Recevoir la newsletter

Thierry Delcourt, pédopsychiatre : « Un enfant ne se rééduque pas, il se construit »

Article réservé aux abonnés

Engagé dans la recherche d’une qualité et d’une éthique du soin, Thierry Delcourt dirige l’organisme de formation professionnelle des psychiatres et est l’auteur de La fabrique des enfants anormaux (éd. Max Milo, 2021).

Crédit photo DR
Aux Etats-Unis, environ 20 % des enfants souffriraient d’un trouble neurodéveloppemental. En France, leur nombre a progressé de 300 % en quinze ans. Un phénomène lié à de nombreux surdiagnostics et à une machine à produire du handicap dès qu’un enfant n’entre pas dans les cases.
Les enfants sont-ils vraiment plus « anormaux » aujourd’hui ?

Pas du tout. En revanche, on les catégorise beaucoup plus vite qu’avant. Les enfants doivent correspondre à des standards. Si une déviance apparaît par rapport aux normes édictées, l’enfant qui est décalé parce qu’il est immature ou différent est considéré inadapté. De là, on glisse très vite vers l’idée qu’il est anormal, voire handicapé, donc il va falloir le « rééduquer ». Mais un enfant en train de se former ne se rééduque pas, il se construit. Le système ne se demande pas s’il est approprié ou non à la diversité des enfants, il remet en question l’enfant qui n’entre pas dans les cases. Or la norme s’avère de plus en plus prégnante avec la notion d’inclusion. S’il existe une certaine tolérance par rapport aux variations de l’enfant, à un certain âge, il doit avoir acquis un certain nombre d’apprentissages. A un autre, il doit avoir un certain comportement. S’il a du mal à gérer son corps, à rester relativement calme, qu’il est anxieux, il est pointé car il dérange. Les enseignants, eux-mêmes contraints d’appliquer des programmes standardisés, renvoient aux parents le fait que leur enfant pose problème et qu’il doit passer des tests pour établir un bilan neuropédagogique.

 

C’est ce que vous constatez dans vos consultations ?

Les parents sont affolés. Ces dernières années, j’ai entre cinq et six demandes de nouveaux rendez-vous tous les jours. Les pédopsychiatres ne sont pas très nombreux mais il y a tout de même davantage de parents en désarroi qu’avant parce qu’on leur a dit, par exemple, que leur enfant, en maternelle, travaillait mal. C’est d’autant plus étonnant que la pédopsychiatrie, longtemps marquée par la psychanalyse, est un peu stigmatisée car elle ne répond pas à ce que l’Education nationale et la société veulent, c’est-à-dire plutôt aborder les choses en termes de neuroscientisme. Les parents viennent nous voir car ils craignent justement que l’on dirige leur enfant vers un traitement médical. Aux Etats-Unis et au Canada, un enfant ne rentre pas à l’école s’il ne prend pas ses médicaments, soit la Ritaline pour l’hyperactivité, soit des amphétamines destinées à modifier le comportement, soit un antipsychotique qui change en profondeur la personnalité. Ces molécules ont d’importants effets secondaires : des enfants de 12 ans grossissent de dix kilos en six mois.

 

Qu’est-ce que la tyrannie du trouble neurodéveloppemental que vous dénoncez ?

Il y a les troubles du spectre autistique, que j’appelle le « spectre des troubles autistiques » tellement c’est devenu un sac fourre-tout. Mais le pire, c’est le trouble oppositionnel avec provocation (TOP). Celui-ci a été créé de toutes pièces dans le dernier DSM(1), la bible de nombreux psychiatres et des autorités de santé. Il signifie qu’un enfant un peu instable et turbulent, comme cela arrive, va être rapidement affublé de ce diagnostic. La perversité réside dans ce que ce DSM est élaboré en lien direct avec l’industrie pharmaceutique et qu’il va propulser l’enfant dans une spirale infernale. Un jeune peut avoir un trouble développemental. Certaines situations, comme la séparation de ses parents, l’amènent parfois à régresser ou à se replier sur lui-même mais il ne s’agit pas d’un trouble neurodéveloppemental. Il est nécessaire de l’écouter, de l’entendre pour lever des obstacles psychiques, psychosociaux ou culturels. Je ne suis pas anti-bilan, j’envoie les enfants chez des orthophonistes, des psychomotriciens, des psychologues… pour les remettre en route mais pas dans l’esprit de les rééduquer. Bien évidemment, certains enfants comme les autistes ont besoin d’être stimulés par des aides cognitivo-comportementales. Mais aujourd’hui, on a basculé d’une psychanalyse qui était à côté de la plaque à une simplification pratique et à une médicalisation excessive.

