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Une colo pour soigner la relation parents-enfants

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FRANCE - ILE D YEU- ASSOCIATION CAVAL - MAISON FAMILIALE  DE VACANCES

Thifaine (à gauche), la chef cuisinier de la Maison familiale de Vacances de l'association La Caval, et Sandra Tence (au centre), monitrice éducatrice responsable des séjours familiaux, allument les bougies du gâteau d'anniversaire de deux jumeaux sous le regard de leur mère durant leur séjour é la Caval. 

Crédit photo Francois Lepage
Sur la côte est de l’île d’Yeu, en Vendée, l’association Caval réunit, le temps des vacances estivales, des familles dont au moins un enfant est placé pendant l’année. Outre le plaisir de profiter du lieu et du moment, ces séjours sont aussi l’occasion pour les professionnels qui les encadrent de les aider à retisser leurs liens. Mais le succès n’est pas toujours au rendez-vous.

Le vent, qui souffle par bourrasques violentes ce jour-là, a contraint l’équipe d’animation d’annuler l’activité « pirogue » initialement prévue pour l’après-midi. Mais il en faudrait plus pour décourager les vacanciers qui, par grappes de cinq ou six, adultes et enfants confondus, enfourchent un vélo. Direction le port de l’île d’Yeu, à une bonne vingtaine de minutes de coups de pédales. Pendant ce temps-là, le reste de la troupe accompagné de deux animatrices décide de mettre le cap sur la plage. A peine le temps de poser un pied sur le sable que l’un des enfants, âgé d’une dizaine d’années, court se jeter dans l’océan, faisant fi des températures anormalement basses pour la saison estivale. Il revient quelques secondes plus tard, rouge comme une écrevisse, mais avec un large sourire accroché à son visage poupin. Tout aussi enthousiaste, le garçonnet qui se tient à ses côtés ne semble, quant à lui, plus savoir où donner de la tête. Un coup attiré par le cerf-volant qui manque de piquer du nez à tout instant, affairé à creuser un trou plus grand que lui avec sa pelle, il frétille de joie, couvé du regard par sa mère, assise sur le flanc d’une embarcation retournée.

Des moments suspendus comme celui-là, cette quadragénaire en connaît peu au quotidien. Le temps passé avec son enfant placé en famille d’accueil n’excéde généralement pas deux heures par semaine. « C’est la troisième fois que nous venons à l’île d’Yeu ensemble. Ici, on peut passer du temps à se redécouvrir, tout en profitant des activités proposées par l’équipe éducative, qui est aux petits soins pour nous. Même si j’aimerais un jour partir en vacances seule avec mon fils, ça me rassure d’avoir une équipe autour de moi », glisse-t-elle tout en emmitouflant délicatement son fils dans une grande serviette de plage. Tout comme cette mère parisienne, la plupart des familles qui ont goûté ce type de séjour ne rechignent pas à y revenir plusieurs années de suite. Sur les six familles qui inaugurent l’été cette année, la moitié sont déjà venues. Logées, nourries, bichonnées par une équipe de sept professionnels, elles semblent trouver dans cette ancienne ferme transformée en maison familiale de vacances un point d’ancrage qui jalonne leur parcours familial au fil des ans.

C’est justement l’objectif de l’association Caval, gestionnaire du lieu : permettre à des parents, célibataires ou en couple, de s’offrir des vacances avec leur(s) enfant(s) pris en charge par la protection de l’enfance et dont ils sont séparés le reste de l’année. « L’idée, c’est que cet endroit s’inscrive dans leur histoire afin que parents et enfants puissent recréer des liens et se forger des souvenirs communs. Un peu comme si c’était leur résidence secondaire », explique Anne Mallet, directrice de l’association depuis 2020. Année après année, toutefois, de nouvelles têtes font leur apparition. Et, avec elles, de nouvelles interactions familiales à accompagner pour que le séjour de dix ou onze jours se passe sous les meilleurs auspices.

