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Soigner les hommes violents pour protéger les victimes

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Panorama of therapist's hands while gesticulating during group therapy

Photo d'illustration.

Crédit photo Photographee.eu - stock.adobe.com
Il y a près d’un an, le Grenelle des violences conjugales mis en place par le gouvernement s’achevait avec l’édiction de plusieurs mesures phares. Parmi lesquelles la prise en compte du suivi des auteurs de violences, plus discrètement amenée sur la table. Un début de reconnaissance pour les structures qui agissaient jusque-là dans l’ombre, mais qui ne doit pas faire oublier que la violence est un délit.

 

« Pour neutraliser les violences et, in fine, protéger les victimes, il faut aider les auteurs. » Les mots de Patricia Overwater ne font pas toujours consensus. Educatrice spécialisée à Saint-Etienne au sein de l’association SOS Violences conjugales, elle est depuis 2017 à la tête du service « Virage », chargé de l’accompagnement des auteurs de violences conjugales. Après avoir travaillé auprès des victimes pendant sept ans, la travailleuse sociale a eu envie d’aller voir « de l’autre côté ». « Je considère la prise en charge des violences conjugales dans une forme globale, sans isoler ni opposer les auteurs et les victimes », explique Patricia Overwater, avant d’ajouter : « S’intéresser aux auteurs ne signifie pas les légitimer ni valider leurs actes, mais simplement prendre leur histoire en compte et les responsabiliser par rapport au passage à l’acte. »

Depuis plusieurs années, la structure agit ainsi sur trois tableaux : des groupes de parole pour les personnes condamnées, des stages de responsabilisation en tant qu’alternatives aux poursuites décidées par le procureur et des entretiens individuels sur la base du volontariat (voir ce numéro, p. 14). « On n’a pas attendu le Grenelle pour agir, mais il nous a donné un peu d’espoir et de visibilité. On observe une prise de conscience quant à la nécessité de prendre en charge les auteurs », se réjouit la référente stéphanoise. Confortée par ce nouvel élan, la structure a signé le 29 septembre un partenariat avec le Planning familial de la Loire pour expérimenter le nouveau dispositif « Liens sans violence ».

Ne pas nier la réalité

Déployé dans le département de la Loire, le pays roannais et la plaine du Gier, ce programme consiste à recevoir des couples volontaires pour des séances communes (actuellement, cinq séances d’une heure et demie chacune) coanimées par deux salariées du Planning familial. « L’idée du dispositif est venue du constat que les violences ne séparent pas tous les couples et qu’il existe une vraie demande de ce côté, abonde Patricia Overwater. Nous avons l’habitude d’organiser des groupes de parole et des stages de responsabilisation, mais les victimes ne peuvent pas y participer, que ce soit pour entendre les propos des auteurs ou pour s’exprimer face à eux. ». A ses côtés, Laëtitia Mounier, médiatrice au Planning familial : « Ces séances doivent permettre au couple de trouver un espace de parole sécurisé, pour que chacun entende le discours de l’autre sur la violence, et pour que la victime puisse retrouver une forme de contrôle et de confiance en elle. »

Conscientes des critiques et des risques inhérents à ce type de programme expérimental, animatrices et éducatrices assurent qu’il ne s’agit pas d’une médiation familiale – processus visant à reconstruire le lien familial par le biais d’un médiateur. « Dans le cadre des violences conjugales, il y a un dominant et un dominé, et nous n’avons aucune intention de nier cette réalité », assure Michèle Badiou, présidente de l’association SOS Violences conjugales. Alors, pour encadrer le projet, le travail de préparation est essentiel. Au préalable, victime et auteur se rendent mutuellement à quatre rendez-vous individuels – au sein du Planning familial pour les victimes, et de Virage pour les auteurs. « Côté auteurs, les entretiens doivent permettre d’identifier le type de violence exercée et de déconstruire le rapport à la violence. Pour certains d’entre eux, par exemple, cracher sur leur femme n’est pas considéré comme une violence. Il faut alors nécessairement passer par une phase de déconstruction avant d’entamer les séances en couple », détaille Patricia Overwater. « Il faut aussi identifier l’élément ou le comportement qui le pousse à agir violemment ; pourquoi, à tel moment, il peut se sentir en danger. »

 

Des associations réticentes

La préparation permet en outre de garantir la suite du parcours pour la victime. « Nous devons nous assurer que l’auteur assume la responsabilité de ses actes et n’essaie en aucun cas de nier les violences », martèle Michèle Badiou. Quant à la victime, elle doit également « être libérée de toute emprise pour venir aux séances de couple de son plein gré ». Au préalable, le couple signe un contrat d’engagement. En cas de nouvelle violence avérée, celui-ci est rompu et les rencontres s’arrêtent. Pour les intervenantes, l’objectif n’est d’ailleurs pas de « sauver » le couple à tout prix. « Nous répondons à une demande, et l’accompagnons en offrant un cadre sécurisé. Mais certains couples seront amenés à se séparer au terme des séances ou plus tard. Cela ne signifie pas que le dispositif aura échoué. Il aura peut-être permis d’apaiser les relations et d’éviter certaines violences lors du passage des enfants, par exemple », estime la présidente de SOS Violences conjugales.

