Alors que l’Union Européenne vient de voter un plan visant zéro sans-abri en 2030, Christophe Robert, le Délégué général de la Fondation Abbé Pierre, rappelait en novembre 2020 que 300 000 personnes, toutes classes d’âges confondues, n’ont toujours pas de domicile fixe en France. Un chiffre qui a doublé en dix ans, témoignant d’une précarité galopante que certains SDF tentent d’adoucir en s’entourant d’animaux. Faute d’étude spécifique à grande échelle, et en raison de leur caractère volatile, leur nombre est difficile à déterminer mais ils représenteraient selon certaines sources 10 à 20 % de l’ensemble des personnes sans domicile fixe.
Depuis une quinzaine d’années, Christophe Blanchard, sociologue et maître de conférences en sciences de l’éducation à l’Université Sorbonne Paris Nord, va à la rencontre de ces binômes du macadam qu’il qualifie de « Cynomades » — « néologisme taxinomique tout aussi arbitraire, mais finalement plus cohérent que le qualitatif d’errants dont on les affuble trop souvent, » écrit-il dans la thèse qu’il leur a consacrés (Entre Crocs et Kros : analyse sociologique du compagnonnage entre l’exclu et son chien, 2013). Ses connaissances en éthologie et son expérience de cynotechnicien ont été pour ses interlocuteurs un gage de crédibilité. Le soutien financier que lui a apporté la Fondation Adrienne et Pierre Sommer lui a permis de mener un travail d’observation rigoureux de leurs lieux de vie et a contribué à étendre sa notoriété puisque Christophe Blanchard bénéficie aujourd’hui d’une reconnaissance, aussi bien en France qu’à l’international.
Selon Christophe Blanchard, « La plupart des SDF accompagnés d’un animal sont jeunes (de 16 à 40 ans) et de sexe masculin, nous apprend-il. Ils présentent de sérieuses carences affectives, souffrent souvent d’une dépendance à l’alcool ou aux drogues et ont un parcours émaillé de multiples placements. Aussi visent-ils la rue comme horizon idyllique dès qu’ils sont majeurs. »
Coline Namer, éducatrice spécialisée à la Maison de Rodolphe (Lyon), un C.H.R.S qui accueille des familles et des propriétaires de chiens en situation d’exclusion, se souvient d’un usager qui disait toujours « ma fille » en parlant de sa chienne. Ces « enfants » sont souvent élevés de manière stricte car comme le souligne Emmanuelle Marcia Riquet dans sa thèse de doctorat vétérinaire (etat des lieux sur la relation entre la personne sans domicile fixe et son chien, 2014), les maîtres de chiens à la rue considèrent l’éducation canine comme une priorité et « font preuve de connaissances, d’une responsabilité et d’une citoyenneté que l’on n’observe pas chez l’ensemble des propriétaires canins ».
S’ils peuvent faire des chats, lapins, rats, reptiles ou mammifères plus insolites leur compagnon — au C.H.R.S Carteret (Lyon), on a même accueilli des ratons laveurs ! —, les SDF s’entourent plus fréquemment de chiens (jeunes mâles essentiellement, non castrés, et de type croisés bergers), généralement pucés et à leur nom.