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"Devenir parent est une opportunité de se découvrir autrement"

Ivy Daure est co-autrice avec Odile Reveyrand-Coulon du livre Le migrant et sa famille (Ed. ESF Sciences humaines).

Crédit photo Constant Forme Becherat
[L'ESPRIT OUVERT] Psychologue clinicienne et thérapeute familiale, Ivy Daure est enseignante à l’université de Bordeaux et supervise notamment des travailleurs sociaux. Elle décrypte les enjeux des parentalités multiples.

ASH : Comment définir la parentalité ?

Ivy Daure : Devenir parent est d’abord une crise, au sens systémique du terme. D’abord par rapport à soi-même, en ce sens que le sujet désemparé se sent en tension. Ensuite par rapport à son couple, puisque le conjoint avec lequel on a imaginé devenir parent n’est pas forcément identique à ce qu’on avait projeté.

Mais c’est aussi une opportunité de se découvrir autrement, de repérer des compétences qu’on n’imaginait pas et de réinventer une manière de « faire parent » par rapport aux expériences qu’on a eues.

En outre, la parentalité est également une surprise : même si on a vu beaucoup de parents faire, à commencer par les nôtres, et qu’on a donc toujours une petite idée du parent qu’on voudrait être, on ne sait pas comment on se comportera avant d’avoir des enfants. A leur arrivée, rien ne se passe jamais exactement comme on l’avait imaginé. On découvre son potentiel, mais aussi de nouvelles peurs. On fait preuve d’une souplesse ou d’une rigidité inattendue.

Par ailleurs, les progrès scientifiques ont permis que l’on sorte de l’idée qu’avoir un enfant est uniquement l’affaire d’un homme et une femme. Cela est allé de pair avec l’évolution de la société qui, du mariage pour tous à la PMA, a ouvert la possibilité pour certains – les couples homosexuels, les personnes seules… – d’avoir des enfants.

Vous vous intéressez, entre autres, à la parentalité qui découle d’un parcours migratoire. Quelles sont ses problématiques spécifiques ?

Même si ce type de parentalité ne constitue pas une nouvelle organisation, puisque l’homme migre depuis toujours, articuler les différentes cultures est une préoccupation nouvelle. Bien qu’elle s’applique à d’autres parentalités, la théorie des « 4 S » (soutien, sécurité, souplesse, sagesse) que j’ai développée avec Gilbert Pregno est particulièrement pertinente pour les parents venus d’ailleurs.

Se sentir soutenu donne un sentiment de sécurité qui amène à une forme de sagesse et de souplesse. On est alors en capacité de prendre du recul et d’accepter les différentes opportunités culturelles, de circuler entre les apports de la culture d’origine et ceux de la culture d’accueil. Quand, au contraire, on n’a ni soutien ni sécurité, on se rigidifie. On risque de rester braqué sur les modèles qu’on connaît et d’être en conflit avec ceux de la société d’accueil.

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Le problème est que, pour les familles migrantes, il est difficile de se sentir sécurisées. Déracinées, confrontées à la clandestinité ou au moins à des besoins urgents d’ordre vital, elles ne sont pas dans les bonnes conditions pour exercer leur parentalité.

Sans compter que le parcours migratoire est souvent l’occasion d’interroger ses valeurs et, particulièrement, sa manière de « faire famille ». De plus, souvent isolés, les parents ne bénéficient pas non plus de soutien social et n’ont souvent que des professionnels pour seul tissu relationnel. Cette fragilisation se manifeste par exemple dans les chiffres de la dépression post-partum : alors qu’elle intervient en moyenne dans 8 à 15 % des cas, elle oscille entre 38 et 50 % pour les mères précarisées par le parcours migratoire.

Les familles recomposées représentent une modalité parentale de plus en plus fréquente…

Un enfant sur dix vit dans une famille recomposée. Or on ne prend pas toujours les précautions nécessaires pour assurer une construction sécurisante de la nouvelle famille. D’une part, il faut considérer l’asymétrie temporelle entre le nouveau couple et les enfants issus de l’union précédente, qui sont souvent encore dans le deuil de la famille d’avant.

