Ce lundi 6 avril, ce ne sont pas moins de 36 associations et de 88 avocats d’enfants (1) qui viennent d'adresser une lettre ouverte au Premier ministre, Edouard Philippe, ainsi qu'au ministre des Solidarités et de la Santé, Olivier Véran, à la garde des Sceaux, Nicole Belloubet, et au secrétaire d’Etat chargé de la protection de l’enfance, Adrien Taquet. Ils leur demandent par ce biais des mesures contraignantes pour obliger les départements à effectuer une prise en charge réelle des mineurs isolés.
Des recommandations avaient déjà été formulées dès le 19 mars au travers d’une fiche de consignes dans laquelle les services d'Adrien Taquet indiquaient : « Une continuité d’activité doit être prévue en ce qui concerne les missions relatives à l’évaluation, la mise à l’abri et l’accompagnement des mineurs non accompagnés […], il est prioritaire d’assurer a minima la mise à l’abri et l’accompagnement de ce public. » C’est ensuite dans un communiqué du 24 mars que le secrétaire d'Etat affirmait que « tout jeune évalué mineur ou majeur sera mis à l’abri, soit par une prise en charge par l’aide sociale à l’enfance, soit via un hébergement d’urgence, durant cette même période de crise exceptionnelle ». Et il aura fallu attendre le 3 avril pour qu'une note de consignes spécifiques soit produite au sujet de la prise en charge des mineurs non accompagnés, récapitulant ces recommandations.
Obstacles sur le terrain
Mais, sur le terrain, les associations et les avocats pointent que les obstacles à l’accès à une protection effective pour les mineurs isolés, qui existaient avant la crise sanitaire, perdurent. Ainsi, dans ce courrier adressé au Premier ministre, ils dénoncent : « Dans la Nièvre, le Cher et le Doubs, aucun accueil provisoire d’urgence n’est mis en place. » Paris est également mis en cause, avec « un accueil provisoire d’urgence très limité suite à la fermeture provisoire du dispositif d’évaluation ». Marseille est évoqué, où « l’activité du dispositif d’évaluation a également été suspendue ». D’autres départements sont épinglés dans ce courrier, mais leur liste n’est certainement pas exhaustive, les associations témoignant également de leurs difficultés à recueillir certains témoignages.
Des solutions possibles
Face à ce constat, les associations et avocats signataires font des propositions et réclament du concret plutôt que des déclarations d’intention. Ils recommandent que des instructions soient envoyées aux procureurs afin que ceux-ci prennent des ordonnances de placement provisoire dès lors qu'ils sont avisés par un département ou saisis par le mineur lui-même d'une demande de protection – y compris en cas de refus antérieur d'un département.
Ils militent pour que soient assurées la continuité de l’accès au juge aux enfants et au juge des tutelles ainsi que la protection provisoire des jeunes en attente d’une décision ou d’expertises complémentaires. Conscients qu'un tel accueil peut constituer une difficulté pour certains départements moins riches que d’autres, ils proposent que l’Etat renforce sa participation au financement de l’accueil provisoire d’urgence. Cette lettre ouverte réclame que des solutions de prise en charge socio-sanitaire adaptées soient proposées pour les mineurs atteints du Covid-19. Mais aussi que des habitations libres soient réquisitionnés en cas de manque de places dans les structures d'hébergement des départements, le regroupement de dizaines de jeunes vulnérables dans un même lieu collectif (tels des gymnases) n’étant pas acceptable en matière de santé publique.
Pour les signataires, il s’agit de ne plus laisser un seul mineur isolé à la rue, Adrien Taquet s’y étant engagé il y a déjà plus d’une dizaine de jours.
