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Nouvelle loi immigration, "une poudre de perlimpinpin" (Najat Vallaud-Belkacem)

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Najat Vallaud-Belkacem est présidente de France terre d'asile depuis juin 2022. Elle a notamment été ministre de l'Education nationale (2014-2017) et ministre des Droits des femmes, de la Ville et des Sports (2012-2014).

Crédit photo DR
Le gouvernement a annoncé l'examen au Parlement, dès début 2025, d’un énième texte pour encadrer l'immigration. Il prévoit entre autres un allongement de la rétention administrative des étrangers clandestins jugés dangereux ou de revenir sur l’aide médicale de l'Etat (AME). De quoi inquiéter les associations, dont France terre d'asile. Sa présidente depuis deux ans, Najat Vallaud-Belkacem, livre son analyse aux ASH.

Avec près de 100 000 personnes accompagnées chaque année, France terre d’asile défend depuis plus de cinquante ans l’accueil des personnes exilées. Echanges avec Najat Vallaud-Belkacem, ministre de l'Education nationale sous la présidence de François Hollande et actuelle présidente de l'association. 

ASH : Que vous inspire l'enchaînement de toutes ces lois sur l'immigration, la prochaine étant déjà envisagée pour 2025 ?

Najat Vallaud-Belkacem : Depuis 1980, la France a vu passer plus de 30 lois sur l’immigration. Ce chiffre est colossal, mais ce qui est encore plus frappant, c’est que personne ne semble s’interroger sur l’efficacité réelle de toutes ces législations accumulées. Les mesures sont adoptées à un rythme effréné, sans que l’on prenne le temps d’en évaluer les impacts. Une nouvelle loi pour 2025 donc, alors même que celle de janvier 2024 n’a pas encore livré tous ses décrets d’application. Quelle place un tel enchainement peut-il laisser à la réflexion ?

La Cour des comptes a pointé, à plusieurs reprises, les failles de la mise en œuvre des politiques migratoires dans ses rapports critiques. Il devient plus qu’urgent d’instaurer une évaluation systématique de chaque loi pour en mesurer la pertinence et l’impact.

>>> à lire aussi : Les décrets d’application de la loi « immigration »

Prenons l'exemple de la rétention administrative : depuis que la durée maximale d’enfermement a été allongée (portée à 90 jours en 2018), les résultats ne sont pas au rendez-vous. En réalité, 81 % des éloignements sont effectués dans les 45 premiers jours, ce qui démontre que l’allongement n’est pas la solution si l’objectif recherché est un meilleur éloignement. Pourquoi s’obstiner dans l’inefficacité plutôt que de travailler sérieusement sur les conditions de l’efficacité (et notamment renforcer les effectifs chargés de ces sujets dans la police, la justice, les préfectures) ? En fait, dans cette mécanique de surenchère législative permanente, se niche une terrible paresse intellectuelle.

Quelles sont les conséquences d'une telle inflation législative ?

Sur le terrain, ce qui ressort avec force, c’est un besoin de stabilité. Les réformes législatives successives ne font qu’ajouter de la confusion pour toutes les personnes concernées : les étrangers eux-mêmes, les travailleurs sociaux, les agents des services de l'État, le collectivités locales… Vous n’imaginez pas combien cette complexité croissante rend l’application des règles de plus en plus difficile, au lieu de la simplifier.

Certes, il y a des points à améliorer, mais cela ne nécessite pas forcément une nouvelle loi. Prenons l’exemple de la dématérialisation des demandes de titres de séjour : de nombreux étrangers se heurtent à d’énormes difficultés pour obtenir leurs documents, ce qui peut entraîner des conséquences graves dans leur vie quotidienne, comme la perte d’emploi ou de ressources. Dans ce cas précis, il ne s’agit pas de légiférer encore, mais de rendre le système existant plus efficace et accessible. Ce simple ajustement pourrait déjà transformer la vie de nombreuses personnes et faciliter les démarches pour les entreprises qui les emploient, et fluidifier les parcours en évitant l’engorgement de l’hébergement d’urgence.

