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Avec Pégase, les enfants protégés en meilleure santé

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Cette expérimentation unique en France a vu le jour en 2019, sous l’impulsion de Daniel Rousseau, pédopsychiatre au sein de la structure angevine.

Crédit photo Armandine Penna
[REPORTAGE] Expérimenté depuis cinq ans au sein de la pouponnière du Village Saint-Exupéry, à Avrillé (Maine-et-Loire), le programme Pégase vise à améliorer le suivi médical des jeunes enfants vulnérables par un repérage et une prise en charge renforcés et coordonnés. L’objectif : prévenir les effets de la maltraitance sur leur santé.

On ne voit qu’elles. Les grandes billes noir ébène du nourrisson d’à peine quelques semaines, rivées sur celle qui, délicatement, caresse son crâne lisse. Après l’avoir déshabillé puis emmailloté dans un large lange, Stéphanie Guilloteau, l’auxiliaire de puériculture qui s’en occupe ce jour-là, plonge le petit d’homme dans l’évier et le berce de longues minutes dans l’eau chaude. Membre après membre, le jeune corps se détend et un sourire béat apparaît sur sa bouche minuscule. Voilà quelques jours, Sacha(1) était encore en couveuse à la maternité. Dernier arrivé à la pouponnière du CDEF (centre départemental enfants et familles) Village Saint-Exupéry, à Avrillé, à côté d’Angers (Maine-et-Loire), il a désormais son lit à barreaux dans l’une des chambres de l’unité « Pandas », où il va rester le temps d’être placé en foyer ou en famille d’accueil. Sacha n’en est pas encore conscient, mais il vient aussi de rejoindre la cohorte du programme Pégase.

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Cette expérimentation unique en France a vu le jour en 2019, sous l’impulsion de Daniel Rousseau, pédopsychiatre au sein de la structure angevine. Son ambition : améliorer l’accès aux soins des jeunes enfants bénéficiant d’une mesure de protection en leur proposant un suivi renforcé et des bilans de santé supplémentaires jusqu’à l’âge de 7 ans. « Pégase s’inscrit dans la continuité de l’une de mes recherches qui a suivi pendant dix ans 129 enfants placés avant leur quatrième année chez nous et jusqu’à leurs 29 ans. On dit toujours que les enfants protégés présentent plus de problèmes de santé. Je voulais en avoir le cœur net », rembobine le spécialiste.

Une décennie et quelque 300 000 données collectées (anténatales, périnatales, suivi psychiatrique, scolaire, raisons du placement, gravité de la maltraitance, coûts de l’accueil, etc.) plus tard, l’étude paraît en 2019. Et un résultat surprend : les enfants prématurés placés sont ceux qui connaissent la meilleure évolution, alors qu’ils cumulent prématurité et vulnérabilités. L’explication ? « Ces derniers ont bénéficié d’un suivi plus resserré du fait de leur prématurité. Nous sommes donc arrivés à la conclusion que tous les enfants de la protection de l’enfance devaient obtenir un suivi de santé de qualité pour leur donner une chance d’évoluer positivement », raisonne-t-il.

 

Repérer les difficultés

Lors du bilan de santé initial standardisé, Pégase propose donc un plan de soins comprenant 19 bilans réguliers à âges fixes, suivant un calendrier de 14 examens médicaux de l’enfant et de 5 bilans semestriels supplémentaires. L’enfant continue par ailleurs de bénéficier des soins courants en milieu ordinaire, tout en ayant droit, si nécessaire, à des soins psychologiques et en psychomotricité plus soutenus. L’enjeu ? Prévenir les séquelles à long terme des maltraitances infantiles en détectant les fragilités le plus précocement possible. « Nous avons à notre disposition des échelles observationnelles qui permettent de voir où en est l’enfant en fonction de son âge. Un éventuel retard ? Nous pouvons rapidement mettre en place une réponse adaptée grâce à un plateau technique important », décrit Marion Orange, éducatrice coordinatrice au sein de l’unité « Koalas », qui accueille huit enfants âgés de 0 à 3 ans. Kinésithérapeute, orthophoniste, psychomotricien, médecin généraliste… Au CDEF, ce sont les professionnels qui se déplacent dans les locaux.

