Sous-directrice de la prévention et de la protection de l’enfance à la mairie de Paris, Anne Devreese a assuré la coordination et le pilotage de la loi de 2016 relative à la protection de l’enfance lorsqu’elle était conseillère de Laurence Rossignol, alors ministre de la Famille, de l’Enfance et des Droits des femmes.
Les établissements accueillant des enfants sont-ils suffisamment contrôlés ?
Anne Devreese : D’énormes progrès ont été réalisés depuis la loi du 16 mars 2016, puis la mise en œuvre, en 2020, de la stratégie nationale de prévention et protection de l’enfance. Progressivement, les départements ont déployé des plans de contrôle des établissements qu’ils autorisent. D’abord limités à la stricte conformité aux textes, ces contrôles ont ensuite davantage porté sur la qualité de l’accueil et la prévention de toutes formes de violences faites aux enfants. Il faut dire que les juges des enfants, chargés du pouvoir de contrôle des établissements auxquels ils confient les enfants en danger ont presque abandonné cette mission, vu la charge de leurs cabinets. Les créations de cellules contrôles dans les collectivités se sont d’abord inscrites dans une démarche volontaire avant de tendre vers la généralisation pour répondre aux exigences réglementaires et aux objectifs de la contractualisation avec l’Etat au début des années 2020.
Que peut-on mettre en place pour améliorer le contrôle des établissements ?
Il reste encore beaucoup à faire. Trois pistes me paraissent prioritaires :
- Adapter le cadre réglementaire des contrôles et les formations des professionnels qui les assurent pour garantir une meilleure prise en compte des conditions particulières d’exercice des missions de protection de l’enfance. La formation commune des différents corps de contrôles des ESMS, très centrée sur la conformité, révèle toutes ses limites pour appréhender les situations de violence en établissements, et plus largement améliorer la qualité de prises en charge des enfants. Tous les cadres chargés des contrôles ne sont pas formés au recueil de la parole de l’enfant, ou ne disposent pas forcément d’une vision systémique des fonctionnements d’établissements. Certains ne s’autorisent pas, du fait de règles communes avec le secteur des adultes, à entrer dans les chambres des enfants, même quand ils le souhaitent, dans les foyers d’accueil…
Lire aussi : Organiser un contrôle efficace des structures de protection de l’enfance - Développer les contrôles financiers des personnes morales qui accueillent les enfants. Plusieurs faits divers récents ou plus anciens ont montré que les transgressions financières étaient courantes dans les établissements concernés par les violences. Les liens entre dysfonctionnements financiers, voire détournements, et impact sur la qualité d’accompagnement sont réels. Le seul contrôle budgétaire de la gestion des prix de journée, même bien fait, ne permet pas toujours d’identifier les situations rares, mais très graves dans lesquelles les budgets alloués aux enfants sont détournés à des fins lucratives, voire d’enrichissement personnel. Les services de contrôles ont besoin de s’adjoindre les compétences de contrôleurs de gestion, capables d’analyser toute la situation financière de l’entreprise, depuis les salaires des dirigeants, jusqu’aux fonctionnements des comptes de liaison.
- Développer la pratique des contrôles conjoints : département/Etat (DEETS, ARS, DPJJ) pour construire une culture commune, renforcer les contenus des évaluations et sécuriser les procédures en cas de fermeture ou de suspension d’activité.
D’autres pistes pourraient améliorer la situation ?
Je précise que les cas graves de violences institutionnelles sont très rares. Le déploiement d’une programmation de contrôles est avant tout une démarche vertueuse d’amélioration des réponses institutionnelles, publiques comme privées, sur un territoire. Un vecteur d’amélioration des coopérations entre acteurs et de prise en compte de la parole des premiers concernés, les enfants mais aussi leurs proches.
En revanche, pour les situations où les pouvoirs publics motivent le contrôle par des alertes reçues ou la récurrence d’événements graves, la mobilisation d’une instance indépendante pourrait être un atout pour le secteur. C’était déjà une proposition de la feuille de route gouvernementale 2015-2017 pour la protection de l’enfance. Cette proposition est aujourd’hui reprise dans les travaux récents du Conseil économique social et environnemental (CESE), consacrés aux dysfonctionnements de la protection de l’enfance.
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L’existence d’une base de données nationales, à jour, des établissements autorisés à accueillir des mineurs dans le cadre prévu par le code de l’action sociale et des familles, permettrait également de s’assurer que les conditions d’accueils sont remplies, notamment pour les lieux de vie non traditionnels.
Qu’en est-il du contrôle des professionnels ?
Les lois récentes ont imposé le contrôle de probité des professionnels. Il s’agit de vérifier les antécédents judiciaires de toutes les personnes qui interviennent auprès des enfants pour s’assurer qu’ils n’ont pas déjà été mis en cause pour des faits graves comme des violences, sexuelles notamment.
La loi de février 2022 a étendu et renforcé ces obligations qui concernent désormais aussi les bénévoles, bientôt les candidats à l’adoption… Mais ces contrôles restent limités, bien loin des ambitions du législateur du fait de l’absence de possibilités concrètes pour les associations et collectivités de procéder à ces contrôles, en particulier s’agissant de la consultation du Fichier judiciaire national automatisé des auteurs d’infraction sexuelle ou violente (Fijais), les accès aux fichiers étant limités à quelques personnes habilitées dans les services de l’Etat ; ce qui rendait la procédure longue et complexe.
Depuis le 23 septembre, un nouveau système d’information, testé à titre expérimental dans six départements, permet à toute personne qui en fait la demande et n’a pas de mention incompatible avec l’exercice de ses fonctions d’obtenir un certificat d’honorabilité lui permettant d’être recruté dans un établissement d’accueil.
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Est-il pleinement satisfaisant ?
C’est un outil en expérimentation qui nécessite de porter une vigilance sur deux points. D’abord, l’analyse des mentions. C’est un vrai sujet, porté par le conseil national de protection de l’enfance (CNPE) auprès de la Direction générale de la cohésion sociale (DGCS). La loi précise que, lorsqu’une personne a une mention sur son casier, il faut vérifier que celle-ci n’est pas incompatible avec l’exercice de ses fonctions. Or, le traitement peut différer selon la manière dont on analyse ces mentions. Un délit routier ou un défaut d’assurance constituent-t-ils un empêchement ? La question peut faire l’objet d’une appréciation. Pour le moment, il n’y a pas de guide national, et autant d’appréciations que de centres de décisions.
Ensuite, il faudra être attentif aux bugs qui pourraient survenir. Il est possible qu’une personne ne puisse pas avoir le document. Ce n’est pas pour autant qu’elle a une mention sur son fichier. Il faudra voir les raisons qui ne permettent pas au dispositif de produire un certificat. Si l’outil apparaît très performant au niveau de sa réactivité, reste à voir comment dépasser les cas particuliers. C’est ce que l’expérimentation doit permettre d’appréhender.
Peut-on aller plus loin dans le contrôle des personnes ?
Le système d’information ne répond pas à tout : il permet de savoir s’il y a des mentions. Mais il faut distinguer la question de la probité, relative à une condamnation judiciaire, et celles des sanctions qui ont pu être prises dans le cadre de l’exercice d’un professionnel ou d’un bénévole. Et ce dernier point mérite encore d’être amélioré. La loi Taquet a créé une base nationale d’agrément des assistants familiaux. Mais le décret d’application – le dernier de la loi – est toujours attendu.