Mais qu’est-ce qui pousse ces publics déjà si précaires à prendre un animal ? Pour Christophe Blanchard, c’est « une manière de compenser les manques du passé. » Les spécialistes notent note d’ailleurs une corrélation entre le nombre d’animaux dont ils s’entourent et leur degré de souffrance. Comme s’ils cherchaient à les sauver d’un péril qu’ils ont eux-mêmes vécu dans leur prime jeunesse... Ancré dans un contexte de souffrance psychique intense, le lien qu’ils parviennent à tisser est effectivement très fusionnel. « Ce n’est pas l’animal de compagnie comme on l’a dans son petit salon, dans son petit chez soi, le chien, c’est un compagnon, c’est énormément d’amour, c’est un gardien face à l’adversité. Et c’est, en même temps, une façon d’attirer l’œil des gens, » témoignait Ervé au micro de Charline Vanhoenacker et Juliette Arnaud sur France Inter en avril 2022. Les propos de ce SDF, qui vit sur un trottoir du Xème arrondissement et a publié récemment un récit autobiographique (« Ecritures carnassières », Editions Maurice Nadeau), résume parfaitement l’amour inconditionnel que les maîtres vouent à leur compagnon à quatre pattes. Celui-ci le leur rendent bien. Le sociologue Jérôme Michalon, a démontré « qu’en recevant des soins des humains, les animaux deviennent pourvoyeurs de soins » (Panser avec les animaux : sociologie du soin par le contact animalier, Ed. Presses des Mines, 2014).
Source de réconfort, le chien est effectivement celui qui réchauffe, au sens propre comme au figuré, restaure l’estime de soi, ranime la responsabilisation — ne serait-ce que parce qu’il doit être quotidiennement nourri et sorti —, et constitue une présence dissuasive en cas de danger, voire protectrice si le maître est sous addiction. « Il joue tour à tour le rôle du frère, du confident, du psy, et même de l’enfant, » ajoute Christophe Blanchard à qui un SDF confia un jour : « Moi, mes quatre chiens (...) ce sont mes bébés (...) les bébés que je ne peux pas avoir dans la rue. »
Dans la logique de mouvement constant qui est la leur, le chien demeure en somme la seule source de stabilité, doublée d’un solide rempart contre l’exclusion. Pour Ana Alkan, porteuse du projet Balto, un bus vétérinaire itinérant imaginé par plusieurs étudiants de VetAgro Sup (Lyon), et qui dispense des soins aux animaux de sans-abri, cela ne fait aucun doute :
« J’avais été frappée par le cas d’un homme d’une cinquantaine d’années qui fréquentait l’accueil de jour à Bourgoin-Jallieu (Isère). Depuis que sa femme et son enfant avaient péri dans un accident de voiture, il s’était totalement marginalisé et vivait sous une tente. Seul, Bandit, son chien berger, pouvait le rattacher à une société dont il n’attendait plus rien. Et jamais il n’aurait manqué la visite annuelle liée aux rappels de ses vaccins. »
De fait, en apportant un certain équilibre psychologique au maître, le chien l’empêche de craquer, voire de passer à l’acte en cas de pensées suicidaires. Beaucoup avouent d’ailleurs que sans lui, ils se seraient laissés mourir depuis longtemps...
« Ces animaux sont des murs porteurs. S’il arrive quelque chose aux personnes que l’on accompagne, c’est leur charpente psychique qui s’effondre, » dit Coline Namer, éducatrice spécialisée au C.H.R.S la Maison de Rodolphe (Lyon).