dans leur parcours de placement, on leur intime de choisir un projet. Pas ici. » Pendant six mois, souvent un an, ils vont bénéficier d’une prise en charge individualisée. Le temps d’apaiser les tensions, d’évaluer, de comprendre et d’envisager la solution la plus adaptée. Un sas de respiration, en somme, avant de repartir d’un meilleur pied.

Sas de respiration

Dispositif « hors les murs », le Stade prend en charge les jeunes sur leurs différents lieux de vie. Qu’ils logent chez un parent, un ami ou dans un squat… « On va les chercher où qu’ils soient, poursuit Sarah Michel. C’est d’ailleurs un atout dans la relation. La mesure de placement constitue souvent une sanction, pour les parents comme pour les enfants. Ne pas mettre d’impératif sur son exécution fait redescendre la tension. On est là d’abord pour les soutenir, non pas pour sanctionner. » Pas de logement pérenne, mais, en cas d’urgence, des hébergements de repli. Une manière aussi, comme Rose, d’expérimenter l’autonomie : « On évalue sa capacité à occuper le logement, à ne pas se laisser envahir par des amis, à tenir son budget », indique Marie Ménard. En journée, le Stade dispose d’un espace d’accueil. Accessible librement sans rendez-vous, il permet à ceux qui le souhaitent de se ressourcer, d’y laver leur linge ou de participer aux activités éducatives en fonction des centres d’intérêt.

Un week-end en Bretagne, une session de karting, de tyrolienne ou de kayak : ici, tous les moyens sont bons pour recréer du désir et du lien. Sonia, 17 ans, scolarisée en institut thérapeutique, éducatif et pédagogique (Itep) et logée en alternance chez ses parents et sa sœur, aime prendre soin des animaux. L’une des éducatrices, propriétaire d’un cheval, l’emmène régulièrement au champ. « Souvent, le Stade propose des activités à deux, de l’escalade, du vélo, du char à voile… Le corps est très important dans ces moments où on ne parle pas, souligne Sarah Michel. Du futsal est proposé pour tous les jeunes des AELA, mais on reste très prudents sur la notion de “groupe”. » Et personne n’est dupe : accueillir ces jeunes signifie parfois composer avec les absences. Malgré les propositions, il n’est pas rare de devoir annuler une sortie parce que le jeune s’est désisté au dernier moment. L’adaptation devient alors le maître-mot. « On est tolérants et souples, sans faire de démagogie. Le but n’est pas de caresser dans le sens du poil, mais d’éviter la rupture, explique Emmanuel Joachim, directeur des AELA. On pratique beaucoup le pas de côté. Et on essaie de maintenir le lien, sans jamais procéder à son exclusion du dispositif. S’il le faut, en cas de passage à l’acte par exemple, on portera plainte. Mais notre accueil demeure inconditionnel, sans condamner les comportements. » Le pas de côté, c’est aussi ce que défend Philippe Gomis, chef du service : « On casse les codes. On se tutoie, on crée une proximité dans la relation et des échanges directs, tout en restant dans une posture éducative. »

Avec ces jeunes socialement éloignés, voire en conflit avec l’institution, le travail d’approche constitue une première étape cruciale. « On n’est pas là pour ressasser les problèmes mais d’abord pour chercher le petit dénominateur commun qui peut engager une relation, promouvoir ce qui procure un bienfait à tel ou tel jeune », explique Sarah Michel. Le Stade sert alors de médiateur pour recréer du lien au sein de la famille et vers l’extérieur. Un trait d’union qui s’exprime dès les premières rencontres. « Même lorsqu’ils ont démissionné, il est rare que les parents soient déchus de l’autorité parentale, souligne Philippe Gomis. On essaie donc d’aller les chercher et de travailler avec eux. » Avec une approche pragmatique : « Pourquoi la famille ne vient pas aux rendez-vous ? On cherche à comprendre et à adapter la rencontre, en modifiant le lieu ou la configuration de l’échange », prolonge Emmanuel Joachim. Objectif ? Débloquer des situations, coûte que coûte. Showna a intégré le Stade en juillet 2020. Elle témoigne : « Des rendez-vous avec des éducateurs, ma mère et moi avaient lieu. Quand il y avait des problèmes, ils me mettaient en appartement de repli quelques jours. Et ils arrivaient à arranger les choses. Ma mère, ça lui ouvrait l’esprit ces discussions. Et elle les aime bien au Stade. » Aujourd’hui, l’adolescente de 17 ans a rejoint une structure en semi-autonomie alors que son frère a intégré à son tour le Stade. « L’une des forces du dispositif est que l’on va chercher à comprendre ce qui bloque le placement. Exercer celui-ci ne suffit pas. Lorsqu’il n’est pas concevable pour les parents comme pour les ados, il ajoute du mal au mal et se traduit par un échec », explique Sarah Michel.

