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Protection de l’enfance : des éducateurs rompus à l’urgence

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Pierrick Noblet est le chef de service du SMAUE 

Crédit photo Tim Douet
Au sein du centre départemental de l’enfance et de la famille du Puy-de-Dôme, à Chamalières, le service mobile d’accueil d’urgence et d’évaluation assure, de jour comme de nuit, la mise à l’abri des enfants en danger. En première ligne, ses éducateurs ont développé une expertise qui fait désormais référence.

Victoria a tout juste 1 an. Il y a bientôt deux semaines, la petite fille a été recueillie au centre départemental de l’enfance et de la famille (CDEF) du Puy-de-Dôme, à Chamalières. Elle est arrivée dans le cadre d’une ordonnance provisoire de placement (OPP). Une décision du procureur de la République qui vise à la mettre à l’abri du contexte d’errance et de violences familiales dont elle était victime. Après être restée de longues heures au commissariat à la suite d’une intervention des forces de l’ordre au domicile de ses parents, elle a intégré la pouponnière du CDEF. C’est Yoan Rabaix, éducateur du service mobile d’accueil d’urgence et d’évaluation (SMAUE), qui a examiné sa situation. Il se rend aujourd’hui au palais de justice de Clermont-Ferrand pour une audience en assistance éducative. L’analyse et les préconisations élaborées dans son rapport serviront de base au magistrat pour établir si Victoria est en situation de danger à son domicile. Et, in fine, pour décider ou non du maintien de son placement au centre.

De telles évaluations, le SMAUE en a réalisé 110 sur l’année 2021. Un chiffre en constante augmentation (+ 146 % en comparaison de 2019). Créé en 2012, le service fêtera ses dix ans en juillet prochain. Après une décennie d’existence, son utilité n’est plus à démontrer. En assurant une veille sociale sur l’ensemble du département du Puy-de-Dôme aux heures de fermeture de l’aide sociale à l’enfance (ASE), le service répond à la fois au besoin d’accueil d’urgence du département et à celui d’évaluation sociale des situations. Cette double casquette est au cœur de l’intervention du SMAUE et est possible grâce à « l’ultra-flexibilité de l’équipe sur les horaires » et à « la souplesse de l’organisation », insiste Nicolas Béringer, éducateur sur le service depuis 2018. Composée de quatre éducateurs, l’équipe assure chaque mois une semaine d’astreinte entre 18 h et 9 h, les week-ends et les jours fériés. Cette disponibilité de tous les instants permet de répondre à l’urgence et de proposer une prise en charge éducative la plus rapide possible. Ainsi, après un appel du cadre de permanence, les éducateurs disposent de trente minutes pour se rendre « là où se trouve l’usager » : commissariat, hôpital, urgences pédopsychiatriques, famille d’accueil, hôtel, etc.

Un référentiel d’évaluation

« Le but premier de notre profession est de mettre l’enfant à l’abri. Une fois en sécurité et qu’il est une heure du matin, on peut dire que le job est fait. Le lendemain, on tente de comprendre le pourquoi de la crise, puis vient le temps de l’analyse », explique Nicolas Béringer. Une fois que le nourrisson, l’enfant, ou l’adolescent est accueilli dans l’un des foyers du CDEF, les équipes des internats prennent le relais et assurent son suivi éducatif quotidien. Les éducateurs du SMAUE peuvent alors se concentrer sur l’analyse de la situation. Le délai entre l’arrivée de l’enfant et la date de son audience devant le juge est de 23 jours au maximum (8 jours d’ordonnance provisoire de placement pour que le juge se saisisse du dossier et 15 jours de prolongement avant la date d’audience). Commence alors un numéro d’équilibriste dans lequel l’éducateur oscille entre l’urgence de l’évaluation et la prise de recul nécessaire à l’écriture.

