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Adolescentes en rupture : un foyer pour prendre soin de soi

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Crédit photo Edouard Hannoteaux
Dans la campagne d’Aix-en-Provence, le lieu de vie et d’accueil La Promesse offre un cadre atypique à des jeunes filles en errance. Dans cette maison qui les reçoit depuis novembre 2017, une prise en charge alternative centrée sur la nature les aide à se reconstruire et à trouver, peut-être, une autre voie.

« Cette maison est magique, elle a été créée pour nous, c’est trop bien d’être ici. » Nadji a 19 ans. En mai dernier, la jeune fille – que l’on appelle aussi Nana – a retrouvé La Promesse, le lieu de vie et d’accueil (LVA) qu’elle avait déserté en plein confinement, en avril 2020, tout juste majeure. Un an d’errance à Paris, entre addiction et prostitution pour se nourrir et se loger. Un enfer : « Je faisais l’“escort” et je survivais avec de l’argent sale. J’ai tout gâché. Maintenant, je veux vivre. » Elle a supplié pour qu’une place et une chambre à elle lui soient à nouveau offertes, dans cette grande maison tout en couleurs. Avec la nature tout autour, comme un écrin.

La jeune fille veut se réparer. « J’ai pu la reprendre parmi nous parce qu’une pensionnaire est en fugue », évoque Corinne Laveissière, dite Padma, fondatrice et directrice de ce LVA géré par l’association des Goélands qu’elle a également créée à Aix-en-Provence (Bouches-du-Rhône). A son retour, Nana a signé un contrat jeune majeur pour travailler en pâtisserie. Elle a rejoint Sissi (Cyrielle), Kim (Kimberley), Jessica, Maïssa et Louna, des adolescentes aux vies aussi abîmées que la sienne. Toutes relèvent de l’aide sociale à l’enfance (ASE) et arrivent en placement administratif ou par l’intermédiaire de la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ). « Chacune est un univers de souffrance. On entend ici les pires malheurs du monde », confie Padma.

En rupture familiale et sociale, ces jeunes filles ont vécu l’indicible : maltraitance, harcèlement, abandon, alcoolisme ou addictions parentales, violences familiales et, pour quasiment toutes, abus sur mineures. « Beaucoup côtoient les réseaux de prostitution, parfois le proxénétisme. Plusieurs y ajoutent des addictions », souligne cette directrice au parcours singulier. Ancienne comédienne, mais aussi sculptrice et peintre, elle les accueille à La Promesse, sa propre maison, avec un objectif : prendre soin d’elles, compenser les carences éducatives et affectives, soigner les blessures. Autrement dit, tenter de les aider à s’en sortir et à se construire une autre existence. Avec cette idéaliste présente sur place 24 heures sur 24 et trois semaines sur quatre quand tout va bien, trois intervenants se relaient auprès des pensionnaires. Fondé sur la permaculture, le développement durable et le recyclage, le projet d’établissement fournit le cadre d’un accompagnement « sain » vers l’autonomie. Dans ce même temps où les adolescentes prennent conscience de la beauté, apprennent à respecter la nature, à s’occuper du chien Nanda (le « cinquième éducateur »), des tortues Kali et Jaia, de la maison et du jardin, c’est aussi sur elles-mêmes qu’elles apprennent à veiller.

« Révolution dans la tête »

« Je mets la révolution dans la vie de chacun. Dans celle des éducateurs aussi », prévient Padma. Venir dans un lieu de travail qui est avant tout un lieu de vie, avec une cheffe de service qui vit sur place en permanence. Trouver l’équilibre entre proximité et hiérarchie. S’initier aussi au compostage, quand ce n’est pas dans sa culture. « Il est très compliqué de trouver des personnes compétentes qui acceptent ce mode de fonctionnement, cette philosophie », reconnaît-elle. « Mon vrai métier, c’est répétitrice », ironise-t-elle.

