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Enfants placés  : vers une parentalité plurielle

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Happy family mother father and daughter walk on nature on sunset hold hand

Photo d'illustration.

Crédit photo saksit - stock.adobe.com
Régulièrement critiqués sur leur prise en compte des liens d’attachement des enfants, les professionnels de la protection de l’enfance sont pris en étau entre un modèle de pensée antérieur à la loi de 2016, qui s’est recentrée sur les besoins fondamentaux de l’enfant confié, et une mise en pratique complexe sur le terrain. La solution serait-elle d’encourager la pluralité des liens ? De plus en plus de voix s’élèvent pour l’affirmer.

 

La question des liens d’attachement de l’enfant placé en famille d’accueil avait été, pensait-on, suffisamment débattue au cours de ces dix dernières années… Les observations sur la gestion de la crise sanitaire en protection de l’enfance montrent, au contraire, qu’elle demeure de circonstance. Un rapport de l’Onpe (Observatoire national de la protection de l’enfance), publié le 5 mai dernier(1), fait ainsi état chez certains professionnels de « questionnements sur la nécessité de penser différemment les projets des enfants pour la suite », avec une prise en charge moins morcelée.

Bien que légitimes, ces questionnements sous-entendent que le fonctionnement actuel des institutions chargées de protéger les enfants est loin de faire l’unanimité, surtout lorsqu’il s’agit de privilégier leur équilibre affectif. « De par leur héritage de politiques familiales, les services de placement ont encore, pour certains, une conception parentaliste, avec des logiques où il faut laisser la place aux parents alors même que c’est délétère pour l’enfant », note Isabelle Porcheret, responsable d’une unité d’accueil familial à Châteaubriant (Loire-Atlantique).

De fait, à l’aune des théories sur l’attachement, de telles logiques interrogent. D’autant que nombre d’enfants restent placés toute leur enfance sans qu’aucun retour chez leurs parents d’origine ne soit envisagé. Le rôle des systèmes de protection de l’enfance n’est-il pas alors d’assurer la continuité de la prise en charge des 76 000 enfants et adolescents placés en familles d’accueil(2), plutôt que de maintenir cette idéologie pro-familiale qui montre aujourd’hui ses limites ?

 

Guerre idéologique

Avec la loi du 14 mars 2016, un cap semble toutefois avoir été franchi en faveur de la première alternative. Parce qu’elle recentre la prise en charge sur les besoins fondamentaux de l’enfant, cette loi intime en effet à l’aide sociale à l’enfance (ASE) d’offrir les meilleures conditions pour que l’enfant confié puisse grandir sereinement. Stabilité, équilibre affectif, sécurité… autant de paramètres que la famille d’accueil est en mesure de favoriser. Problème : au-delà de sa mission de protection, l’accueil de l’enfant à l’ASE est inscrit dans une temporalité, et son retour dans sa famille d’origine est une donnée de base. « C’est compliqué pour les professionnels, car ils doivent sans arrêt articuler leur regard pour avoir une double vue », considère Catherine Sellenet, sociologue et membre du CNPE (Conseil national de la protection de l’enfance)(3).

Un vœu pieux qui, sur le terrain, a tendance à se traduire par la coexistence de deux modes de pensée aux injonctions contradictoires, créant de fortes disparités d’interprétation. Bien que consciente de cette réalité, Laurence Begon-Bordreuil, coordinatrice de formation continue à l’ENM (Ecole nationale de la magistrature)(4), constate néanmoins une évolution sensible des pratiques : « Au niveau juridique, un mouvement de fond se matérialise, avec de plus en plus de décisions en fonction de la nature des liens et de la capacité d’évolution de ces liens dans le temps. L’idée n’est donc plus de se demander ce qu’on va faire dans l’année qui vient, mais quel est le projet pour les 18 ans de l’enfant. Ce qui, pour moi, est le signe que les mentalités évoluent dans le bon sens. »

Avant que de réels changements ne s’opèrent, il reste toutefois à dissiper une confusion, encore trop présente au niveau de l’institution comme à celui du législateur, entre le lien de filiation, qui situe l’enfant dans une histoire familiale, et les liens d’attachement. « En protection de l’enfance, on introduit trop souvent une concurrence entre ces deux liens. Cela explique que, parfois, on demande aux assistants familiaux de ne pas s’attacher aux enfants confiés, quand bien même on sait que c’est un besoin vital pour l’enfant », confirme Catherine Sellenet. Les psychologues parlent ainsi de conflit de loyauté. Si les professionnels cherchent à l’éviter, il est question avant tout, pour Nathalie Chapon, sociologue, enseignante et chercheuse au Lames (Laboratoire méditerranéen de sociologie, Aix-Marseille université), d’un positionnement d’adulte. « L’enfant fait très bien la différence entre ses parents, qu’il voit de temps en temps, et sa famille de cœur, avec laquelle il partage son quotidien. Si l’on s’inscrit dans le champ de la parentalité d’accueil, mieux vaut donc plutôt privilégier des positionnements complémentaires quand c’est possible. » Certains services sociaux s’y emploient déjà, et préfèrent miser sur les liens positifs plutôt que de pointer les dysfonctionnements affectifs des parents.