La psychologue occupe une place centrale dans le dispositif. A elle de trouver les stratagèmes pour entendre les jeunes, quitte à mener les entretiens dans une voiture au pied de l’immeuble ou à la cafétéria, et à accepter certaines réticences. Comme dans le cas d’une adolescente : « Elle avait dit à son éducateur : “Tu me présentes la psy au Stade, on se dépêche et tu me ramènes”, se souvient Sarah Michel. J’ai abandonné l’idée de la voir physiquement, mais elle a accepté que je prenne des nouvelles par téléphone et qu’ensuite on se voit. » Souvent, la psychologue se déplace, même hors du département, pour rencontrer les jeunes comme les parents. « Mais ce n’est pas parce que j’adapte la forme que le fond n’y est pas, poursuit-elle. Je travaille avec l’absence, avec beaucoup de rendez-vous manqués. On ajuste les conditions pour être le plus accessibles possible. Et, professionnellement, c’est très satisfaisant. »

Repérer l’envie

A l’issue de leur passage au Stade, les jeunes sont orientés vers des solutions jugées adaptées, en lien avec les services de l’aide sociale à l’enfance. En 2019, parmi les 16 jeunes sortis du dispositif, sept ont été pris en charge en familles d’accueil ou dans des structures de la protection de l’enfance (maisons d’enfants, lieux de vie ou encore services de semi-autonomie avec des appartements individuels à la clé). Les autres ont été maintenus à domicile avec des mesures de soutien éducatif, et quelques-uns, auteurs de passages à l’acte, ont intégré, sur décision du juge, des centres éducatifs fermés ou renforcés (CEF et CER). « A nous de bien travailler avec le jeune et avec les établissements qui vont les accueillir, d’apporter des éléments précis sur la situation – dont personne ne disposait parfois – pour faciliter leur intégration », explique Philippe Gomis. Dans certaines situations, il est possible également de rester au sein des AELA. C’est le cas de Rose. Pour des raisons liées à l’obtention de ses papiers, il a été jugé plus opportun qu’elle conserve un interlocuteur au sein de l’établissement. A la rentrée de septembre, elle a donc quitté le Stade tout en intégrant le service extérieur qui propose six places en semi-autonomie. Désormais logée et scolarisée dans le centre-ville, elle loue le travail du service : « Les éducateurs sont jeunes, souples, ouverts d’esprit. J’étais complice avec beaucoup d’entre eux. Ils communiquent et tout le monde s’entend bien. Je n’ai jamais été aussi à l’aise qu’ici. »

Doté d’un budget annuel de 900 000 €, le Stade dispose d’un encadrement qu’envieraient nombre de structures : quatre éducateurs spécialisés (dont un technique), deux moniteurs-éducateurs, un éducateur sportif, un psychologue et un pédopsychiatre. Les professionnels restent en poste, lorsque certaines structures peinent à éviter le turn-over de leurs effectifs, épuisés par la complexité des situations. « On essaie de sortir des recrutements classiques, d’être attentifs aux compétences, mais aussi de repérer l’envie, le parcours de vie et le côté atypique des candidats », explique Philippe Gomis. Idéal, le Stade ? Il a le mérite en tout cas de chercher à dénouer un casse-tête de la protection de l’enfance, incapable, pour des raisons tant financières qu’institutionnelles, d’apporter des solutions à la hauteur des enjeux. « Le nombre de jeunes en situation complexe ne cesse de croître dans tous les départements. Et on continue à proposer trop d’accueils classiques, regrette Emmanuel Joachim. Les parcours sont bouchés à tous les niveaux et les situations individuelles ne peuvent que se dégrader. » Philippe Gomis enfonce le clou : « Ces placements non exécutés pointent les dysfonctionnements de la protection de l’enfance. Comment peut-on accepter qu’un enfant dit “en danger” ne soit pas protégé ? » L’expérimentation doit s’achever en 2023, terme du bilan définitif. Mais d’ores et déjà, des départements comme la Mayenne, ou les Yvelines songent à dupliquer l’initiative.

Diversité de prise en charge

Créée en 1927, la fondation La Vie au grand air compte 22 établissements répartis sur 15 départements. Pour leur part, les accueils éducatifs de Loire-Atlantique (AELA) ont été constitués en 2012. Ils reçoivent aujourd’hui 33 adolescents de 12 à 18 ans en situation complexe dans différents services : deux pavillons, à Nantes et Sainte-Luce-sur-Loire, qui accueillent chacun six jeunes ; un service de logements individuels qui propose pour six autres jeunes, en fonction de leurs besoins, de l’hébergement en studio, en foyer de jeunes travailleurs, chez l’habitant ou encore en camping ; et enfin le Stade, dispositif hors les murs, qui accueille 15 jeunes et dispose de sept hébergements dans le cadre de mises à l’abri.

Reportage

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