« La rentrée, on la prépare avec les précaunisations de l'éducation nationale, pour garantir le retour de l’ensemble des enfants à l’école : port du masque obligatoire pour les plus de 11 ans, et distanciation sociale quand elle est possible », détaille Stéphane Audrouing, directeur du centre départemental de l’enfance et de la famille du Maine-et-Loire. « Des enfants de différents groupes pourront monter dans le même véhicule pour rejoindre les établissements scolaires dans lesquels ils sont répartis. On va brasser. »
Sur le plan pratique donc, les services départementaux suivent au jour le jour les directives et attendent les précisions du ministère, tout comme les assistants familiaux : « Pour la reprise scolaire, nous n’avons encore reçu aucune consigne spécifique », affirme Marie-Noëlle Petitgas, présidente de l’Anamaaf (Association nationale des assistants maternels assistants et accueillants familiaux).
Pour Marie-Laure Jamme, conseillère technique de la direction académique du Val-d’Oise sur les questions sociales, « pour tous les élèves, au moins jusqu’aux vacances de la Toussaint, il y aura un temps de bilan, pour voir où ils en sont, ce qu’ils ont pu faire ou non, et une attention toute particulière accordée à ceux qui auraient décroché ou aux potentiels décrocheurs, de façon à repérer et accompagner les enfants les plus en difficulté ».
L’expérience du confinement initial permet à Stéphane Audrouing de se tenir prêt à toute éventualité : « Trois scénarios se dessinent, auxquels nous devrons nous adapter : le retour à la normale, une situation intermédiaire avec à la fois des éléments de protection et l’idée que la vie la plus normale possible doit continuer, et enfin des périodes de reconfinement territorialisé. Nous avons déjà testé toutes ces situations, et construit différemment l’accompagnement au printemps dernier, nous avons donc des modèles d’organisation, des actions prioritaires. L’inquiétude, pour les travailleurs sociaux, c’est plus : “Combien de temps cela va-t-il durer ?” »
En effet, pendant le confinement, l’ensemble des personnels des foyers – éducateurs, psychologues, bénévoles – a été mis à contribution pour assurer le suivi scolaire des enfants. Une lourde tâche qu’ont dû également assumer les familles d’accueil.
« Habituellement, notre approche consiste à permettre aux enfants d’être disponibles pour engager leur scolarité, ce qui relève ensuite de l’Education nationale. Dans cette période exceptionnelle nous avons pu appréhender d’un peu plus près les situations difficiles et l’échec scolaire. »
Une enquête de la Drees (direction de la recherche des études, de l’évaluation et des statistiques) révélait dès 2013 qu’à l’âge d’entrer au collège, deux tiers des enfants placés sont en retard d’au moins une année, et qu’à 15 ans, ils sont trois fois plus nombreux que les autres à être déscolarisés. En cause, leur situation familiale ou sociale difficile, et les changements d’environnement et d’établissements scolaires imposés pour assurer leur protection.
Cependant, « la question scolaire n’est pas un sujet central pour la protection de l’enfance, et de son côté l’Education nationale n’a pas de stratégie ou d’objectifs particuliers pour les enfants de l’ASE », explique Agnès Gindt-Ducros, directrice de l’Observatoire national de la protection de l’enfance. « Les deux institutions travaillent efficacement ensemble sur la question des signalements, mais non sur celle des apprentissages. La crise du Covid a montré que la scolarité est une question pourtant essentielle à investir car elle est une partie importante de la vie de ces enfants qui ont des besoins spécifiques. »
« En règle générale, analyse Benjamin Denecheau, chercheur à l’université de Paris-Est Créteil, spécialiste des parcours des enfants placés, même s’il existe des collaborations individuelles, les relations restent difficiles et parfois empreintes de méfiance entre travailleurs sociaux et enseignants, qui sont peu habitués à travailler ensemble. Et puis il y a la crainte pour les travailleurs sociaux qu’un enseignant non formé à recevoir des informations sur l’histoire d’un enfant le stigmatise. »
« Toutefois, poursuit-il, ces dernières années, certains foyers de l’ASE, ou associations comme SOS Villages d’enfants, ont recruté un éducateur spécialisé, pour travailler sur la scolarité et les liens avec l’école. Des services d’AEMO de Seine-Saint-Denis notamment, travaillent en relation étroite avec des écoles. De plus, certains départements ont mis en place des commissions communes avec l’Education nationale, la PJJ… Ce sont ces départements “pilotes” qui ont pu agir le plus efficacement, en collaboration avec les écoles et collèges, pendant le confinement. »
SOS Village d’enfants a ainsi mis en place dès 2012 le programme Pygmalion, pour favoriser la réussite scolaire des enfants.
Pour Stéphane Longin, chef de service éducatif du village de Carros, dans les Alpes-Maritimes, ce programme ainsi que la présence d’une éducatrice scolaire au sein du village ont permis pendant la crise de donner des clés aux éducatrices familiales pour mettre l’accent sur les fondamentaux sans imposer aux enfants de pression supplémentaire, de soutenir davantage les plus fragiles et les moins autonomes : « Les 15 premiers jours, les enseignants n’avaient pas forcément en tête que nous étions une institution avec 45 enfants de niveaux différents. Les échanges avec notre éducatrice scolaire ont permis de faire du cas par cas. Au final, sur 45 enfants, seuls cinq ont vu leur retard s’accentuer, et une quarantaine se sont bien maintenus. »
Et Benjamin Denecheau de conclure : « Jusqu’à présent, à part sur des expériences pilotes, viser la réussite scolaire des enfants placés n’était pas un objectif institutionnel. Le placement nécessaire les protège mais peut aussi alimenter certaines inégalités. Il serait aujourd’hui souhaitable que l’Education nationale et l’ASE réfléchissent ensemble pour leur permettre d’avoir les mêmes ambitions que les autres, ou du moins une sortie de prise en charge autonome. »