ASH : Pourquoi avoir créé un tel néologisme ?
Jean-Philippe Murat : Ce mot exprime une idée forte : le handicap n’empêche pas d’entreprendre. La seule appellation qui existait auparavant était celle de travailleur indépendant handicapé (TIH), qui est quand même assez lourde et peu engageante. Il fallait absolument en trouver une autre qui soit à la fois plus collaborative et porteuse de valeurs. Le vocable « handipreneur » parle davantage aux éventuels prestataires ou fournisseurs avec lesquels on peut être amené à travailler. Il véhicule quelque chose de positif, qui va à l’encontre des préjugés habituels. Il fallait créer un mot marquant pour revendiquer cette capacité d’entreprendre. Etre « handipreneur » est un état d’esprit. Il illustre la résilience et le volontarisme dont font preuve tous ces chefs d’entreprise.
Le handicap est-il paradoxalement un atout pour créer son entreprise ?
Quand on regarde les entreprises lancées par des « handipreneurs », trois ans après leur création, elles enregistrent 13 % de réussite en plus que celles gérées par des personnes valides. Ces bons résultats sont en partie liés à l’énergie déployée par les entrepreneurs en situation de handicap. Aujourd’hui, en France, il y a 75 000 « handipreneurs » et près de 3 000 créations d’entreprise par an. Cette dynamique entrepreneuriale s’est accélérée ces dernières années avec les lois sur l’égalité des chances à entreprendre. On peut désormais parler de véritable « handiéconomie ».
Ce « boom » de l’entrepreneuriat est-il la conséquence des discriminations persistantes dans le monde du travail ?
Il existe encore effectivement une véritable discrimination à l’emploi. L’inclusion n’est réelle que dans les grands groupes du CAC 40. Au sein des grosses PME ou des TPE, la progression du taux d’emploi stagne à 3,6 %, alors qu’il devrait être de 6 %. Plutôt que d’employer directement des personnes en situation de handicap, le tissu économique a tendance à se défausser sur les Esat. Maintenant, la progression des « handipreneurs » correspond aussi à une véritable dynamique positive, qui permet de changer le regard sur le handicap.
Les « handipreneurs » sont-ils condamnés à se cantonner à la « handiéconomie » ?
Il est vrai que la plupart des créations d’entreprise que nous accompagnons sont axées autour du handicap. Elles ont en grande majorité des activités de conseil RH spécialisé dans l’inclusion et utilisent leur vécu personnel du handicap pour sensibiliser les managers ou les salariés. Les autres sont essentiellement des start-up orientées vers la compensation du handicap, qu’elle soit digitale, technologique ou mécanique comme la création de prothèses par exemple. Ces deux domaines représentent 80 % de la « handiéconomie ».