Romain Icheck, qui a démarré comme éducateur à l’ouverture de La Promesse, est devenu au printemps dernier l’assistant permanent de Padma. Il a participé comme bénévole au chantier de restauration de l’ancien squat devenu cette maison coquette de la campagne aixoise. C’est l’idée du jardin qui l’a amené ici. Ouvrier agricole dans une autre vie, l’éducateur l’a transformé en un lieu de découverte et de transmission. « Ces filles sont complètement coupées de la nature, elles ne savent pas de quel côté le soleil se lève. Jardiner est une façon de leur montrer que la vie, ce n’est pas que du gris et du béton », assure-t-il. Elles y participent, si elles veulent, par petits groupes de deux ou trois.

Voir les feuilles se former et changer de couleur, sentir les fleurs, cueillir des légumes, des olives, écosser des petits pois, récolter le miel de la ruche. Généreuse, la nature parvient à susciter l’émerveillement de quelques-unes. Mais bricoler ensemble, désherber, s’initier au compost, construire des bacs pour les aromatiques, aménager un espace de plantes grasses et de rocailles, cela n’a rien d’évident. Pour celles qui s’accrochent, le côté gratifiant peut être immédiat. Toutefois, l’éducateur indique : « Les arracher à leur portable, cela leur coûte, l’attention se relâche assez vite, il ne faut donc pas que ça dure trop longtemps. » Certaines éprouvent la satisfaction du travail accompli. Elles partagent des photos sur les réseaux sociaux. Comme Maïssa, pour qui c’est une fierté de passer du temps au jardin. « On avance par petites touches », admet l’éducateur. Kimberley, par exemple, jeune fille blonde très dissipée passée par la prostitution et le proxénétisme, n’est plus la même au contact de la terre. « Elle parvient à rester concentrée. Seul à seul, on peut creuser des sujets plus en profondeur. La nature est un prétexte, comme l’art », ajoute Romain.

Cheminement au long cours

Le lieu offre aussi l’atmosphère et les rythmes d’une maison familiale, avec une équipe censée représenter le schéma traditionnel. « Il y a des adultes, des enfants et tout ce que cela implique de vivre ensemble dans une maison, note Marion Rodriguez, éducatrice spécialisée embauchée depuis deux ans et demi. La vie de la maison, c’est notre tiers éducatif. » Dans cet environnement chaleureux qui peut accueillir six adolescentes (plus une ou deux par dérogation), tout peut contribuer à poser un cadre, y compris pousser le balai. « Nous sommes dans la globalité de la vie et dans sa gestion », indique Claire Le Goff, conseillère en économie sociale et familiale (CESF), dans l’équipe depuis quatre mois.

Mais pas question de surinvestir ces jeunes dans le quotidien. « Ce sont des ados. Je relativise lorsqu’elles rechignent et que je me débrouille seule », signale la professionnelle. Chacun participe à la vie du lieu selon sa personnalité, ses centres d’intérêt, en proposant des projets qui puissent s’adapter aux autres. En faisant avec elles pour donner envie de participer, pas seulement pour commander. « Nous ne sommes pas cantonnés à un planning et à une fiche de poste. Ce lieu de vie atypique humanise le travail, toutes les structures médico-sociales devraient être comme ça », se réjouit Claire Le Goff.

En quatre ans, la maison de Corinne Laveissière a accueilli une trentaine d’adolescentes. Certaines ont déserté les lieux au bout de trois jours ou de quelques semaines, d’autres y sont restées un an, voire deux ans et demi, comme Maïssa et Cyrielle. « C’est très évolutif, on n’effectue pas le même travail en trois mois ou en trois ans, souligne la CESF. Nous sommes ici dans l’apothéose de la dérive et cela demande de se réadapter en permanence. » Réapprendre à manger sainement assis autour d’une table, reprendre le chemin du collège ou du lycée, trouver une formation, un apprentissage, signer un contrat jeune majeur, restaurer l’estime de soi. La difficile mission de l’équipe nécessite le long cours. L’objectif poursuivi se heurte très souvent à la réalité d’adolescentes sans repères – « fissurées de tous côtés », rappelle Padma – qui peuvent être insolentes, violentes entre elles ou envers l’équipe, irrespectueuses, fugueuses. « Quand on vient ici, on ne sait jamais ce qui nous attend », confient Thérèse Gentilhomme et Apolline Fillols. Ces deux « mamies », octogénaires très volontaires présentes chaque mercredi pour animer un atelier cuisine, les considèrent comme leurs petites-filles : « Préparer ensemble des plats avec lesquels elles se régaleront est une façon de leur montrer qu’elles sont importantes et de les aider à devenir autonomes. »