Un pas de côté

Dans ce contexte, la présence très forte de l’équipe encadrante, de jour comme de nuit, n’est pas négociable. « Bon nombre des parents que nous accueillons n’ont pas pris un petit déjeuner avec leur enfant ou participé à son coucher depuis des années. Ils sont souvent en difficulté pour répondre à ses besoins, la plupart ne le voyant qu’une fois tous les quinze jours par le biais de visites médiatisées. Il est donc absolument nécessaire qu’ils puissent bénéficier de notre étayage au quotidien si l’on veut pouvoir garantir la sécurité des enfants, notre impératif. Sans compter que ça peut être rassurant pour eux de s’appuyer sur nos conseils », constate Sandra Tencé, l’une des responsables de séjour, présente à Caval pour son quatrième été. Cette éducatrice spécialisée qui chapeaute quatre séjours différents a pris l’habitude de vouvoyer les parents. Une façon pour elle de les aider à prendre conscience de leur rôle à jouer en tant qu’adultes auprès de leurs enfants. « Durant ces séjours où nous vivons quasiment avec eux, la question de la distance se pose souvent. Quand on a des choses pas évidentes à leur dire, ça aide d’utiliser le vouvoiement pour leur rappeler que, malgré les moments de complicité et de partage que nous vivons, nous n’en oublions pas pour autant notre posture professionnelle. »

A la croisée de l’animation locale et de l’action sociale et éducative, la maison familiale de vacances fait également office de centre nautique : dans une optique de mixité sociale, la pratique de la voile et du kayak y est proposée. Un statut hybride qui lui permet de développer des projets en direction des Islais(1) tout en touchant une participation des services sociaux qui adressent les familles pour les vacances. Au centre de l’île, l’association gère aussi un lieu de vie pour familles monoparentales en crise. Et bénéficie à ce titre d’un financement du conseil départemental de la Vendée. Le mois d’octobre prochain verra la mise en œuvre d’une nouveauté : les logements utilisés pendant l’été se transformeront hors saison en centre d’accueil d’urgence réservé à des familles. De quoi honorer l’engagement porté depuis quarante-cinq ans par les fondateurs de Caval, dont Alain Griffond, toujours à la tête de l’association. « Ils étaient de jeunes moniteurs passionnés de voile qui se retrouvaient l’été sur l’île et dont certains s’intéressaient directement aux affaires sociales, rembobine la directrice. En fondant leur école de voile, leur volonté était de l’ouvrir à des populations a priori hétérogènes (enfants, estivants, populations issues de milieux défavorisés ou malades) tout en s’orientant vers un public de l’éducation spécialisée. Pour y répondre, ils ont conçu des projets qui cernent au plus près les besoins de ces publics, sans jamais nier leur vocation sociale, éducative et de loisirs héritée de leurs débuts. »

Échecs et victoires

Autre spécificité : pendant les vacances, l’équipe encadrante est, pour une moitié, composée d’animateurs et, pour l’autre, de travailleurs sociaux (moniteur-éducateur, éducateur spécialisé). Un parti pris qui vise à marquer une frontière nette avec la prise en charge proposée par les services sociaux dont dépendent les enfants. « Durant le séjour, nous ne sommes pas sur des objectifs éducatifs comme peuvent l’être les référents de l’aide sociale à l’enfance le reste de l’année. Il s’agit pour nous de faciliter la relation en utilisant d’autres supports, plus ludiques, mais notre intention n’est absolument pas de révolutionner le fonctionnement des familles, prévient Anne Mallet. Et, pour faire ce pas de côté, il est plus simple que l’équipe ne soit pas uniquement constituée de travailleurs sociaux. »