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En ce mardi matin, c’est au tour de Pauline Bouvet d’intervenir à la pouponnière. Elle a rendez-vous comme chaque semaine avec trois des six enfants qu’elle suit – pour certains, depuis le début du programme. A peine franchit-elle la porte des « Koalas » qu’un trio de petits garçons hauts comme trois pommes se précipite à sa rencontre. Chez eux, des progrès sont déjà notables, au regard des difficultés qui ont été repérées dès leurs premiers jours de vie. Pour d’autres, dont les troubles sont plus ancrés, le suivi s’annonce plus long. « Pouvoir faire quelques séances avant aurait été profitable, mais cela demande que tout le monde soit formé à repérer les difficultés, ce qui n’est pas encore le cas partout », regrette-t-elle.

 

Des échelles comme support

Au CDEF, cependant, toute l’équipe intervenant auprès des enfants s’est appropriée les différents outils mis en place dans le cadre du programme. De l’auxiliaire de puériculture à l’infirmière, en passant par les éducateurs, tous sont capables d’observer s’il existe un décalage et de réagir en conséquence. L’enfant est-il capable de tenir une cuillère et de l’utiliser pour manger sans renverser sa nourriture ? Réagit-il aux sons en tournant la tête vers la source du bruit ? Soutient-il le regard de l’adulte qui lui parle ? Parvient-il à se retourner du ventre sur le dos ? A chaque âge ses évaluations développementales et émotionnelles. De quoi dresser une photo précise de l’enfant à un instant T, ce qu’apprécie particulièrement Stéphanie Guilloteau. « Ici, on est comme dans une bulle et on oublie parfois ce qui tient ou pas de la normalité, avoue-t-elle. On suit simplement l’enfant et on ne se rend pas toujours compte des petits retards. Mais depuis qu’on peut s’appuyer sur des questionnaires, on est plus vigilant, et à force de les utiliser, c’est devenu un réflexe. »

Le plus de ce programme ? Avoir également doté les familles d’accueil et les personnels des maisons d’enfants à caractère social de ces échelles d’observation. « Ce sont les premiers spectateurs concernés par la santé des enfants. Eux qui les accompagnent à leurs rendez-vous médicaux et constatent d’éventuelles difficultés au quotidien. Ces échelles, faciles à utiliser, permettent d’asseoir leurs dires et les valorisent », analyse Marion du Peloux, l’infirmière chargée de la coordination de Pégase au Village Saint-Exupéry. Recrutée en 2023, elle est l’une des 13 coordinateurs de l’expérimentation. Car si Pégase a pris son envol dans le Maine-et-Loire, s’y sont depuis ralliées 12 autres pouponnières volontaires, toutes adhérentes au Gepso (Groupe national des établissements publics sociaux et médicosociaux) et réparties sur le territoire national. Un vaste réseau de plus de 400 professionnels qu’il faut former, mobiliser et soutenir pour que l’expérimentation porte ses fruits.

 

Communautés de pratiques

« La santé n’est pas toujours la priorité des ESMS (établissements sociaux et médico-sociaux), déjà très occupés à satisfaire les besoins primaires des enfants. Les équipes sont aussi très assujetties à des conditions qu’elles ne maîtrisent pas, comme la difficulté à trouver des médecins, le turn-over des professionnels, les problèmes institutionnels… La présence de coordinateurs dans chaque structure est la clé de voûte du dispositif. Nous faisons des points réguliers avec eux, sous la forme de communautés de pratiques, ce qui permet d’ajuster nos attendus à ce que les équipes vivent sur le terrain », décrit Mireille Rozé, psychologue spécialisée dans l’enfance et l’adolescence et coordinatrice adjointe de Pégase. Tel un vaisseau amiral, l’équipe pionnière hébergée au CDEF d’Avrillé supervise le bon déroulement des opérations, tout en restant à la disposition des autres pouponnières en cas d’avarie. Ainsi, autour du Dr Rousseau, six autres professionnels constituent, en complément de leur fonction principale (psychologue, cadre de santé en puériculture, médecin psychiatre, etc.), le cœur battant de cette expérimentation.

 

Maturité et efficacité

Les voilà justement tous réunis dans une petite pièce située au premier étage du foyer. Les regards sont braqués sur un écran où apparaît la mine débonnaire de Jacques Dubin, président de l’association Centre Saint-Exupéry en charge du programme. Comme chaque semaine, la réunion d’équipe de la coordination du jour vise à faire un point d’étape. Mais alors que la fin de l’expérimentation approche, il faut aussi penser à poser les jalons pour l’après, le dispositif ayant vocation à être généralisé à l’horizon 2025. « Cela a été annoncé en novembre 2023 par le gouvernement, mais, à l’heure où je vous parle, nous ne connaissons pas encore les modalités », rectifie Daniel Rousseau. Sera-t-il obligatoire dans toutes les structures de la protection de l’enfance ? Nul ne le sait précisément pour le moment.