Loquace et précis lorsqu’il évoque un dispositif éducatif, taiseux et évasif lorsqu’on le questionne sur les raisons de son engagement, Pierrick Noblet résume ainsi l’objectif du service qu’il dirige depuis 2019 : « On intervient sur un laps temps très court, dans lequel il faut recueillir un maximum d’éléments. On se concentre donc sur un aspect photographique de la situation. » Cet ancien éducateur spécialisé – lui-même passé par le SMAUE lors de sa création de 2012 à 2015 – souligne que la force d’une évaluation réussie réside dans sa dimension participative. « L’enfant et les parents font partie du processus, ils sont acteurs et non objets de l’évaluation », insiste-t-il.

Dans le cas de Victoria, il est impossible de recueillir la parole de l’enfant lors d’un entretien. Mais, selon l’équipe, les alternatives ne manquent pas. « Pour les plus petits, on utilise le jeu, les balades, les dessins… Il existe de nombreux médiums qui permettent de communiquer autrement avec l’enfant. Dans le cadre de l’évaluation, la communication non verbale est essentielle », précise Yoan Rabaix. Ainsi, les éducateurs du SMAUE observent avec attention l’enfant et ses comportements en présence de ses parents. Une absence de sourire, un visage qui se crispe, une hypervigilance, un éloignement physique d’une personne censée être protectrice ou encore une capacité à être rapidement en confiance avec un inconnu sont autant d’indicateurs essentiels à l’analyse d’une situation. Pour réaliser ces entretiens dans les meilleures conditions, une salle de jeux pour enfants et des espaces adaptés aux visites médiatisées entre parents et enfants ont été aménagés à l’étage de la maison où le service est installé.

Face à la diversité des situations qu’elle rencontre, l’équipe utilise une méthodologie précise. Elle s’appuie sur le référentiel Esoppe (évaluation des situations et observations participantes en protection de l’enfance), construit et édité par le centre régional d’études, d’actions et d’informations (Creai) d’Auvergne Rhône-Alpes et par l’Observatoire national de la protection de l’enfance (ONPE). Cette grille se décompose en quatre guides que les éducateurs peuvent consulter au gré des histoires qu’ils rencontrent. Ils disposent ainsi d’indicateurs et d’apports théoriques : maltraitances, compétences parentales, développement psychomoteur et souffrance infantile. Selon Rémy Galtier, éducateur du service, ces outils élaborés par des psychologues cliniciens et d’autres spécialistes de la protection de l’enfance constituent des ressources intéressantes car « ils viennent poser des constats et des observations empiriques, et permettent d’étayer davantage les analyses et les préconisations que l’on fait dans nos rapports ». Pour ce professionnel en poste depuis 2015, le travail d’évaluation s’avère plus dense qu’au début : « Avant, on se basait sur des hypothèses. Aujourd’hui, nous disposons de grilles d’évaluation et nous appliquons une méthodologie plus précise. »

L’objectif du rapport remis aux juges des enfants et à l’ASE est de faire émerger ce que Pierrick Noblet nomme la « trilogie des perceptions » : qu’en pense l’enfant, qu’en pense l’évaluateur, et qu’en pensent les parents ? Trois questions que les éducateurs du SMAUE doivent se poser en permanence. « Mais si les indicateurs du référentiel sont pertinents, ils restent généraux », insiste le chef de service. Afin d’éviter l’écueil du travailleur social qui « coche des cases », il invite son équipe à conserver une forme de liberté dans son travail et à cultiver un esprit critique : « Ce n’est pas la grille qui pense, c’est l’évaluateur. »

Une équipe transversale

Les locaux du SMAUE sont situés dans le centre départemental de l’enfance, à proximité des internats où sont accueillis les jeunes. Les bâtiments des foyers pour adolescents portent les stigmates de la violence animant ceux qui sont accueillis actuellement : impacts de pierres sur les vitres, mobiliers dégradés, traces d’incendie sur une façade… Les cicatrices sont nombreuses et se logent dans le bâti. Pour Rémy Galtier, ces dégradations sont symptomatiques d’un mal-être : « Ces derniers temps, un très grand nombre d’évaluations révèlent des cas de violences conjugales ou intrafamiliales. Ces souffrances et comportements violents se diffusent peu à peu dans les foyers. » Ainsi, 48 % des 29 enfants accueillis en 2021 dans le foyer des 11-15 ans étaient victimes de maltraitances dans leur famille. Pour plus de 71 % d’entre eux, il s’agissait de violences physiques. Dans ses missions quotidiennes, le SMAUE vient parfois porter renfort aux équipes des foyers lorsque des situations de crise le nécessitent, que le nombre d’enfants est trop important, que le personnel manque pour réaliser des accompagnements individuels ou encore qu’il faut déclarer des procès-verbaux de fugue au commissariat. Répondre à l’urgence, toujours. « Le feu dans les internats vient aussi nous impacter », résume Rémy Galtier.

