A l’heure de #MeToo et de la remise en cause du patriarcat, quels sont les ressorts des conduites violentes qui s’exercent dans l’intime ? Y a-t-il une logique unique ? Une surdétermination ? Sont-elles l’expression de la domination masculine qui a prévalu pendant des siècles ou, à l’inverse, le symptôme de rapports de genre moins institutionnels et plus égalitaires ? Autant de questions auxquelles une équipe de sociologues et de démographes de l’université de Bordeaux ont tenté de répondre. Dirigée par Eric Macé, la recherche Genvipart vise à éclairer les logiques d’action des auteurs de violences dans le couple et leurs profils sociodémographiques.
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Durant trois ans, les chercheurs ont épluché les dossiers judiciaires de ceux contre lesquels des plaintes avaient été déposées et ont travaillé sur un échantillon de 167 auteurs suivis par le service pénitentiaire d’insertion et de probation (SPIP) ainsi que 72 à qui une alternative aux poursuites a été proposée. Ils se sont, par ailleurs, appuyés sur deux études de victimisation réalisées en population générale : « Cadre de vie et sécurité » de l'Insee et « Virage » de l’Ined qui recensent les violences subies au cours des 12 derniers mois.
Entre précarité et gravité
Conclusion : les violences psychologiques concernent un couple sur cinq, particulièrement des personnes jeunes et proportionnellement autant de femmes que d’hommes. A contrario, les hommes sont majoritairement responsables des violences graves. Ils disposent de peu de diplômes avec une surreprésentation des personnes au niveau du brevet des collèges, et beaucoup sont professionnellement inactifs. Parmi eux, des migrants d’origine maghrébine en France depuis peu.
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Christophe Bergouignan, professeur de démographie à l’université de Bordeaux, souligne, par ailleurs, que les violences psychologiques sont plus souvent le fait de personnes diplômées et intégrées dans le monde du travail. En revanche, « le chômage constitue une des composantes essentielles des violences physiques avec blessures visibles », note-t-il. Interviennent aussi dans les comportements violents, la consommation de substances psychoactives comme l’alcool ou la drogue, voire les médicaments. Autres facteur : un niveau de diplôme inférieur à sa partenaire et/ou un âge plus élevé.
« La puissance de l’impuissance »
« Nous avons repéré des logiques d’action et non des profils », prévient Eric Macé. Des logiques qui seraient moins marquées par le modèle patriarcal que par des « masculinités mal équipées » qui exposeraient les hommes à des « situations de vulnérabilité ».
L’enquête Genvipart définit quatre logiques d’action.
- Les violences habituelles, fortement présentes dans les milieux très précaires. Elles sont souvent sous-tendues par des parcours de vie chaotiques, des violences familiales durant l’enfance, des placements… Des violences constitutives de la vie des auteurs, en quelque sorte, dont les antécédents judiciaires sont fréquents. Ces violences sont intégrées au mode de fonctionnement du couple. « Elles interviennent assez tôt dans la vie du couple. Elles sont associées à une consommation régulière d’alcool ou autres substances », indique Nicolas Rebière, maître de conférence en démographie à l’université de Bordeaux.
- Les violences conjoncturelles qui correspondent à une perte du contrôle de soi, un débordement des émotions… Considérées comme « anomiques », elles sont souvent isolées. Le cas typique est l’explosion lors d’une séparation difficile, par exemple. Dans 60 % des situations, les auteurs ont des enfants avec la victime.
- L’emprise qui s’apparente aux violences oppressives, construites, organisées, froides… Parmi les auteurs, une proportion d'hommes appartenant à des classes moyennes et supérieures : 70 % ont un emploi régulier, 80 % ont des enfants avec la victime. Ils sont plus souvent nés hors de France ou sont allés chercher une femme à l’étranger. Selon Eric Macé, ils se démarquent par un « égocentrisme contrarié », lié à l’héritage patriarcal de la socialisation des garçons.
- La reprise du contrôle sur autrui, davantage associée à un « narcissisme blessé » qu’au patriarcat. Les auteurs ne supportent pas l’abandon, sont quittés donc ils ne valent plus rien… « Ils déclarent aimer les victimes mais il leur est insupportable, insoutenable, qu’elles ne les aiment pas ou plus, rapporte Eric Macé. C’est un type de violences les plus dangereux qui peut tourner au ressassement et au harcèlement. Une forme de puissance de l’impuissance », estime le sociologue.
Et après, que faire de ces typologies ? « Mieux on comprend les ressorts de la violence intime, mieux on peut construire des points d’appui pour agir, explique Eric Macé. Or, jusqu’à présent, les questions de masculinités sont absentes des prises en charge des auteurs et des dispositifs socio-judiciaires. »