Le programme est exigeant et suppose un fort investissement du département et des établissements concernés. Côté formation, il faut aussi compter entre 12 et 18 mois pour mettre à niveau tous les acteurs professionnels intervenant dans Pégase. Mais aussi embaucher un coordinateur et constituer un réseau de professionnels de santé dans chaque territoire. Enfin, il faudra compter deux ans avant que l’assurance maladie prenne totalement en charge les bilans et les soins engagés dans ce cadre. « Tout cela est très chronophage, et la généralisation ne pourra être que progressive. Mais il faut vraiment que cela devienne une prestation ordinaire. Nous sommes là dans une rupture historique : c’est la première fois que la sécurité sociale soutient financièrement la protection de l’enfance. Je suis convaincu qu’on peut ainsi modifier le destin de ces enfants », poursuit le spécialiste.

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Pour l’heure, difficile d’objectiver de telles intuitions. Le premier bilan épidémiologique de l’expérimentation ne sera dressé qu’en octobre 2024, même si l’évaluation réalisée en juin par la cellule du ministère de la Santé fait état de la maturité du programme et de son efficacité dans 13 contextes différents. Parce qu’elle est souvent en contact avec les différents professionnels impliqués, Marion du Peloux constate, elle, une véritable adhésion au protocole. « Ce programme a redonné du sens aux équipes, qui voient rapidement les bénéfices de leur travail sur les enfants », témoigne la coordinatrice. Parmi les 750 enfants inclus dans le programme au niveau national, 80 sont accueillis au Village Saint-Exupéry, dont le petit Sacha. Celui-ci présentera-t-il des signes de vulnérabilité au fil du temps ? Sera-t-il en bonne santé une fois adulte ? Une chose est sûre : les professionnels de Pégase garderont un œil, à la fois bienveillant et expert, sur lui afin qu’il ait toutes les chances de bien grandir.

Notes

(1) Le prénom a été modifié.


Paroles de pros

« La majorité des médecins ont de la peine à repérer les enfants maltraités et témoignent de difficultés pour les prendre en charge correctement. Pégase sert de liant entre le social et le sanitaire et nous permet de monter en compétences pour mieux répondre aux besoins de ces enfants. »

Jacques Dubin, président de l’association Centre Saint-Exupéry


Un financement équilibré

L’expérimentation Pégase s’inscrit dans le cadre de l’article 51 de la loi de financement pour la sécurité sociale (LFSS) de 2018. La dotation initiale s’élevait à 8 millions d’euros, mais le budget a été réévalué à la baisse – à 4,5 millions – car le lancement a été différé de 18 mois à cause de la crise sanitaire. Dans cette somme, il faut compter – par an et par enfant – 636 € pour les bilans médicaux et 630 € supplémentaires pour la mise en place de soins précoces (psychologue et psychomotricien), soit 1 399 € annuels jusqu’aux 7 ans des enfants. A cela, il faut ajouter 120 € pour le fonctionnement de l’équipe nationale Pégase et 13 € pour le logiciel informatique. Le coût de la formation reste en revanche à financer par les plans de formation des établissements.


Les 3 conseils de Mireille

 

Coordinatrice adjointe de l’équipe nationale de Pégase, Mireille Rozé donne les trois points pivots du programme.

1. Un logiciel commun. Pégase dispose d’une plateforme web où sont recueillies l’ensemble des données sociales, de santé et du développement de l’enfant. Son atout ? Il est rattaché à l’enfant et non au lieu d’accueil. Cela permet la portabilité des dossiers quelle que soit la complexité du parcours des enfants, et la conservation des données jusqu’à l’âge adulte avec un stockage national et centralisé.

2. Un plateau technique dédié. S’il est libre de s’organiser en fonction de son territoire, chaque établissement volontaire doit disposer de son propre réseau de soignants (médecin, orthophoniste, psy, psychomotricien, etc.). C’est la condition pour accélérer les prises en charge et surmonter le manque de spécialistes.

3. Un poste de coordinateur. Plannings, relances, contacts avec les familles et les professionnels de proximité… Il incarne la continuité du programme. Sa mission est donc capitale au sein de Pégase. Chaque structure partenaire doit avoir en interne une personne avec du temps dédié pour la coordination.

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