C’est une évolution à laquelle personne n’échappe. Quels que soient les services et établissements, de plus en plus d’enfants accueillis présentent une « double vulnérabilité ». Selon la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (Drees), 15 % des enfants accompagnés dans les établissements et services du handicap bénéficient d’une mesure de protection de l’enfance. En Itep (institut thérapeutique, éducatif et pédagogique), ils sont même 41 %.
Un constat qui rend nécessaires les coopérations entre deux champs, le social et le médico-social, aux identités propres. Et qui tendent, comme ailleurs, à fonctionner en silo. Face à ces enjeux d’actualité, comment se coordonner pour favoriser un meilleur accompagnement des enfants ? Eléments de réponse en trois points, abordés le 13 octobre par les principaux représentants du secteur.
► Penser le décloisonnement. Pour des raisons historiques, les métiers du secteur social et médico-social se sont construits dans la catégorisation des publics, à laquelle répond la spécialisation des professionnels, estime Laurent Cambon, directeur de la Sauvegarde de l’enfance et de l’adolescence de Seine-et-Marne. Auteur d’une thèse sur l’identité des éducateurs spécialisés, il remet en cause ces positionnements, qui ont « fonction de distinction sociale » et tendent à exclure plutôt qu’à réunir.
Il prend pour exemple l’éducateur en protection de l’enfance qui voit l’enfant porteur de handicap psychique relever de l’hôpital psychiatrique. Et l’hôpital de demander : « Que fait la structure éducative ? » Laurent Cambon explique : « La construction des métiers passe par un entre-soi dont on ne sort jamais. Il y a ceux qui en font partie et les autres. Il aurait au contraire fallu penser l’ouverture. S’attacher aux compétences acquises au cours de la vie plutôt qu’à la catégorisation des métiers. Nos métiers devraient ainsi évoluer vers plus d’agilité, vers une vision plus ouverte. »
La loi de 1975 qui réglemente la création des institutions sociales et médico-sociales est emblématique d’une volonté de réparer le handicap, et non de faire évoluer la société pour permettre l’inclusion. « Cette ère de la réparation a perduré jusqu’à la loi 2002-2 [favorisant, entre autres, la participation des personnes accompagnées, ndlr]. Et on continue à chercher un savant fou qui aurait la solution miraculeuse à la détresse de l’enfant », persifle Laurent Cambon.
Dans le sillage de la désinstitutionnalisation, de l’inclusion des personnes, c’est par la participation des enfants, par les logiques d’empowerment et de pair-aidance que l’universitaire entrevoit la coopération. Une posture partagée par Thomas Larrieu, responsable de l’animation du réseau du Gepso. « C’est dans leur bouche que les solutions arrivent. Si on écoute les enfants et leurs besoins, on se rend compte avec quelles structures on va pouvoir travailler et quels dispositifs innovants on va pouvoir mettre en place. »
► Mieux se connaître. Un préalable : se connaître soi-même. Alain Vinciarelli, président de l’Anmecs, souligne combien les phénomènes de silos existent au sein même des associations, dont certaines proposent différents dispositifs, Mecs (maison d'enfants à caractère social), Ditep (dispositif Itep) ou milieu ouvert. Il invite à établir une cartographie des ressources du territoire. « Nous sommes tous concernés par le parcours de l’enfant, rappelle Céline Mons, présidente du Cnaemo. Pour travailler ensemble, il faut commencer par mieux se connaître et se rencontrer davantage, entre nous et avec les autorités de contrôle. »
Dépasser les relations interpersonnelles pour inscrire les coopérations à un niveau départemental et régional. Signer des conventions pour garantir la pérennité des partenariats. Quitte à confier la charge de la coordination à certaines personnes en particulier, et à bien connaître le rôle de chaque acteur. « Nous ne souhaitons pas la confusion des missions », prévient Lionel Deniau, fondateur et président honoraire de l’AIRe.
Pour travailler à un projet commun, Alain Vinciarelli invite à « exiger que les outils soient mis en place. Trop souvent, on constate l’absence de projet pour l’enfant (PPE) et d’évaluation concrète. Ce qui conduit à réinventer sans cesse la problématique du jeune. » Le président de l’Anmecs propose également de mettre en place des outils partagés. « Il est important de faire en sorte que le jeune qui fréquente le Ditep ou l’IME [institut médico-éducatif] trouve une cohérence dans la façon dont il est accompagné, selon les différents lieux où il se trouve. »
Mieux se connaître passe encore par la mise en place de formations continues communes. Ou de rencontres, comme en organise le Gepso : « Des délégations régionales se regroupent. Chacun présente ses problèmes spécifiques et voit comment on peut lui venir en aide, explique Thomas Larrieu, responsable de l’animation du réseau. Chaque professionnel repart ainsi avec des réponses à des problèmes qui, pris indépendamment, sont difficiles à résoudre. »
► Travailler les représentations. « Le premier frein à la coopération, c’est d’abord la méconnaissance, qui ne permet pas une “reconnaissance”. Quelles sont nos attentes vis-à-vis de l’autre ? D’abord, qu’il m’aide et me soutienne quand je suis disponible, en fonction de mes besoins, et que je ne me sente pas dévalorisé », souligne Gwenaëlle Boissy, à l’ANPF.
Avant de créer un partenariat, de coopérer, il peut être intéressant de lever les représentations que chacun se fait à l’égard des autres secteurs professionnels. C’est ce qu’a cherché à faire le groupe « Ephémère », constitué de professionnels d’AEMO (action éducative en milieu ouvert), d’Itep ou encore de Mecs (maisons d'enfants à caractère social). A raison de cinq rencontres de trois heures, ils ont échangé non pas au sujet des personnes accompagnées, mais de leurs métiers respectifs. Avec une contrainte : chacun devait parler non pas de son métier, mais de la manière dont il voyait celui du voisin. Un premier échange, non dépourvu d’humour, pour déconstruire les représentations. On y apprend, entre autres, que les éducateurs en AEMO sont perçus comme « les intellos du travail social » et l’intervention en Itep comme « de la médecine de guerre ».
D’autres rencontres régionales s’organisent dans le sillage de cette journée. La première se tiendra le 20 octobre à Dole (Jura), en présence du défenseur des droits des enfants, Eric Delemar. La seconde aura lieu à Lyon, le 7 juin. Un retour à l’échelon national est prévu dans un an, à l’automne 2024. Et, dès le mois de novembre, les représentants des associations nationales se retrouveront à Paris pour continuer à échanger et harmoniser leurs points de vue.