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Dans la peau d'une intervenante sociale au commissariat

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Nolvenn Croguennec, intervenante sociale, exerce au commissariat de Sevran, en Seine-Saint-Denis

Crédit photo Pénélope Bacle
Educatrice spécialisée, Nolvenn Croguennec exerce désormais comme intervenante sociale au commissariat de Sevran, en Seine-Saint-Denis. Violences conjugales, hébergement d’urgence, agressions, délits… Quotidiennement, elle tente de démêler les problématiques sociales des personnes en difficulté qu’elle accueille ou que ses collègues policiers lui envoient.

Il est 16 h 00. Assises à l’accueil du commissariat de Sevran, en Seine–Saint-Denis, une mère et sa fille, accompagnées d’une voisine, patientent. Le visage crispé, elles guettent un éventuel signal. Déjà mises à l’abri la veille dans un hôtel, Awa et la fillette ne savent pas où dormir ce soir, craignant le retour du mari et père au domicile, déjà condamné pour violences conjugales. Une femme s’approche d’elles, vêtue simplement d’un jean et d’un tee-shirt blanc, les cheveux tirés en arrière, en queue de cheval. C’est Nolvenn Croguennec, l’intervenante sociale du lieu. « Je vais voir ça », lance-t-elle aux deux femmes avant de s’engouffrer, via une porte mitoyenne, à travers les couloirs menant aux bureaux des policiers. Passé la salle de garde à vue, direction le premier étage, où opèrent les officiers de la brigade locale de protection de la famille (BLPF), ses principaux interlocuteurs. « Ils vont repartir pour tenter de nouveau de l’interpeller », lui explique la policière qui suit le dossier. Problème : entre-temps peu d’espoir, en cette veille de week-end de Pâques, de trouver un hébergement d’urgence…

Educatrice spécialisée pendant dix ans, Nolvenn Croguennec a travaillé en centre d’hébergement d’urgence, à l’aide sociale à l’enfance (ASE) et en pédo-psychiatrie, avant d’être embauchée en juillet 2019 au sein de la police. Une création de poste, renouvelée chaque année, et financée conjointement par le ministère de l’Intérieur et la mairie de Sevran. Dans ce département, à l’exception de trois commissariats, tous les autres sont dotés d’un tel poste d’intervenant social. Le commandant Philippe Aulanier s’était lui-même impliqué auprès du maire pour définir ses fonctions : « L’édile n’a pas été très difficile à convaincre, les violences domestiques constituent un sujet d’attention tant de la police nationale que de la mairie. »

La professionnelle, elle, se remémore son recrutement en souriant : « Mon but n’est pas d’être d’accord avec les policiers, glisse-t-elle. Je ne me suis pas laissé faire. Je lui ai parlé de certaines modifications dont avait besoin le commissariat. » Sa franchise s’est visiblement avérée payante. Cerise sur le gâteau qui a décidé Nolvenn Croguennec à postuler : son père est agent de police. Un avantage pour cette professionnelle qui s’est formée sur le tas mais qui connaît déjà le milieu et les codes. « Avec les policiers, il faut savoir s’imposer. Je les adore, mais ce n’est pas facile tous les jours. Exercer en commissariat à la sortie de nos études est très compliqué. Cela demande de l’expérience. »

Trouver un hébergement

16 h 15, Nolvenn Croguennec revient dans son bureau. Dans cette salle adjacente à l’accueil, où sont placardées diverses affiches de prévention, la confidentialité est de mise. Téléphone au poing, elle dégaine. L’objectif : éviter le 115. D’une part, pour ne pas bloquer une place d’urgence, d’autre part, parce que l’espoir est mince, à cette heure et dans le 93, de trouver un hébergement dans un dispositif saturé. Deux options s’ouvrent à elle pour mettre à l’abri Awa et sa fillette : demander au centre communal d’action sociale de financer une seconde nuitée d’hôtel ou contacter une des associations de son réseau. Les partenariats sont essentiels pour ce type de poste. « Je suis en lien avec les services de la protection maternelle et infantile, les écoles, les collèges, les associations, le service social, l’ASE, le théâtre, le Caarud, le centre culturel… », énumère-t-elle. « Le but est vraiment de créer des passerelles vers l’extérieur. » Et d’assurer les meilleures orientations – hébergement, suivi psychiatrique, protection de l’enfance, justice… – pour ces publics souvent fragilisés.

