Actualités sociales hebdomadaires : Quelle est la genèse de cette enquête ?
Bertrand Decoux : A l’issue du premier confinement, nous avons estimé que l’association devait garder mémoire de ce que les établissements venaient de traverser. Nous nous devions d’enregistrer les témoignages des professionnels pour ne pas les oublier. Ce que nous avons vécu n'est pas banal. Il était important d’en conserver une trace. Durant cette période, le siège et la direction générale ont mis en place une cellule de crise. Nous étions en liaison permanente avec les directions de la vingtaine de structures de l’association, avec les professionnels, les médecins coordonnateurs, les cadres de santé… Mais nous n’étions pas sur place. Nous sentions bien qu’ils étaient en train de vivre des choses fortes. Ce rapport de 92 pages est la mémoire de ce qu’ils ont ressenti. Quand on le lit, on entre vraiment dans la tête, dans le cœur, dans les tripes d'un soignant en Ehpad au cœur de la crise.
ASH : Qu'est-ce qui vous a le plus marqué ?
B. D. : Nous avons été très impressionnés par l'engagement de nos professionnels durant la première vague, et cette étude nous permet aussi d’en comprendre l’origine, le ressort, la clé. Ce qui va nous permettre de voir, par la suite, comment améliorer la façon de travailler ensemble, de former nos équipes, de les sensibiliser à l’éthique.
Mais cette enquête a aussi pour volonté de mettre fin à une forme d’« Ehpad bashing ». Les professionnels font part de leur mal-être face à la couverture médiatique des Ehpad pendant la première vague. Selon eux, leur travail a été traité de façon un peu expéditive, et surtout très éloignée de la vérité. Avec leurs témoignages, ils donnent à connaître la réalité de leur métier, sa complexité mais aussi sa beauté.
ASH : Allez-vous en tirer des enseignements pour l'avenir ?
B. D. : Cette enquête nous permet de tirer quelques conclusions spécifiques. Il y a, par exemple, un chapitre sur la difficulté des directions à prendre des décisions dans une telle période. A l’association Monsieur Vincent, celles-ci ont été prises par les comités de direction et les directeurs de chaque structure. La direction générale n’est jamais intervenue. Nous savions que la situation était différente d'un Ehpad à l'autre, donc nous avons laissé une marge de manœuvre aux directions. La seule instruction donnée a été celle de communiquer de manière transparente aux familles sur la situation.
L'autre leçon majeure de cette crise est que nous sommes probablement victimes de la qualité d'accompagnement que nous avions dans nos structures avant la crise. Nos institutions sont des lieux de vie dans lesquels il y a beaucoup d’ambiance, d’activités intergénérationnelles, d’animation… C'était tellement naturel que nous ne nous en rendions pas compte. Et, tout d’un coup, quand nous avons dû nous transformer en quinze jours, fermer les portes, cela a été extrêmement brutal. Nous avons dû désapprendre les techniques d’accompagnement pour respecter les gestes-barrières.
Nous avons aussi vu que le travail en équipe et la pluridisciplinarité sont essentiels. Par exemple, au cours de l’enquête, nous nous sommes rendu compte que les cadres hôteliers et les responsables d’entretien, de la maintenance et de la sécurité avaient beaucoup de choses en commun. Nous allons donc réfléchir à une meilleure coordination de leurs travaux.