Chargée d’études à l’ONPE, Lucile Basse mène des travaux de recherche sur l’accueil des enfants confiés à un proche. Elle est l’auteure de la revue de littérature scientifique.
ASH : Dans quel cadre s’inscrit cette revue de littérature ?
Lucile Basse : Ce travail a débuté l’an dernier, lorsque j’ai intégré l’ONPE, en lien avec une thèse que je réalise sur le sujet des enfants confiés à un proche. Il s’inscrit dans le cadre des changements législatifs de 2016 et de 2022, qui ont conduit à mobiliser davantage deux modes d’accueil : l’accueil durable et bénévole et le tiers digne de confiance.
Le premier a été introduit par la loi de 2016. D’après les retours de plusieurs départements, il semblerait que ce dispositif administratif ait concerné dans un premier temps les mineurs non accompagnés, accueillis par des tiers sans qu’il n’y ait de lien initial entre eux. On sait que certains départements aimeraient le développer et l’adapter à un cadre plus large. Mais on manque de données précises sur le recours à ce mode d’accueil.
Le second, le tiers de confiance, est visé par la loi de 2022. Si l’idée de confier l’enfant à un proche apparaissait déjà dans l’ordre des solutions proposées, ce nouveau texte est plus explicite. Il estime que le recours à un tiers digne de confiance ou à membre de la famille est une solution à privilégier quand un enfant est placé.
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En France, que représente l’accueil par un proche ?
Il existe plusieurs statuts administratifs et juridiques, qui ne relèvent pas tous de la protection de l’enfance : l’accueil durable et bénévole, le tiers digne de confiance [évoqués plus haut], mais aussi la tutelle, la délégation d’autorité parentale ou encore l’accueil informel – les résultats de plusieurs recherches internationales suggèrent que la majorité des accueils par un proche se font sans que les institutions ne soient au courant. Il est difficile de dénombrer tous les accueils par un proche parce qu’on manque de données.
Les seuls chiffres dont on dispose sont ceux des tiers dignes de confiance. Selon la Drees (Direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques), au 31 décembre 2022, cet accueil par un tiers digne de confiance représentait 8 % de l’ensemble des mineurs confiés au titre de l’aide sociale à l'enfance (ASE). Ce dispositif peut prendre une place plus importante dans certains territoires comme les départements et régions d’outre-mer parce qu’ils renvoient à des pratiques de « confiage » plus répandues. Mais dans l’ensemble, l’accueil par un tiers digne de confiance reste peu courant.
Il l’est davantage à l’international, y compris en Europe. Deux raisons : les lois sont plus anciennes – elles datent par exemple des années 1990 aux Etats-Unis – et le recours aux bénévoles en protection de l’enfance y est plus développé. Beaucoup de pays n’ont pas l’équivalent des assistants familiaux.
A-t-on des éléments sur le profil des accueillants, en France ?
Nous n’avons aucune donnée issue de la statistique publique. La recherche s’appuie essentiellement sur des échantillons. Des caractéristiques récurrentes sont toutefois perceptibles. Ces tiers dignes de confiance sont souvent issus de la famille. Il s’agit de grands-parents, d’oncles, de tantes, voire de beaux-parents. De milieu modeste, voire précaire, ils ont souvent pris en charge l’enfant avant une mesure ASE. La décision judiciaire vient alors entériner une décision antérieure.
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De manière intuitive, quel pourrait être l’intérêt d’un tel mode d’accueil ?
L’accueil par un proche a pour première vertu de respecter le droit de l’enfant à vivre dans sa famille. De manière intuitive, on peut considérer qu’il ne crée pas de rupture affective. Et que le lien suscite un investissement plus important de la part du proche. Il y a cette idée que les tiers s’engagent bénévolement, de manière désintéressée. A contrario, on peut penser que les proches ne sont pas professionnels.
Et dans les faits ?
La littérature étrangère révèle que l’accueil par un proche a un impact équivalent aux autres modes d’accueil, voire qu’il est un peu bénéfique. Les recherches américaines montrent que l’accueil par des personnes qui connaissent l’enfant depuis longtemps lui apportent une certaine stabilité. Elles montrent aussi que les proches sont souvent mal accompagnés et mal formés par les services de l’ASE. Mais en l’absence d’outils statistiques, on peine à objectiver la trajectoire des enfants, à s’affranchir des situations singulières et des différences d’accompagnement reçu.
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Que reste-t-il à améliorer pour favoriser ce type d’accueil ?
D’abord, l’information sur les droits des accueillants. Un tiers digne de confiance peut bénéficier d’allocations. Or, en France, beaucoup n'en perçoivent pas. Et c’est pareil pour l’accueil durable des bénévoles. Les recherches expliquent ce taux de non-recours par le manque de connaissances des personnes concernées comme des professionnels qui les accompagnent.
Ensuite, il faut réfléchir à un accompagnement spécifique des tiers de confiance. L’accueil constitue un bouleversement pour l’accueillant, qu’il s’agisse de grands-parents âgés qui se retrouvent dans une position parentale, ou de tiers plus jeunes, qu’on doit accompagner vers la stabilité financière, aider à déménager si le logement n’est pas adéquat… Jusqu’en 2022, l’accompagnement passait par des mesures d’action éducative en milieu ouvert (AEMO). Ces mesures travaillent les compétences parentales mais ne sont pas forcément adaptées aux tiers de confiance. Depuis la loi de 2022, l’accompagnement est obligatoire – et c’est une bonne chose – mais seulement s’il n’y a pas de mesures d’AEMO.
Il faut, enfin, faciliter les changements de statut. Quand l’accueil s’installe sur le temps long, certaines situations peuvent nécessiter de passer d’un statut de tiers digne de confiance à une délégation d’autorité parentale ou de tutelle par exemple.