« Une déclaration d’intention d’Adrien Taquet n’a rien de normatif », commente Anita Bouix, avocate au barreau de Toulouse et signataire de la lettre. « Le gouvernement est en mesure d’aller plus loin, affirme pour sa part Corentin Bailleul, chargé de plaidoyer à l’Unicef. Et d’ajouter : « Il peut prendre des mesures plus contraignantes par voie d’ordonnance ou par circulaire pour assurer la protection des mineurs isolés. »
(1) Pour les associations et syndicats : Amnesty International France, l'Association d’accès aux droits des jeunes et d’accompagnement vers la majorité (Aadjam), les Avocats pour la défense des droits des étrangers (ADDE), l'Association des avocats de Toulouse pour la défense des étrangers (ADE), l'Association pour la défense des mineurs isolés étrangers (ADMIE), l'Association nationale des assistants de service social (Anas), la Casa, la CGT-PJJ, la Convention nationale des associations de protection de l’enfant (Cnape), la Cimade, Défense des enfants International (DEI-France), Droits d’urgence, la Fédération des acteurs de la solidarité (FAS), la Fasti, la Fédération éducation recherche culture-CGT (Ferc-CGT), la Fédération des établissement hospitaliers et d’aide à la personne privés non lucratifs (Fehap), la Fédération d’entraide protestante (FEP), le Gisti, Hors la rue, la Ligue des droits de l’Homme, Médecins du monde (MDM), Médecins sans frontières (MSF), les Midis du MIE, le Mouvement contre le racisme et pour l’amitié entre les peuples (Mrap), Paris d’exil, le Réseau éducation sans frontières (RESF), le Secours catholique Caritas France (SCCF), Soul Food, le Syndicat des avocats de France (SAF), le Syndicat national des personnels de l’éducation et du social-PJJ (SNPES-PJJ), Thémis, Timmy, Unicef France, l'Uniopss, l'Union syndicale Solidaires, Utopia 56.
Pour les avocats et les barreaux : le barreau du Val-de-Marne, Dominique Attias (Paris), Catherine Delanoë-Daoud (Paris), Isabelle Roth (Paris), Mélanie Duverney Pret (Paris), Emmanuel Daoud (Paris), Delphine Desailly (Paris), Yamina Goudjil (Paris), Johanne Sfaoui (Paris), Nathalie Muls-Brugnon (Paris), Pierre Rouanet (Paris), Sophie Menegon (Paris), Eric Delbecque (Paris), Laurence Gottscheck (Paris), Claudine Danvel (Paris), Benjamin Ladoux (Paris), Stéphanie Partouche-Kohana (Paris), Jean-Etienne Albertini (Paris), Mélanie Manelphe (Paris), Brigitte Jeannot (Nancy), Hélène Bouly (Versailles), Antoine Julié (Paris), Delphine Maréchal (Paris), Laurence Bilbille-Dauvois (Paris), Emilie Bruézière (Paris), Emilie Dewaele (Lille), présidente d’InfoMie, Anne Battini (Paris), Anne-Caroline Vibourel (Lyon), Nathalie Dréau (Paris), Anne-Carole Plaçais (Paris), Yann Chaumette (Nantes), Diane Sitruk (Paris), Maëlle Vi Van (Paris), Flora Peschanski (Paris), Isabelle Clanet Dit Lamanit (Hauts-de-Seine), Blandine de Blic (Versailles), Jean de Seze (Paris), Josine Bitton (Seine-Saint-Denis), Amandine Le Roy (Nantes), Sylvia Mesa (Paris), Brigitte Bertin (Besançon), Christelle Lafond (Paris), Saliha Herida (Paris), Delphine Lassailly (Paris), Maya Lino (Seine-Saint-Denis), Nadia Touloum (Paris), Ambre Benitez (Val-de-Marne), Marlène Buttin (Paris), Pascale Poussin (Paris), Noémie Saidi-Cottier (Paris), Véronique Boulay (Paris), Marie-Leïla Djidert (Paris), Frédérique Lendres (Paris), Léa Macarez (Paris), Stéphanie Lamy (Val-de-Marne), Karine Buchbinder (Val-de-Marne), Sarah Scalbert (Paris), Adeline Firmin (Lyon), Lucas Michel-Béchet (Paris), Amandine Dravigny (Besançon), Justine Langlois (Seine-Saint-Denis), Laura Beauvais-Mutzig (Paris), Sonia Rodrigues (Nancy), Isabelle Gugenheim (Paris), Alexandra De San Lorenzo (Paris), Louise Dumont Saint Priest (Paris), Camille Fonda (Paris), Marlène Safar Gauthier (Paris), Sophie Pochard (Lyon), Maripierre Massou Dit Labaquère (Pau), Séverine Rudloff (Strasbourg), Karima Tadjine (Paris), Julie Maire (Paris), Pierre Méral (Aurillac), Charlotte Singh (Paris), Claire Dujardin (Toulouse), Hélène Gorkiewiez (Paris), Olivier Tournillon (Val-de-Marne), Anaïs Lefort (Seine-Saint-Denis), Anne Lassalle (Seine-Saint-Denis), Pascal Nakache (Toulouse), Mathilde Jay (Toulouse), Meriem Ghenim (Seine-Saint-Denis), Jean Fozing (Paris), Judith Bazin (Montpellier), Jonathan Sorriaux (Compiègne), Annie Levi-Cyferman (Nancy), Sara Khoury-Cardoso (Toulouse), Pascale Korn (Paris).