Recevoir la newsletter

Protection de l’enfance : dans le Finistère, La Sauvegarde limite les placements

Article réservé aux abonnés

Myriam Chuine, psychologue du Safa de Brest, rend visite au père d'un enfant.

Crédit photo Jean-Michel Delage
Ouvert en 2012, le service d’accompagnement pour les familles et adolescents (Safa) de La Sauvegarde du Finistère suit, à Brest et Morlaix, une centaine de mineurs à leur domicile. Grâce à des moyens renforcés, l’intervention intensive des travailleurs sociaux représente une alternative au placement, fragile mais essentielle.

Dix minutes de marche séparent cette grande maison bretonne de l’école où sont scolarisés Jolan, 5 ans, et sa sœur aînée Erika, 9 ans. Pendant le trajet, Gwenaël de Blasio, leur éducateur, s’enquiert de leur journée tout en les observant dévorer le goûter qu’il leur a acheté avant de les récupérer. A leur arrivée, leur mère est souriante et apprêtée. « C’est bon signe, souligne celui qui a connu cette jeune trentenaire dans de bien plus mauvaises prédispositions. Au début de la mesure, elle pouvait être très virulente à notre encontre et n’avait aucune confiance dans notre service. Désormais, elle est dans une dynamique très positive et les enfants vont beaucoup mieux. » Une bonne heure plus tard, et après s’être assuré que les rituels des devoirs et du dîner seraient respectés, Gwenaël de Blasio file vers une autre famille.

Depuis sept ans, ce quadragénaire réalise ainsi cinq ou six interventions à domicile par semaine, soit une visite hebdomadaire en moyenne dans chaque famille suivie par le service d’accompagnement des familles et des adolescents (Safa) de Morlaix, l’un des deux sites, avec Brest, de ce service d’AEMO (action éducative en milieu ouvert) à moyens renforcés. Le Safa a vu le jour en septembre 2012, en réponse à un appel à projets du conseil départemental du Finistère pour diversifier les réponses éducatives au niveau de la protection de l’enfance. Son action ? Intervenir intensivement dans les familles pour soutenir la parentalité. Dès sa création au sein de l’association La Sauvegarde (Adsea 29), qui gère, entre autres, un Itep (institut thérapeutique, éducatif et pédagogique), un CMPP (centre médico-psycho-pédagogique) et une Mecs (maison d’enfants à caractère social), les mesures confiées par les trois juges des enfants de Brest affluent.

Accompagnement illimité

L’agrément initial portait sur 44 enfants, mais la capacité d’accompagnement est passée à 77 dès la fin de l’année 2014, pour atteindre 110 enfants actuellement, depuis la fermeture d’un service dédié aux mineurs non accompagnés et le transfert de trois référents éducatifs supplémentaires en juin 2020. Les enfants sont accueillis jusqu’à leur majorité, dans le cadre d’une mesure d’un an renouvelable. « Nous n’intervenons que sur mandat judiciaire, lorsque les enfants sont en danger selon l’article 375 du code civil. En général, les AEMO à moyens renforcés sont déployées plutôt après des mesures éducatives », précise Marianne Thomas, cheffe du service de Morlaix depuis 2019.

Des moyens renforcés ? Ceux accordés au Safa – de l’ordre de 28 € par jour et par mineur – permettent de fonctionner avec une équipe de cinq référents éducatifs, un chef de service, une psychologue par site, épaulée, depuis juin 2020, par une technicienne de l’intervention sociale et familiale (TISF) à temps partiel et une animatrice socioculturelle qui font la navette entre Brest et Morlaix (50 km). « Outre l’accompagnement à domicile, il y a un vrai besoin d’espaces de partage avec les familles. Cela suppose la mise en place d’activités ludiques (cours de cuisine, atelier bien-être ou sorties), récapitule Lisa Mazé, la TISF. Les référents n’ayant pas le temps de s’en occuper, je les soulage en prenant en charge l’organisation de A à Z. » Le temps, c’est précisément ce qui manque le plus souvent aux éducateurs. Et ce, même s’ils n’ont pas plus de 11 enfants simultanément à leur charge. « Cela peut paraître peu, mais c’est le maximum que nous puissions assumer pour rester disponibles de façon aussi resserrée tout en ayant la possibilité de répondre aux urgences », défend Sandrine Thomas, référente éducative à Brest depuis 2014.

