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Commission d’enquête ASE : la Cnape craint une « ubérisation » du secteur

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Pierre-Alain Sarthou, directeur de la Cnape, et Didier Tronche étaient auditionnés mercredi 5 juin à l'Assemblée nationale par la commission d'enquête sur les manquements de la protection de l'enfance. 

Crédit photo DR
La commission d’enquête sur les manquements des politiques de protection de l’enfance auditionnait, mercredi 5 juin, la fédération des associations de protection de l’enfance (Cnape). Son président Didier Tronche réclame plus de visibilité budgétaire et des efforts sur l’attractivité des métiers.

Finances au plus bas, non-exécution des lois, épuisement des professionnels… Le président de la Cnape (fédération des associations de protection de l’enfance), Didier Tronche, et son directeur Pierre-Alain Sarthou n’ont pas mâché leurs mots face à la commission d’enquête relative à la protection de l’enfance.

La fédération insiste sur la situation des structures, au bord du gouffre tant en termes financiers que de ressources humaines, et dont les relations avec les financeurs nécessitent d’être améliorées.

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L’enquête menée fin 2023 auprès des adhérents de la Cnape soulignait la non-pérennité du système de financement, « inadapté à l’évolution des besoins ». « Dans le contexte de rationnalisation budgétaire, neuf structures sur dix observaient une inquiétante tendance à la baisse de leur niveau de trésorerie et une hausse de leur dette », illustre Didier Tronche.

Le président pointe le manque de visibilité budgétaire. Les contrats pluriannuels d’objectifs et de moyens (Cpom), introduits par la loi du 2 janvier 2002, ne sont que « très exceptionnellement » mis en place par les conseils départementaux, juge-t-il. « Pourtant, ils donnent de la visibilité. Il est possible d’améliorer l’offre d’intervention à condition d’avoir une temporalité de cinq ans, comme pour la santé. »

« Nous ne pouvons pas continuer à faire de la cavalerie budgétaire, insiste le président. Quand on reçoit un arrêté de financement en janvier 2023 pour l’année 2022, c’est du pilotage à vue. »

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Renforcer les pratiques budgétaires pluriannuelles s’avère d’autant plus nécessaire avec l’apparition de doubles vulnérabilités, qui implique un partage des responsabilités entre deux financeurs différents, l’Etat et les départements.

Didier Tronche pointe l’usure des professionnels et le déficit d’attractivité du secteur, confronté à la faiblesse des salaires et à des conditions d’exercice pénibles. « Quand on est seul avec des publics difficiles, qu’il faut gérer les particularités de chacun, on a besoin de soutiens institutionnels. »

Pour faire face au déficit d’attractivité récurrent, le secteur n’a d’autre choix que de recourir à l’intérim. Une solution qui coûte cher à des structures déjà exsangues. Pour la seule Seine-Saint-Denis, comme le souligne la rapporteure de la commission Isabelle Santiago (députée du groupe socialistes et apparentés du Val-de-Marne), le budget de l’intérim s’élève à 2 millions d’euros.

Dans ce contexte, Didier Tronche craint une « marchandisation » et une « ubérisation » du secteur.

Le président de la Cnape estime ne pas avoir « les ressources pour prendre en charge de manière cohérente » les enfants. De nombreuses actions éducatives en milieu ouvert (AEMO) ne sont pas exécutées. « On est en train de fabriquer des objets de maltraitance institutionnelle qui pèsent sur le moral des professionnels », s’inquiète-t-il.

La loi « Taquet » du 7 février 2022 impose, avant recrutement, la vérification du casier judiciaire (bulletin n° 2 mentionnant les infractions sexuelles et violentes) du candidat. Or les associations n’ont pas la capacité de procéder à ces vérifications. Interrogé par Isabelle Santiago, Didier Tronche estime que, face aux difficultés de recrutement, les structures ne peuvent attendre la réponse des autorités.

« Quand on n’a pas les renseignements par les services du ministère de la Justice, la Cnape passe par les services des départements pour avoir accès au bulletin. Mais il s’écoule un tel laps de temps entre la sollicitation des autorités et la réponse, qu’on ne peut pas attendre pour recruter. »

Et l’intérim accroit la problématique, estime Didier Tronche, qui considère que la mission devrait incomber aux agences elles-mêmes.

La valse des ministres 

La Cnape a alerté à plusieurs reprises les ministres et secrétaires d’Etat chargés de l’enfance sur l’effondrement de la protection de l’enfance. « J’ai l’impression de parler à des ministres qui n’ont pas la réponse. Ou elle est ailleurs : à Bercy, à Matignon, à l’Elysée, souligne Didier Tronche. Avec Charlotte Caubel, on a avancé sur un certain nombre de dossiers, mais elle avait beau exercer auprès de la Première ministre, l’interministérialité ne fonctionnait pas. »

Et les changements de ministres n’ont cessé de freiner l’application des lois. Comme celle sur les taux et normes d’encadrement des établissements de la protection de l’enfance. « Le décret traîne depuis la loi de 2022. On s’attendait à ce qu’il soit signé et on a changé de ministre. On ne peut plus continuer à voir la publication de décrets tarder ainsi. » Le président de la Cnape appelle à une « sécurisation » de l’application des lois votées.

La Cnape préconise de mieux prendre en compte la prévention, à travers les services de petite enfance, le secteur de la pédopsychiatrie et la psychiatrie infanto-juvénile.

Elle considère nécessaire de revoir la formation pour améliorer l’attractivité. La désaffection des candidats à l’entrée en formation impose d’en revoir l’ingénierie. « Il faut repenser les parcours professionnels, développer davantage l’apprentissage, utiliser les fonds collectés pour la validation des acquis de l’expérience (VAE) et mieux penser les passerelles pour valoriser les compétences antérieures », explique Didier Tronche. Il considère que l’obligation de rémunérer les stagiaires a appauvri l’attractivité de notre secteur, en raréfiant les lieux de stage, notamment dans les départements.

La commission d’enquête, qui a débuté ses travaux le 30 avril, doit remettre son rapport au plus tard le 8 octobre 2024.

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