Alors que le parent peut se trouver dans la détresse depuis un long moment, l’enfant peut ne découvrir la situation qu’au moment de la séparation, et ne pas avoir de temps de répit avant d’être présenté au nouveau compagnon. Enthousiaste et porté par ses exigences fortes de réussir son nouveau couple et sa nouvelle famille, le parent peut manquer de prudence ou de gradualité.

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Puisqu’il côtoie l’enfant jusqu’à une semaine sur deux, le beau-parent assure également un rôle important et peut changer radicalement les rapports entre les parents et leurs enfants, de façon positive ou négative. Pourtant, il est rarement pris en compte.

Selon moi, son positionnement doit être celui d’un adulte « au seuil de la porte ». Autrement dit, une personne ressource, dans une position dynamique de disponibilité, sans pour autant adopter immédiatement une posture d’autorité. Il faut prendre le temps de nouer une relation de confiance pour que l’autorité devienne légitime et que l’enfant soit dans une logique d’adhésion.

Enfin, il faut considérer le couple parental qui perdure malgré la séparation. Mais entre le duo parental, parfois en panne de coparentalité, et le ou les duos amoureux si les parents se sont tous deux réengagés, l’enfant se trouve confronté à des règles multiples et variables, facteur générateur de grandes tensions. Mais aussi de conflits de loyauté, entre le parent heureux avec qui on a envie de s’investir et le parent malheureux dont on ne veut pas se désolidariser.
 

Les filiations construites comme l’homoparentalité constituent aussi une évolution récente…

C’est la parentalité post-moderne, dans laquelle il existe un troisième protagoniste, qu’il s’agisse d’un donneur de gamète, d’une mère porteuse ou de parents biologiques en cas d’adoption. Ces configurations posent la question de l’identité de cette nouvelle famille, mais aussi de celle de l’enfant ayant des origines différentes.

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Dans cette situation, l’important est la capacité du sujet à construire et raconter une histoire de manière positive et créative. Mais ce type d’affiliation interroge le parent sur ce qu’est pour lui une famille, ses limites et ses frontières, et suppose de lutter contre ses préjugés intériorisés.

Il faut aussi faire avec l’acceptation par la société, l’entourage, en voyant comment les personnes autour de soi acceptent cette réalité. C’est un enjeu important : on peut avoir le courage de passer le pas de cette parentalité nouvelle, mais il se révèle plus difficile de l’assumer dans le quotidien, souvent moins anticipé.

Quelquefois, des questions viennent toucher très fort. A l’image de patientes à qui l’on a demandé si leur jolie petite fille avait les yeux bleus de son papa et qui ont dû répondre qu’elle avait deux mamans. A la suite d’une question gentille et banale, les parents se sentent contraints de dévoiler leur intimité sans en avoir forcément envie. La mise en récit permet la construction d’une légitimité.
 

Comment l’arrivée de ces nouvelles parentalités transforme-t-elle la relation d’aide des professionnels ?

En tant que professionnel, il est important de reconnaître la légitimité de ce désir de « faire famille » et les multiples efforts que les personnes ont consenti pour cela. Puisque notre rôle est de trouver et de valoriser les compétences, il faut travailler à repérer nos propres représentations invalidantes de la famille pour aider les familles à surmonter les leurs.

L’interdiction de la violence par la loi et les symptômes de souffrance de l’enfant permettent d’avoir des éléments pour penser les limites au-delà des particularités culturelles.

Encore faut-il définir ce qu’est la violence. Certaines pratiques, comme les massages très toniques exécutés sur les bébés, courants en Afrique, peuvent heurter. Mais la kiné respiratoire utilisée en France peut tout autant apparaître barbare à d’autres pays. Pour lutter contre ses préjugés intériorisés, le mieux est d’être supervisé et d’en discuter en équipe.

 

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