Il en va de même pour l’intégration des femmes migrantes. Plutôt que d’introduire de nouvelles règles, il serait plus utile de renforcer leur accès concret aux cours de français et de leur offrir des solutions de garde d'enfants adaptées. Tout cela contribuerait bien plus à leur insertion socio-professionnelle que n’importe quelle nouvelle loi. Ce n’est pas en ajoutant sans cesse des textes que l’on simplifiera la vie des personnes concernées, mais en leur offrant les moyens d’utiliser pleinement les droits qu’elles ont déjà.

Bref, le maître-mot devrait être « améliorons l’existant ». Pour un nouveau ministre cela peut sembler moins éclatant que de sembler réinventer la poudre tous les quatre matins, mais c’est un tort. Surtout quand la poudre en question n’est que de perlimpinpin tout en exacerbant les tensions dans la societé et abimant le respect des droits humains.

Pensez-vous que le durcissement des lois sur l'immigration relève d'un réel besoin sécuritaire ?

Il faut vraiment se méfier de cette habitude tenace de traiter les questions migratoires à travers le prisme sécuritaire. Trop souvent, on établit un lien direct entre immigration, délinquance et criminalité, ce qui constitue une dérive inquiétante. Ce raccourci nous empêche d’aborder les enjeux migratoires pour ce qu’ils sont réellement : des questions avant tout sociales, liées à la solidarité, à la santé, au travail, et à l’éducation. En enfermant le débat dans une perspective sécuritaire, on réduit considérablement la portée des reflexions et des solutions que nous pourrions mettre en place.

Pourtant, les sciences sociales offrent des analyses précieuses, basées sur des données solides, qui peuvent éclairer ces sujets bien mieux que les discours simplificateurs. Ces travaux permettent de remettre en perspective les chiffres, de mieux comprendre les réalités complexes des migrations, et d’éviter les amalgames trompeurs.

Appuyons-nous sur eux pour développer une approche plus nuancée, qui prenne en compte la diversité des parcours et des besoins des migrants, plutôt que de les réduire à des menaces potentielles.

La réforme de l’aide médicale de l’Etat (AME) est à nouveau évoquée, quelles en seraient les conséquences ?

La question de l’aide médicale de l’Etat revient sans cesse dans le débat public, tel un marronnier, alimenté à chaque fois par son lot de fausses informations et de polémiques inutiles. Pourtant, sur ce sujet, un consensus se dégage, que ce soit parmi les médecins, les professions médicales, les associations qui accompagnent les personnes étrangères, ou encore parmi les anciens ministres de la Santé de divers horizons politiques : supprimer l’AME serait une erreur grave. Au-delà des considérations morales et humanitaires, il s’agit aussi d’une question de bon sens en matière de santé publique et de gestion des finances publiques.

Refuser de soigner les personnes en situation irrégulière dès les premiers signes de maladie reviendrait à faire exploser les coûts de santé à long terme. Traiter une pathologie à un stade avancé, alors qu’elle aurait pu être soignée plus tôt, coûte bien plus cher à la collectivité. Ce raisonnement est simple et partagé par ceux qui connaissent le terrain. Ce n’est pas uniquement une question de solidarité, c’est une question d’efficacité.

De plus, proposer de rendre l’AME encore plus difficile d’accès, alors que l’on sait déjà qu’une partie importante des personnes éligibles n’y ont pas recours, ne répond absolument pas aux véritables enjeux. La question n’est pas de restreindre cet accès, mais au contraire de s’assurer que ceux qui y ont droit puissent réellement bénéficier des soins dont ils ont besoin, qu’il s’agisse de santé physique ou psychique. Nous parlons ici de personnes vulnérables, souvent dans des situations précaires, et leur refuser l’accès aux soins ne ferait qu’aggraver leur situation, avec des conséquences sur l’ensemble de la société. Il est donc indispensable de sortir de ces polémiques stériles et d’adopter une approche pragmatique, qui prenne en compte à la fois les impératifs de santé publique et les principes de solidarité.