C’est ainsi le cas sur le territoire de Châteaubriant, où est laissée aux parents de l’enfant placé à long terme la possibilité d’exercer une parentalité partielle, de façon à permettre à l’enfant de s’attacher à sa famille d’accueil sans pour autant effacer ses parents biologiques. « A nous d’aller chercher ce lien de confiance avec les parents qui permet d’inventer des solutions qui sortent du cadre, affirme Isabelle Porcheret. A partir du moment où, autour de l’enfant, les adultes en référence sont en capacité de communiquer, cela remet tout de suite l’enfant à sa place d’enfant. »

 

Attachements pluriels

Travailler davantage avec les parents réclame ce­pendant de développer les mesures adéquates de soutien à la parentalité. « J’ai des souvenirs d’équipes de l’ASE très impliquées dans l’accompagnement des parents sur le plan social, mais aussi des démarches psychologiques pour qu’eux-mêmes soient en capacité de sécuriser leurs enfants », témoigne Laurence Begon-Bordreuil. Quant au département de la Gironde, il expérimente les conférences familiales, un concept innovant qui redonne aux familles le pouvoir d’agir (voir ce numéro, page 15). L’objectif de ces différents types de soutien ? Puiser dans les compétences parentales afin de les aider à surmonter leurs difficultés tout en les accompagnant à devenir acteurs de leur situation.

Reste que, faute de temps pour les travailleurs sociaux, parfois contraints de gérer simultanément une trentaine de situations, il arrive que la mise en œuvre opérationnelle tarde. Il s’agit ainsi souvent davantage de proposer un soutien parental pour éviter le placement, pour lequel une myriade de solutions existe (aide éducative à domicile, accueil séquentiel, mise en place de groupes de paroles, formation, familles-relais…), que de mettre en place des mesures de soutien pour un retour tout en douceur de l’enfant chez ses parents. Pour compenser, certains conseils départementaux n’hésitent pas à faire appel à des associations, à l’instar du département du Bas-Rhin, avec la Maison Sainte-Odile ou de celui de la Loire, avec les Garagnas (voir page 14).

Ailleurs, en Europe, les services de placement mettent l’accent sur la solidarité familiale, en faisant intervenir la famille élargie (voisin, tante, professeur, etc.). « Mobiliser toutes les familles pour développer une solidarité familiale d’accueil est une démarche à valoriser dans l’intérêt de tous, exhorte Nathalie Chapon. Cette démarche permet d’établir une relation d’égalité et de réciprocité. C’est également une vision différente de la famille qui est ici proposée en protection de l’enfance, puisqu’elle est considérée comme une ressource et non comme un problème. » Pourquoi ne pas imaginer aussi un soutien qui trouverait sa source auprès des assistants familiaux eux-mêmes, pendant les temps de visite et d’hébergement de l’enfant, mais également lors de son retour définitif ? Ce type de démarche passe d’abord par une reconnaissance de leur place au sein de l’équipe pluridisciplinaire (voir encadré page 8). Or, dans la pratique, celle-ci n’est pas toujours acquise.

 

Travail en réseau

Une meilleure valorisation participerait pourtant d’un travail qui a tout intérêt à se faire en concertation. Pour les acteurs de l’enfance, cela signifie de savoir penser l’accueil, de le construire et de l’évaluer en croisant les regards. « Regarder si les hypothèses de départ sont bonnes, s’assurer que les besoins de l’enfant et des parents soient régulièrement évalués pour ne pas les “figer” dans le temps, tout cela se pense avec l’ensemble des intervenants professionnels et associatifs autour de l’enfant, y compris le monde du soin et de la scolarité, insiste Isabelle Porcheret. Personne ne détient la vérité. Mais on peut s’en approcher quand on est plusieurs à réfléchir. »

Ainsi, le décloisonnement entre les acteurs de la protection de l’enfance via des échanges entre cadres et coordonnateurs de parcours, mais aussi avec les assistants familiaux, compte. Sans oublier les outils, tels que le PPE (projet personnalisé pour l’enfant), le référentiel d’évaluation participative Esoppe (voir encadré ci-dessous) ou le coffret « Ecris l’histoire » (voir page 15), qui renforcent la pluridisciplinarité des approches. « Cela nous permet de regarder ce qui fonctionne et ce qui ne fonctionne pas, analyse Christine Simon, responsable du pôle “enfance jeunesse” au sein du département des Yvelines. C’est aussi un moyen de ne rien oublier dans la prise en charge de l’enfant qui, on le sait, peut parfois être à l’origine de ruptures dans les accueils. »