D’autant que les animateurs, recrutés avant tout sur leur envie de travailler auprès d’un public en difficulté, n’ont pas leur pareil pour égayer le quotidien des familles sur l’île. Balades, visites du patrimoine, activités nautiques en tous genres, musique, jonglerie… Chaque matin, le programme de la journée est déroulé aux vacanciers. A eux de choisir librement ce qu’ils préfèrent. « L’idée est qu’ils puissent vivre de chouettes moments en famille et en groupe. Dans l’ensemble, ils sont ravis d’y participer, note Nina Meneuvrier, 18 ans, monitrice de voile. En revanche, lorsque cela ne prend pas, je n’insiste pas, de peur de commettre un impair. Il m’arrive d’avoir un peu l’impression de marcher sur des œufs. » Une impression que partage Anthony Auger, 22 ans, dont c’est le troisième été en tant qu’animateur : « S’il y a une situation de crise, je saurai intervenir pour que cela se calme, notamment parce que je peux témoigner de ma propre expérience d’enfant placé ayant séjourné toute mon enfance à Caval. Mais je ne saurai pas ce qui se joue derrière. Aussi, quand je sens que mon positionnement n’est pas forcément adapté, je n’hésite pas à passer le relais aux autres. »

Reste que, même avec un solide bagage social, les éducateurs peinent parfois à démêler certains nœuds. En particulier du fait d’un autre parti pris de l’association : préserver la confidentialité des familles. Ainsi, les parents n’ont aucune obligation de révéler la raison du placement de leur enfant. Au risque, parfois, d’engendrer de mauvaises surprises pour l’équipe. « Si certains se dévoilent facilement avec nous, d’autres ne prennent pas cette peine. Je me souviens notamment d’une mère gravement anorexique qui gavait son fils à sa place. Lorsque je l’ai appris, j’ai pu affiner mon observation, mais cela m’aurait fait gagner du temps si j’en avais été informée avant, regrette Sandra Tencé. Il y a eu aussi le cas d’un couple dont la mère avait interdiction d’être seule avec ses enfants. Or, ne le sachant pas, nous l’avions autorisée à partir avec eux sans la présence du père. Tout s’est bien passé, mais cela aurait pu se révéler dangereux. »

Inversement, pour les familles qui savent se saisir de l’occasion pour renouer une relation de qualité avec leur enfant, le fait d’arriver en terrain vierge à Caval est un atout de taille. « Etre dans un nouveau cadre, qui plus est récréatif, ça change aussi le comportement de la personne. De notre côté, nous essayons toujours de les valoriser, en portant sur eux un regard bienveillant et impartial, poursuit la responsable de séjour. Ils savent aussi qu’ils ont droit au dérapage, dans la mesure où celui-ci ne remet pas en cause la sécurité de leur enfant. »

Positives ou négatives, ces observations font toujours l’objet d’une note de synthèse destinée au référent du conseil départemental qui assure le suivi de l’enfant, mais dont les parents ont connaissance avant qu’elle ne soit transmise. « C’est important que cet exercice se fasse en leur présence parce que cela peut leur donner l’occasion de découvrir des compétences parentales qu’ils ne pensaient pas être capables de mobiliser », insiste Anthony Auger. Pour d’autres, en revanche, le déclic ne se produit pas. Ceux-là sont parfois repérés par les intervenants sociaux dès le début du séjour.

C’est notamment le cas de Céline et de son mari Maurice, qui occupent l’un des sept studios avec leurs deux enfants de 11 et 8 ans. Lorsqu’ils ne leur crient pas dessus, c’est pour leur opposer un refus catégorique de partager avec eux des activités, et ce, malgré les nombreuses tentatives des enfants. Quant à Kendrix, elle est la jeune mère solo de deux petits garçons de 1 et 3 ans, dont l’un est placé avec elle en famille d’accueil. Sandra Tencé a déjà repéré chez elle un désinvestissement notoire dans la relation affective. Elle a d’ailleurs toutes les peines du monde à lui faire respecter le cadre horaire établi par la maison. Pour autant, les messages qu’elle énonce d’un ton calme mais ferme semblent faire de l’effet.

Mais qui peut dire que les liens pourront se maintenir une fois de retour au domicile ? « On plante des graines. Peut-être qu’elles vont fleurir un jour, peut-être pas, relativise l’éducatrice spécialisée. Ce qui est sûr, c’est qu’on se donne beaucoup de mal pour que ces vacances soient réussies. Et, pour nous, elles le sont quand les gens repartent au moins avec le sourire. »

(1) Nom donné aux résidents de l’île d’Yeu.

Reportage

Protection de l'enfance

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