Devant le foyer des 15-18 ans, Noah est assis dans un fauteuil rouge. Un bob vissé sur la tête, il scrute l’horizon, ou plutôt l’arrivée du chef de service. « C’est le jour de l’argent de poche, on est le premier mercredi du mois », explique-t-il, le sourire en coin. Agé de 15 ans, l’adolescent est arrivé il y a un mois. Lui aussi a été recueilli par les éducateurs du SMAUE. Au loin, il reconnaît Rémy Galtier, qui discute avec d’autres jeunes. « Lui, je l’aime bien. Il m’a aidé au début et il m’a rendu des services », lâche-t-il timidement. « Quand je suis arrivé, je n’avais rien du tout. Il est allé chez moi récupérer des vêtements et des affaires pour les cours », poursuit-il avant de se lever pour aller le saluer.

Les éducateurs du SMAUE échangent en permanence avec ceux des foyers éducatifs, et les renseignements qu’ils apportent s’avèrent cruciaux. « Ils vont échanger avec le lycée, les associations sportives, les parents, les grands-parents… C’est un recueil d’informations que l’on n’aurait jamais eu le temps de réaliser en parallèle du travail sur le foyer », souligne Agathe Islasse, éducatrice au foyer des 15-18 ans. Pour Sarah, qui aura 18 ans dans cinq mois et envisage de retourner vivre chez son père à sa majorité, le rôle du SMAUE a été déterminant dans son cheminement : « On a beaucoup discuté pour comprendre ce qui n’allait pas. J’ai pu alors connaître les raisons du placement. » Elle estime toutefois que la séparation avec les éducateurs a été soudaine. « Les éducateurs nous préviennent, mais c’est bizarre. On les voit beaucoup quand les choses ne vont pas, au début. Et ensuite, après deux semaines, on ne les voit plus. On les recroise parfois, c’est tout », expose-t-elle posément.

Chaque année, environ 200 enfants sont admis au CDEF (198 en 2021). Les éducateurs du SMAUE connaissent la grande majorité des contextes sociaux et éducatifs entourant les jeunes. De fait, cette expertise et cette disponibilité sont essentielles au maillage institutionnel du CDEF. « La transversalité, c’est l’avenir. Il faut décloisonner pour apporter davantage de fluidité dans les échanges et dans la communication. C’est dans l’intérêt des enfants », insiste Nicolas Béringer, alors qu’il termine la rédaction d’un rapport. Au cours des dernières années, le dispositif a été sollicité pour étayer et accompagner différentes équipes mobiles d’évaluation qui se créent dans d’autres départements (Moselle, Morbihan, Loire, Haute-Garonne). Pour Pierrick Noblet, cet intérêt témoigne d’une innovation qui porte ses fruits. L’étape suivante sera la diffusion des pratiques et des méthodologies du SMAUE en interne de l’institution et dans le centre de formation en travail social de la région. « Si tout le monde parle le même langage, cela favorise la transversalité et nourrit la culture institutionnelle », affirme-t-il.

Pour l’heure, la question qui anime l’équipe reste de savoir si le téléphone d’astreinte va sonner ou non cette nuit. La relative accalmie des derniers jours n’est probablement que passagère. En moyenne, le service avoisine un écrit tous les trois jours. De son côté, la petite Victoria retrouvera ce soir son lit à la pouponnière du centre. Le juge des enfants a décidé du maintien de son placement pour une durée de huit mois. La « bonne décision », estime Yoan Rabaix, avant d’aller prêter main-forte au collègue du foyer des 11-15 ans pour le repas du soir.

Reportage

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