Si le défi des institutions consiste à tenter de rendre les parents capables de satisfaire les besoins fondamentaux de leur enfant avant que son développement ne soit compromis, elles doivent aussi avoir les moyens de s’adapter lorsque les difficultés relationnelles avec eux empêchent l’équilibre de l’enfant protégé. La CNCDH (Commission nationale consultative des droits de l’Homme) ne dit pas autre chose lorsqu’elle appelle à « une clarification des textes relatifs à la délégation et au délaissement parental », mais aussi à « réfléchir à l’organisation d’un statut plus pérenne et stable, tout en conservant le lien de filiation, qui passerait par une évolution des règles de l’adoption simple »(5). « Se poser la question de refaire passer l’enfant devant le magistrat n’est pas idéal pour l’aider à s’installer durablement dans ses liens d’attachement », abonde Isabelle Porcheret. Encore faut-il que ces réformes soient suivies d’une formation adéquate des professionnels. « Il y a une forte attente de leur part car cette question de l’attachement nous fait cogiter, observe Régis Sécher, directeur régional de la formation continue à l’Arifts de Saint-Nazaire (Loire-Atlantique). On n’a certes pas encore trouvé toutes les solutions, mais ça bouge. Et dans le bon sens. »


 

Mieux associer les assistants familiaux

En France, l’assistant familial est un travailleur social dont les compétences sont attestées par un diplôme d’Etat, obtenu à l’issue d’une formation obligatoire de 240 heures. Une profession reconnue et respectée dans la plupart des cas, mais pas suffisam­ment intégrée au processus décisionnel. Et ce, alors qu’un jeune confié à l’ASE sur deux est en famille d’accueil(1). L’un des enjeux de la stratégie nationale de prévention et de protection de l’enfance 2020-2022, présentée en octobre 2019, consiste à revaloriser la place des familles d’accueil et à mieux les accompagner sur le terrain, comme le font déjà certaines associations telles que Petales France (voir page 15). Cette refonte inclut notamment les conditions d’emploi et la question du soutien professionnel (intégration au sein des équipes éducatives, permanence téléphonique). Elle vise aussi à mieux l’associer au parcours de l’enfant au sein de l’ASE. Des réunions de travail ont lieu jusqu’en janvier 2021, après lesquelles l’exécutif rendra ses conclusions.


 

Un référentiel pour évaluer le parcours de l’enfant

Résultat d’un long cheminement, le référentiel Esoppe (Evaluation participative des situations en protection de l’enfance) est mis en place au niveau national depuis 2011. Validée scientifiquement, cette méthode a pour but d’assurer une équité d’évaluation et de traitement tout au long du parcours de l’enfant. Des outils cliniques ont été élaborés par âges en collaboration avec des médecins, des pédopsychiatres et des neuropédiatres et ont donné lieu à des guides en direction des professionnels sur le développement de l’enfant, les indicateurs de maltraitance, l’évaluation de la souffrance infantile et les compétences parentales. Depuis 2019, ils sont expérimentés par 15 départements, dont le Val-de-Marne, l’Essonne, la Somme et la Loire-Atlantique, avant d’être déployés au niveau national. « Grâce à ses indicateurs précis, communs à l’ensemble des professionnels de l’enfance protégée, le référentiel nous permet, au quotidien, d’affiner les besoins réels des enfants et de leur famille pour adapter nos réponses rapidement », constate Isabelle Porcheret, responsable de l’unité d’accueil familial en Loire-Atlantique.


Notes

(1) « Premières observations sur la gestion du confinement/crise sanitaire en protection de l’enfance » – A lire sur bit.ly/3ki0per.

(2) « Les mineurs et les jeunes majeurs accueillis à l’aide sociale à l’enfance » – Drees, 2019.

(3) Auteure de Vivre en famille d’accueil : à qui s’attacher ? – Ed. Belin, 2017.

(4) Auteure de Le juste positionnement du juge pour enfants et de ses partenaires face aux conduites d’opposition des mineurs – Ed. érès.

(5) Recommandations n° 9 et 10 – « Le respect de la vie privée et familiale en protection de l’enfance : un droit fondamental difficilement assuré dans un dispositif en souffrance » – CNCDH, 26 mai 2020.

(1) « Les mineurs et les jeunes majeurs accueillis à l’aide sociale à l’enfance » – Drees, 2019.

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