Comment concilier à la fois la gestion des flux migratoires, la sécurité nationale et le respect des droits de l'Homme, dont le droit d’asile ?

De manière générale, il est urgent d’améliorer les conditions dans lesquelles nous accueillons celles et ceux qui arrivent sur notre territoire. Ces dernières années, les politiques ont souvent été façonnées autour de la crainte d’un prétendu « appel d’air migratoire », un mythe largement déconstruit par de nombreuses études. Ce fantasme a conduit à des choix qui négligent un fait essentiel : bien accueillir ces personnes, c’est accélérer leur intégration et, à terme, leur permettre de devenir des membres actifs et contributifs de notre société. En d'autres termes, un accueil digne et organisé est non seulement un impératif moral, mais aussi une stratégie efficace.

Beaucoup d'actions restent à entreprendre pour améliorer cet accueil, et elles ne nécessitent pas toujours de nouvelles lois. Il s’agit d’offrir un hébergement adéquat, de rendre les procédures administratives plus accessibles, mais aussi de garantir un accès aux soins de santé, tant physiques que psychiques, aux personnes qui en ont besoin. L’apprentissage du français, l’accès rapide à l’emploi pour les demandeurs d’asile, ainsi que la lutte contre les violences subies par les femmes migrantes, sont également des domaines où nous devons concentrer nos efforts.

Ce qui doit guider nos politiques migratoires, c’est cet accueil respectueux et structuré, qui facilitera par ailleurs le respect par la France de ses engagements en matière de droits humains. Trop souvent, on confond ces questions avec celle de la sécurité nationale, qui est certes un enjeu important, mais qui ne peut pas être l’unique filtre à travers lequel nous construisons nos réponses en matière d’immigration. En déplaçant le débat vers des considérations plus humaines et plus pragmatiques, nous pourrons enfin aborder les véritables enjeux et proposer des solutions qui soient à la hauteur de nos valeurs et de nos responsabilités.

De combien de places d’hébergement supplémentaires et de quels types de structures d’insertion aurions-nous besoin ?

Avant de parler d’augmenter le nombre de places d’hébergement, il faudrait déjà veiller à ne pas en supprimer. Actuellement, le ministère de l’Intérieur envisage de réduire plus de 6 500 places, alors même qu’il reconnaît que seul un nombre limité de demandeurs d’asile accède à l’hébergement spécialisé auquel ils ont droit. Et pourtant les prévisions montrent que le nombre de demandeurs d'asile en France risque d'augmenter légèrement l’année prochaine. Cette décision est donc non seulement incompréhensible, mais elle risque aussi d’avoir des répercussions graves sur d’autres politiques publiques : l’hébergement de droit commun, la lutte contre la pauvreté, ou encore la santé publique.

Dans le même esprit, les programmes départementaux AGIR, qui avaient pour vocation d’accompagner tous les réfugiés récents, subissent aujourd’hui des restrictions quant au nombre de personnes pouvant être prises en charge. La portée de cette politique d’intégration a été fortement réduite, ce qui signifie que beaucoup moins de réfugiés bénéficieront du soutien spécialisé nécessaire à leur insertion professionnelle et à leur accès au logement. Cette réduction d’ambition est un signal inquiétant.

L’urgence est donc claire : nous devons non seulement arrêter les suppressions de places, mais aussi ouvrir plusieurs milliers de nouvelles places d’hébergement. Ce n’est pas une question de court terme, mais de projection pluriannuelle, dans une logique d’investissement à long terme dans nos politiques sociales. Un investissement indispensable pour l’avenir de ces personnes comme de notre société.

>>> à lire aussi : Hébergement d’urgence : les 5 infos à retenir du rapport de la Cour des comptes

 

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