Ouvert jusqu’à 21 heures durant la semaine, le Safa propose aussi des activités récréatives (anniversaires, groupes de paroles thématiques…) sur site le samedi et une astreinte éducative le dimanche, de 10 heures à 16 heures. A cela s’ajoute une permanence téléphonique, tenue à tour de rôle par les quatre cadres (direction et chefs de service) durant les heures de fermeture. « Notre numéro est largement diffusé pour que les parents puissent nous joindre en cas d’urgence. Un gamin qui se montre violent, des parents totalement désarmés au moment de coucher leur enfant, un ado qui a besoin de parler… Cette ligne sert avant tout à désamorcer les crises et à donner des conseils. Mais si la situation dégénère, on peut se déplacer », détaille Laurent Caroff, directeur du Safa, qui ne déplore que trois déplacements depuis la création du dispositif.

En conflit récurrent avec ses trois garçons de 18, 17 et 11 ans, dont il a la garde exclusive, Fabrice, 50 ans, sollicite régulièrement le service pendant les astreintes : « C’est très rassurant de pouvoir se confier à des professionnels. J’ai régulièrement des problèmes avec mes garçons, qui traînent dehors. Mais grâce aux conseils que je reçois, ils n’ont pas été placés. » Pour Sandrine Thomas, cet accompagnement illimité est la raison d’être du service. « Au Safa, nous suivons des familles très précaires sur des situations très dégradées. Si on est là, c’est que les parents n’ont pas fait ce qu’il fallait. Notre rôle est d’être présents à leurs côtés, de leur montrer qu’il y a d’autres possibles en trouvant les ressources nécessaires pour éduquer leurs enfants dans un environnement sécurisant et sécurisé. »

Tirer un enfant de son lit pour l’emmener à l’école, lui lire des histoires le soir pour l’endormir, préparer son repas et l’accompagner pour se brosser les dents, rencontrer son instituteur, prendre rendez-vous chez le coiffeur, faire du shopping… Rien ne semble irréalisable pour les éducateurs du Safa tant qu’il s’agit d’intervenir dans l’intérêt de l’enfant. « L’hygiène représente une grosse partie de notre boulot, mais on travaille aussi énormément sur tout l’aspect affectif. L’idée est de rejoindre l’autre là où il en est et de partir à la découverte des aptitudes parentales. Ce temps passé dans leur intimité va nous permettre de tisser un lien pour les amener à modifier leur comportement toxique », poursuit la référente brestoise qui, pour illustrer ses propos, cite le cas d’une mère de 8 enfants dont la fille de 12 ans est suivie au service. « Lorsqu’elle est arrivée dans notre dispositif, elle tapait ses enfants et ne leur montrait aucune manifestation affective, elle-même ayant un parcours de maltraitance physique. Depuis que je l’ai interpellée sur ce point, elle en a pris conscience, a suivi mes conseils et s’est mise à faire des câlins à ses enfants. C’est une évolution positive. »

Mais lorsque le déclic ne se produit pas, que les enfants peuvent s’appuyer sur d’autres ressources éducatives que leurs parents ou, à l’inverse, que la situation évolue mal, les professionnels du Safa n’attendent pas que l’enfant soit en danger pour dire « stop ». Le placement n’est ainsi jamais très loin. En 2019, il a concerné 9 audiences sur 30(1). Aux intervenants sociaux du service de se montrer vigilants. « On est souvent sur le fil, reconnaît Justine Petit, référente à Brest. Il y a des familles pour lesquelles les juges sont inquiets, mais ils nous laissent une dernière chance de les aider si cela peut représenter une plus-value pour les enfants. Ils savent que nous sommes au courant en temps réel de ce que vit la famille, de sorte que s’il se passe quelque chose, nous pouvons intervenir à l’instant T en obtenant une audience dans un bref délai ou en faisant une demande d’ordonnance de placement provisoire. »

« Souvent sur le fil »

Pour Clarisse, 17 ans, suivie depuis 2014 avec sa sœur jumelle, la question du placement s’est posée à maintes reprises. Seule la présence soutenante du Safa a permis qu’il n’aboutisse pas. « Le service est un pilier dans mon évolution que je n’avais pas chez moi puisque je ne peux pas compter sur ma mère. En revanche, je sais que je peux demander de l’aide à tout moment à mon référent qui, en plus de m’apporter de la stabilité familiale, est devenu un bon ami », explique la jeune fille. De son côté, son référent, Gwenaël de Blasio, confirme : « Il faut accepter que cela aille au-delà d’un simple accueil éducatif, surtout lorsque le suivi dure longtemps, comme c’est le cas avec Clarisse et sa sœur. »