Avec des adolescentes pouvant présenter d’importantes souffrances psychologiques, parler permettrait d’avancer. « Le milieu psy institutionnel n’est pas très présent, il existe très peu de place en psychiatrie enfant, regrette Padma. Lorsqu’elles sont suivies à l’extérieur par la maison des adolescents ou par le centre médico-psychologique, il n’y a ni retour ni interaction. » Mais tous les mardis soir, Amina Brihimi, psychologue libérale, se rend à La Promesse pour aider les jeunes filles à se livrer et à se saisir de leur placement pour se resocialiser. « Elles ont beaucoup de mal à parler d’elles car elles ont vécu des traumatismes et ne comprennent pas pourquoi elles ont été placées là, note-t-elle. Parler leur apporte des éléments sur une mise en danger d’elles-mêmes dont elles n’ont souvent pas conscience. » Ainsi, réussir à installer une relation de confiance, échanger avec l’équipe avant et après amène de nouvelles pistes de travail qui enrichissent le quotidien.

Regard valorisant

Travailler l’estime de soi fait partie du projet. Ici, on tente l’expérience du chant et de la danse. « Ces jeunes filles abîmées, souvent dans le déni, ont besoin d’un regard valorisant sur elles », observe Véronique Truffot, professeure de chant, qui vient pour un atelier une fois par mois, six mois par an. « Le respect est totalement étranger à leur vécu. Cela génère beaucoup d’émotions, d’angoisses, de rejet. C’est parfois extrême. » Dans le meilleur des cas, la joie reprend sa place, avec une découverte plus apaisée du corps féminin : « On leur montre que quelque chose est possible. Ce serait mieux si on pouvait être là plus souvent. »

A La Promesse, rien n’est simple. Comme se battre avec la mission locale lorsque celle-ci propose à Kimberley, complètement perdue et incapable de prendre des notes, d’être serveuse dans un restaurant. « Le technicien de la mission locale ne l’a pas prise en considération. Il l’envoie au casse-pipe, s’indigne Padma. Mais il aura casé quelqu’un et rempli des statistiques. » De même avec la ligne budgétaire, à renégocier chaque année avec le conseil départemental des Bouches-du-Rhône, qui finance le fonctionnement du lieu de vie. Un autre bras de fer. « Je m’occupe de filles en grosses difficultés dont le corps a été sali et qui doivent apprendre à en prendre soin. Alors, oui, j’explose régulièrement la ligne “produits d’hygiène” », s’agace-t-elle. Ou encore la nourriture de Nanda, le chien. L’experte en tarification du département ne voit que les factures, jamais l’intérêt de sa présence dans le projet. La Promesse, dont la directrice n’est pas exactement issue du sérail médico-social, est comme le pot de terre face au pot de fer. Tout est difficile. Pourtant, tout semble possible.

Un projet et beaucoup d’huile de coude

Pour monter son projet de lieu de vie, Corinne Laveissière a créé l’association Les Goélands. Trois ans durant, elle a démarché les institutions pour les convaincre : « J’aurais créé une Mecs [maison d’enfants à caractère social] avec 300 gosses, les dossiers auraient été aussi lourds à monter ! » Elle a également conçu le site Internet pour donner de la visibilité au projet, et élaboré les dossiers de mécénat ayant permis de récolter des fonds auprès d’enseignes telles que la Caisse d’épargne, la Fondation Lemarchand (Nature et Découvertes), Terra Symbiosis, la Société générale et des donateurs inconnus touchés par le sujet. Cette amorce a permis à l’association d’obtenir un crédit pour acheter une ancienne ferme de 300 m2 sur 4 000 m2 de terrain, transformée après trois mois d’importants travaux et d’huile de coude. La Promesse, dont le prêtre ouvrier Guy Gilbert est le parrain, fêtera ses quatre ans en novembre. Au total, 30 jeunes filles y ont été accueillies et accompagnées.

Reportage

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