Le suivi des auteurs de violences conjugales n’est pas admis par tous les professionnels du secteur. Du côté des associations de victimes, on se montre prudent. « Dans nos pratiques d’intervention, on rejette tout ce qui se rapproche de la thérapie de couple et de la médiation. A partir du moment où il y a de la violence, on favorise un travail distinct : un accompagnement de la victime, d’un côté, et éventuellement un suivi des auteurs, de l’autre. Mais certainement pas une rencontre entre les deux qui amène, selon nous, à confondre “conflit de couple” et “violence”, pointe Françoise Brié, Si celle-ci reconnaît que « certains auteurs seront capables d’évoluer positivement », la directrice de la Fédération nationale solidarité femmes juge que trop d’auteurs peinent à assumer leur responsabilité et redoute la continuation du phénomène d’emprise. « Pour nous, il est essentiel de rappeler que la violence est un délit, et qu’en cas de délit, il faut agir dans un cadre socio-judiciaire qui pense d’abord la sécurité des femmes, et pas seulement sur le plan du soin », poursuit-elle. D’autant que, un an après la fin du Grenelle, les associations déplorent des moyens insuffisants, en particulier pour l’hébergement et l’accompagnement social des victimes.

Le son de cloche est plus nuancé chez Céline Josserand, directrice adjointe de l’association Viffil-SOS femmes, implantée dans l’agglomération lyonnaise. Selon elle, trop peu de structures prenant en charge les auteurs existent sur le territoire. « Dans le Rhône, notamment, il n’y a aucun centre spécifique aujourd’hui. Cela arrive qu’un homme potentiellement violent nous appelle pour être aidé, et nous n’avons pas de solution à part l’orienter vers un psychologue de quartier. » A ses yeux, l’ampleur du phénomène des violences conjugales demande qu’on s’y attelle par tous les moyens. « Au sein de notre association, on a déjà reçu trois femmes du même mari… A un moment donné, on se dit que rien n’a été mis en place pour arrêter ça. » Ainsi, le volet répressif ne constitue qu’une réponse partielle s’il ne se double pas d’un volet axé sur la prévention. « Un homme déterminé à tuer sa femme, même s’il écope d’une interdiction d’approcher et d’un bracelet électronique, même s’il existe un numéro de téléphone grand danger, pourra le faire. » Désormais, le combat doit aussi se mener sur le champ des idées. Agir dès l’école, auprès des garçons et des filles. « Parler de la relation amoureuse, dire tout de suite qu’une relation, ce n’est pas de la domination. Et pour ça, il faut encore une politique volontariste », conclut Céline Josserand.


En un an, quelles avancées pour les femmes ?

Le 13 octobre dernier, le ministère chargé de l’Egalité entre les femmes et les hommes a annoncé que 23 des 46 mesures prévues par le Grenelle contre les violences conjugales étaient effectives et que 20 étaient en cours de réalisation. Parmi les nouveautés figurent le test progressif sur le territoire de 1 000 bracelets antirapprochement, la généralisation des filières d’urgence pour un traitement judiciaire plus rapide des cas de violences conjugales, la facilitation du dépôt de plainte à l’hôpital pour les victimes et la signature de 46 conventions. Et parmi les mesures en cours, la diffusion dans les établissements scolaires d’un « document de signalement » et d’un « guide d’utilisation pour mieux repérer et signaler les violences intrafamiliales », la levée du secret médical « en cas de danger immédiat » pour la victime et l’ouverture sans interruption du numéro d’urgence 3919 d’ici juin 2021. Est également envisagée l’ouverture de centres de ressources pour accompagner les femmes en situation de handicap ou de centres de prise en charge des violences conjugales liées aux addictions. La Fédération nationale solidarité femmes se réjouit pour sa part de l’évolution législative qui permet de renforcer la répression de certaines infractions au sein du couple, notamment l’incrimination du suicide de la victime et les cyberviolences, le déploiement de l’ordonnance de protection en ce qui concerne l’autorité parentale ou encore la mise en place de grilles d’évaluation du danger pour les forces de l’ordre, les professionnels de santé et les juges aux affaires familiales.

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