 

Quelle nécessité pour les parents de passer par la MDPH ?

C’est la seule solution pour avoir des aides spécialisées. Si des parents emmènent un enfant chez une psychomotricienne en ville, la consultation n’est pas prise en charge. D’où une tendance à majorer les problèmes pour que le dossier soit accepté par la MDPH [maison départementale des personnes handicapées]. Cette dernière a toute son utilité pour des troubles graves. Mais la forte incitation à y avoir recours actuellement pour des enfants agités, inhibés, phobiques… fait que plus de 3 % des enfants scolarisés en France sont étiquetés handicapés contre 1 % il y a quinze ans. A ce rythme, il est probable que l’on approche des 15 % bientôt. J’ai eu le cas d’un jeune patient de 10 ans dont la maîtresse s’est inquiétée d’un regard fuyant, de tics et d’un repli dans son monde. Après un bilan neuropsychologique codifié, le diagnostic tombe : trouble du spectre autistique. Envoyé dans une Ulis [unité localisée pour l’inclusion scolaire], ses symptômes se sont aggravés et sa mère m’a sollicité. Une fois en confiance, son fils m’a révélé une période traumatique d’errance avec sa mère et l’obligation de rester incognito suite aux menaces du père. Les experts de la MDPH étaient passés à côté de sa souffrance. La maman, figée par l’étiquette d’autisme, n’a pas pu associer leur histoire chaotique et le comportement de son garçon. C’est encore plus grave pour le TDAH [trouble du déficit de l’attention avec ou sans hyperactivité] où il y a un surdiagnostic épouvantable.

 

Que raconte cette fabrique d’enfants « anormaux » de notre société ?

Elle traduit une contradiction majeure entre la notion, très positive, d’inclusion et une pensée de plus en plus réductrice et simplificatrice qui évacue le psychologique et ne prend jamais en compte les conditions de vie de certains enfants. Cette considération des conditions de vie permettrait, si on y met les moyens, de mieux les inclure. Le déni de la souffrance psychosociale des jeunes issus de milieux défavorisés finit par les isoler. La considérer, c’est instaurer une pédagogie adéquate qui génère l’envie de découvrir, d’apprendre, qui produit un espoir de réussir. L’aptitude aux apprentissages scolaires n’est pas innée, tout comme l’autonomie pour en bénéficier au mieux. Le potentiel de ces élèves est entravé par un redoutable mécanisme d’autocensure qui agit très tôt. Or la politique actuelle est de transformer les centres médico-psycho-pédagogiques et les centres d’action médicale précoce en plateformes d’orientation et de coordination. C’est terrible car les professionnels qui ont des compétences dans l’aide psychologique vont devoir produire du diagnostic, lequel va amener à une voie unique : le handicap. On va passer d’une réalité sociale à une stigmatisation de l’anormalité. La même norme ne peut pas s’appliquer à tout le monde.

 
Notes

(1) Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux.

Protection de l'enfance

Entretien

S'abonner
Div qui contient le message d'alerte
Se connecter

Identifiez-vous

Champ obligatoire Mot de passe obligatoire
Mot de passe oublié

Vous êtes abonné, mais vous n'avez pas vos identifiants pour le site ?

Contactez le service client 01.40.05.23.15

par mail

Recruteurs

Rendez-vous sur votre espace recruteur.

Espace recruteur