Une telle relation de confiance n’est cependant pas sans exiger une phase d’apprivoisement réciproque et, dès lors que le lien est tissé, une grande souplesse de la part de l’éducateur pour que son intervention soit vécue comme aidante et non intrusive. « La principale qualité pour faire ce travail, c’est d’avoir des capacités d’adaptation importantes parce que les priorités changent tout le temps dans des situations si dégradées », appuie Marianne Thomas. Le soutien de l’équipe se révèle vital. Quand les éducateurs ne sont pas sur le terrain, ils sont dans leurs locaux respectifs où des instances techniques très régulières ont été pensées pour les aider à objectiver ou à prendre du recul. « Certes, on intervient seul dans les familles, mais il y a aussi tout ce regard croisé, ce travail d’observation fine qu’on tisse ensemble pour mieux comprendre une situation, et qui permet de se réajuster. Ici, finalement, c’est le service qui est référent », résume Caroline Quemener, qui a choisi de travailler en duo avec son confrère, Gwenaël de Blasio.

A Brest comme à Morlaix, la journée se déroule au rythme du ballet des entrées et sorties des véhicules blancs des éducateurs. Au-delà des temps de concertation pluridisciplinaire organisés, il est un passage quasi obligé tout aussi utile : la cuisine, où l’on se croise pour débriefer sa dernière visite ou grignoter un morceau avant de repartir pour une conduite ou une intervention à domicile. Des échanges informels que Justine Petit chérit : « Parfois, la notion d’urgence peut nous échapper. On ne sait simplement plus où donner de la tête. C’est important de savoir qu’on peut trouver une écoute de ce type. Sinon, on n’y arriverait pas, c’est trop difficile », légitime celle qui, jusqu’en septembre 2019, exerçait au Demos (dispositif éducatif de milieu ouvert de La Sauvegarde), autre service de l’association.

Bien que l’AEMO à moyens renforcés nécessite souvent une inscription dans le temps (2) pour permettre de sécuriser l’environnement dans lequel évolue l’enfant, l’accompagnement au Safa ne peut être prolongé au-delà de ses 18 ans. Pour éviter les sorties sèches, les éducateurs ont toutefois quelques solutions, comme la possibilité de réorienter les jeunes vers le Semo (service éducatif en milieu ouvert) de La Sauvegarde, qui les prend en charge jusqu’à leurs 21 ans, ou vers un foyer de jeunes travailleurs (FJT). Le suivi psychologique aussi s’arrête à l’âge de 18 ans, sans qu’il y ait un accès privilégié au CMPP. « La sortie est un gros souci, et c’est très difficile à vivre pour les éducateurs, notamment sur l’aspect de l’attachement, pointe Myriam Chuine, l’une des deux psychologues du service. On ne peut pas intervenir de façon aussi accrue sans s’attacher, qui plus est quand les parents sont défaillants. »

De leurs côtés, Jolan et Erika ont pu bénéficier d’une prorogation de six mois de leurs mesures en raison de la crise sanitaire. Un sursis bienvenu pour la famille comme pour Gwenaël de Blasio, qui va pouvoir préparer les enfants à une séparation plus en douceur. Mais ce dernier est confiant pour la suite : « La mère a fait des progrès remarquables. Ce qu’elle propose désormais est vraiment pas mal. Quant aux enfants, ils ont l’air heureux et, surtout, ils sont dans leur milieu naturel. C’était un pari sur l’avenir, mais cela valait la peine de travailler vraiment sur la relation. »

Notes

(1) Rapport d’activité du Safa, 2019 (document interne).

2) Selon le dernier rapport datant de 2019, la majorité des AEMO à moyens renforcés durent entre deux et trois ans. En 2019, trois se sont arrêtées avant le premier anniversaire, et deux après cinq ans.

Reportage

Protection de l'enfance

S'abonner
Div qui contient le message d'alerte
Se connecter

Identifiez-vous

Champ obligatoire Mot de passe obligatoire
Mot de passe oublié

Vous êtes abonné, mais vous n'avez pas vos identifiants pour le site ?

Contactez le service client 01.40.05.23.15

par mail

Recruteurs

Rendez-vous sur votre espace recruteur.

Espace recruteur