Une bénévole de Perri’Elles décroche. « Rappelez-moi vers 16h30 pour que je vois avec l’équipe si on peut la recevoir », lui répond-elle. Cette association, basée à Clichy dans le même département, créée suite au décès d’une jeune femme du quartier battue par son conjoint, met à disposition en nuitées temporaires un appartement, pour accueillir des femmes victimes de violences quand les mises en sécurité sont introuvables.

Un vrai « couteau suisse »

Nolvenn Croguennec avait déjà accueilli Awa, avec son interprète, la veille, avant son dépôt de plainte. Dans ce type de situations, une grande partie de son accompagnement se joue en amont : « Je reçois les femmes préalablement à la plainte, je les aide à mettre de l’ordre, pour que tout soit cohérent. Je suis là pour recueillir leur parole. » Entre mise à l’abri et écoute, « c’est du cas par cas, c’est comme un cheminement ailleurs. On laisse le temps aux gens de décider », assure-t-elle. Sauf face à un danger imminent pour un mineur. Car les problématiques de violences conjugales ne sont pas les seules à occuper la jeune femme. Celle qui se décrit comme un « couteau suisse » compte plusieurs dizaines de nouveaux dossiers chaque mois, qu’elle suit pour la plupart pendant un court moment. Des situations très diverses, allant des violences familiales et conjugales, aux conflits liés à la garde d’enfants, aux régimes de protection que sont la curatelle et la sauvegarde de justice, à la protection des jeunes majeurs, aux affaires psychiatriques et judiciaires…

Pour se faire connaître, elle n’hésite pas à aller sur le terrain, comme elle s’y est attelée dernièrement auprès des jeunes. « Cela demande un certain temps. J’ai commencé avec ceux qui avaient des soucis de permis. Maintenant j’ai de plus en plus de jeunes qui m’appellent avec des problèmes judiciaires », indique Nolvenn Croguennec. Au-delà, elle tente aussi de démêler des histoires de fugues, de vols à l’étalage, d’agressions… Avec l’idée d’apporter parfois « un autre point de vue ». Désormais, le système semble rodé : les policiers l’informent des mains courantes, de certaines plaintes et lui envoient tout ce qui a trait à la question sociale. « Il y a de tout dans un commissariat, du très mignon au très salace. Je suis toujours étonnée de voir comment les gens peuvent se confier sur l’intime face à un policier. Ici, c’est la dernière institution dont ils vont pousser la porte. Ils le font lorsqu’ils n’ont pas trouvé de réponses ailleurs. Quand il y a naufrage, c’est le seul bateau qui reste. » Les agresseurs aussi sont accompagnés. « J’ai reçu des violeurs, des pédophiles…, se souvient-elle. Quelle que soit la personne, face à une demande d’aide, je fonctionne de la même façon. »

16 h 30. Nolvenn Croguennec rappelle l’association Pérri’Elles. « Je peux venir chercher la maman dans une heure », lui assure la bénévole. Soulagement. Entre-temps, ceux qu’elle appelle « ses collègues » vont tenter d’appréhender le conjoint en question pour le placer en garde à vue. « Nous sommes dans le respect mutuel des professions de chacun. Avec les policiers vous devez faire vos preuves », souligne-t-elle. Pointant aussi « beaucoup de frustration » de leur part avant son arrivée : selon elle, les policiers regrettaient souvent de ne pouvoir s’assurer qu’un suivi et une orientation soient mis en place pour les personnes en situation difficile passant par leur commissariat. « L’intervenant social est à la base un facilitateur pour le suivi social des personnes et l’orientation vers les services ad hoc. En matière de violences conjugales, il permet également, en amont, de prendre en compte la victime aux premiers signaux d’alerte pour l’accompagner jusqu’à la prise de plainte », témoigne le commandant Philippe Aulanier.

Pour Awa, l’affaire reste en suspens. Celle-ci a donné aux policiers deux différentes adresses d’appartement, un ancien et un plus récent, de quoi semer la confusion. « On ne peut pas trouver le conjoint si on ne sait pas où il est », déplore Nolvenn Croguennec. Mais l’ex-éducatrice est habituée à ces zones grises : « Parfois on ne sait pas trop, si c’est vraiment parce que la femme ne sait pas ou si elle n’ose pas et que, finalement, elle oriente vers un autre endroit. Chaque jour est une nouvelle journée. C’est prenant. Nous sommes face à des victimes qui sont parfois complètement perdues, traumatisées, conclut-elle. Mon boulot commence à ce moment-là. Ce que je fais va compter pour la suite. »

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