Un enfant sur deux accueilli par l’aide sociale à l’enfance (ASE) souffre d’au moins un trouble psychique. C’est cinq fois plus que la moyenne nationale, rappelle Terra Nova. Dans son étude parue le 27 août et intitulée « Santé mentale des jeunes placés de l’Aide sociale à l’enfance », le think tank qui se définit comme « progressiste » estime essentiel de reconnaître que « les soins psychiques sont un besoin fondamental ».
D’abord, il pointe le déficit d’accès à la prévention, au diagnostic et aux soins, causé par une pluralité de facteurs :
- Une pénurie générale de l’offre en pédopsychiatrie. Manque de places, délais d’attente en ambulatoire de plusieurs mois, saturation des services d’urgence… A ces maux s’ajoute un manque de solution intermédiaire entre le foyer d’accueil et l’hôpital. C’est ce que soulignait la Haute Autorité de santé (HAS), citée par Terra Nova, dans une note de cadrage sur la coordination entre services de protection de l’enfance et de pédopsychiatrie en 2021.
« Compte tenu de la difficulté à consulter dans le secteur libéral, les jeunes de l’ASE se retrouvent souvent soit sans aucun suivi, soit en hospitalisation à temps plein. Or ces deux extrêmes ne sont pas en adéquation avec les besoins de la majorité d’entre eux. »
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- Un déficit de culture de la prévention. Les accompagnants aux soins, éducateurs ou assistants familiaux, ne connaissent pas toujours les antécédents personnels ou familiaux, surtout si le carnet de santé n’a pas suivi l’enfant. Le « bilan de santé et de prévention », obligatoire depuis 2016, demeure peu effectué. Seulement 28 % des départements l’auraient rendu systématique, selon des chiffres du défenseur des droits. Dans 44 % des départements, selon la HAS, aucun bilan de santé systématique n’est prévu au cours du placement.
Loin du dépistage systématique, la France, suggère Terra Nova, pourrait s’inspirer des pratiques élaborées aux Etats-Unis. Y sont proposées une première évaluation au moment du placement, puis une évaluation clinique globale dans un second temps.
Elle pourrait aussi mieux former ses professionnels. Les former aux premiers secours en santé mentale (PSSM) ou plus ambitieusement aux thérapies cognitivo-comportementales. Cela « permettrait un repérage plus précoce, une attitude plus adaptée et ainsi une amélioration de la santé psychique des enfants ».
- Un parcours de santé erratique. La multiplicité des lieux de placement et les ruptures dans le parcours scolaire rendent complexe la continuité de la prise en charge. « Quand les secteurs de pédopsychiatrie du lieu de placement et du domicile parental diffèrent, et quand un déménagement du jeune ou des parents entraîne un changement de secteur en psychiatrie, des désaccords sur le lieu de prise en charge peuvent éclater. Cela conduit fréquemment à ce qu’aucun secteur de pédopsychiatrie ne s’occupe de l’enfant », explique Terra Nova. Il mentionne une étude américaine démontrant combien le jeune « qui ne bénéficie pas d’un placement stable a un risque élevé d’avoir une pathologie psychiatrique ».
Le cercle de réflexion plaide pour l’instauration d’un psychologue référent dans chaque établissement et la systématisation des postes de psychologues. Il y voit de nombreux bénéfices : renforcer la détection précoce des troubles, systématiser les soins psychologiques des jeunes, répondre aux problématiques de délais de prise en charge, réduire le nombre de consultations en urgence, pallier la méconnaissance de la souffrance psychique et diminuer les ruptures dans le parcours de soin, etc.
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- Un clivage entre le social et la santé. Tous les acteurs de la protection de l’enfance soulignent la nécessité d’instaurer une prise en charge pluridisciplinaire, entre le social et le sanitaire, pour l’ensemble des enfants confiés à l’ASE, fait remarquer Terra Nova.
Le think tank mentionne les propositions formulées par le pédopsychiatre Guillaume Bronsard, président de l’Association nationale des maisons des adolescents, et Michel Amiel, sénateur des Bouches-du-Rhône, pour créer une « grande alliance » entre pédopsychiatrie et ASE. Trois réformes : la création de « dispositifs mixtes sachant héberger et soigner » ; l’organisation d’une prévention et d’un dépistage spécifique et précoce, systématique et durable ; et la mise en place de formations communes pour les équipes encadrantes.
Améliorer l'accueil des MNA
Par ailleurs, Terra Nova consacre un chapitre à la santé mentale des mineurs non accompagnés (MNA). Une population encore davantage marquée à la fois par « une très grande détresse psychique et une quasi-absence de suivi psychologique ».
Si les troubles psychiques qui en découlent sont en partie liés à leur parcours de vie et de migration avant l’arrivée en France, « la précarité dans laquelle ils sont maintenus par la politique du non-accueil en France semble être le facteur de stress sévère qui nourrit leur trouble », estimait dans un rapport, en 2021, Médecins sans frontières et le Comité pour la santé des exilés.
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Lorsque ces jeunes arrivent en France, leur situation doit notamment être évaluée pour identifier leur droit à bénéficier de l’ASE. Une évaluation « souvent réalisée par des personnels insuffisamment formés à l’appréhension des troubles psychiques et des symptômes de stress post-traumatique », d’après le défenseur des droits. Pour que ces jeunes bénéficient pleinement de leurs droits, Terra Nova estime qu’il faut renforcer la formation des évaluateurs.
Le think tank constate par ailleurs que certaines initiatives locales permettent une prise en charge psychologique adaptée aux MNA. La Maison de Solenn à Paris et le CMP de Caen proposent une prise en charge spécifique, incluant la dimension transculturelle. L’hôpital Avicenne propose des consultations d’ethnopsychiatrie.
Ces initiatives, parmi d’autres, « devraient être généralisées sur le territoire », estime Terra Nova, qui suggère à l’ASE de multiplier les partenariats extérieurs pour améliorer la prise en charge des MNA.