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Introduction

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Et si le maître doit s’absenter ?
L’hospitalisation : une situation traumatisante pour l’animal, comme pour son propriétaire. Alors, dans les établissements sociaux, on cherche des solutions selon ses moyens.
« Les réponses sont multiples, dit Christophe Blanchard. Cela va du chenil à l’accueil du chien en chambre mais pour le binôme, la première option est toujours très mal vécue. Dès lors qu’une relation de confiance est installée, les partenariats avec les familles d’accueil peuvent être intéressants, à condition de les pérenniser. Certains confient même l’animal à la SPA, le temps de régler le problème. Mais face à l’engorgement des refuges, la solidarité demeure LA solution la plus efficace. « Je me souviens qu’après le suicide d’un jeune homme à La Rochelle, un individu s’était spontanément présenté comme étant le nouveau maître de son chien, » raconte Estelle Prietz, docteur vétérinaire, coordinatrice à Vétérinaires pour Tous, réseau associatif d’accès aux soins pour les propriétaires d’animaux en situation de précarité (cf encadré page 76). Il y a presque davantage de responsabilisation chez les SDF que chez les propriétaires de chiens lambda pour qui un déménagement ou une séparation conjugale constituent des motifs courants d’abandon. »
S’il lui est arrivé de placer momentanément un chien dans un chenil proche de Nantes — solution peu viable compte tenu de la piètre solvabilité des publics accueillis —, Thierry Pastou (C.H.R.S Saint-Benoît Labre, Rennes) aussi préfère s’en remettre aux connaissances ou aux amis d’amis du maître. « A la rue, les parrainages se créent et cela satisfait toutes les parties. J’ai vu des personnes refuser une intervention chirurgicale simplement parce qu’elles ne connaissaient pas la famille d’accueil pressentie. »
Dès leur arrivée au Centre Vésale-Les Enfants du Canal (Paris 5ème), les maîtres sont invités à indiquer le nom d’une personne de confiance susceptible de s’occuper de leur animal en cas d’accident de vie. « Le système fonctionne plutôt bien, affirme Alexandre Bissig. Le chien peut rester dans la chambre et un système de ronde est organisé — chacun se proposant de le sortir à tour de rôle. L’un de nos résidents en grande fragilité est justement sur le point d’être hospitalisé et devra intégrer ensuite une maison de repos. Nous avons pu anticiper les choses en confiant à un tiers que nous connaissons le soin de récupérer son animal. Et nous resterons bien entendu en lien pour un dépannage croquettes ou autre s’impose. »
Théo Noguer (Solivet), lui, nourrit l’espoir de créer une pension canine solidaire, gérée sur le modèle d’un chantier d’insertion. Soutenu par la Fondation Abbé Pierre, le projet s’inspirerait de ce que propose l’association strasbourgeoise Lianes, soucieuse de maintenir le lien entre l’humain et son animal (www.association-lianes.fr).
« Je vise l’installation de 24 boxes. Nous avons déjà le terrain, manquent les financements ! » dit le jeune vétérinaire.
Solivet : une formation en trois modules
Afin que les travailleurs sociaux soient mieux armés et acquièrent les bases du comportement animal, Théo Noguer a conçu trois modules de formation professionnelle. Au programme : prévention, réflexions sur l’aménagement de la structure et l’accueil des binômes, mais aussi bases de médiation animale. Dans ce dernier volet, il s’appuie sur des exemples de dispositifs mis en place à l’hôpital et en maisons de retraite et dont les travailleurs sociaux peuvent s’inspirer.
« D’abord, il faut casser un certain nombre de clichés. Un chien ne mord jamais sans avoir envoyé quelques signaux de stress au préalable, insiste Théo Noguer. Il se lèche le museau, a le regard fuyant, baille de manière excessive ? Prudence ! Ignorer ces avertissements ne lui laisse alors qu’une seule alternative : montrer les crocs. »
L’intervention d’un éducateur canin est également très utile pour apprendre au chien à rester seul sans aboyer. « Selon sa race et sa morphologie, les besoins de dépense physique varient. Parfois, il suffit de le faire courir une heure avant l’absence de son propriétaire ou de lui confier des jeux d’occupation. Les consignes porteront d’autant plus leurs fruits si le maître s’implique totalement. »
L’aménagement de la structure
La question, cruciale, de l’aménagement de la structure figure également au chapitre de cette formation. Faut-il construire un chenil ou au contraire privilégier l’accueil en chambre ? « Si celle-ci est partagée par six personnes, je recommande de construire un chenil afin de ne pas imposer l’animal aux autres. Mais y demeurera-t-il en permanence avec un maître qui s’occupera de lui et le sortira, ou s’agit-il juste d’un abri pour la nuit ? Par ailleurs, doit-on limiter le nombre de chiens ? Si oui, à combien ? Et quid des chiens de catégories ? Si l’un d’eux n’est pas muselé et qu’il inflige une morsure à quelqu’un, la structure est-elle responsable de ne pas avoir respecté la loi imposant le port de la muselière (la possession de chiens catégorisés fait l’objet de mesures spécifiques prévues par l’article L211-12 du Code Rural) ? Autant de questions que nous abordons ensemble, poursuit Théo Noguer. Au C.H.R.S Le Cotentin (Asso A.J.I.R.H.A.L.P à Grenoble), par exemple, tous les chiens sont examinés par un vétérinaire comportementaliste qui évalue leur dangerosité. Ceux de niveau 3 ou 4 n’y sont pas admis. Dans cet établissement, qui, jusqu’à mai 2022, n’accueillaient pas encore les maîtres/animaux, les binômes bénéficient d’une chambre d’environ 13 m carrés mais doivent laisser leur chien au chenil en cas d’absence, et pas plus de 6 heures, comme le stipule le règlement intérieur qu’ils signent à leur arrivée. Au-delà, ils devront mandater une personne pour s’occuper de l’animal (un travailleur social ou une connaissance). »
Pour Théo Noguer, dont l’association a ainsi accompagné pas moins de 23 structures entre septembre 2021 et août 2022, chaque structure sait et sent ce qu’elle doit mettre en place en fonction de son public. « Pour certaines, note-t-il, accueillir ne serait-ce qu’un ou deux chiens constitue déjà un immense pas. Aussi sommes-nous conscients de semer des petites graines. Mais si, à l’issue de nos formations, elles se mettent à germer, et que les propriétaires d’animaux trouvent un peu moins porte close, nous aurons remporté une manche. J’ai d’ailleurs constaté que les travailleurs sociaux sont de plus en plus sensibilisés à cette problématique. Ce qui me rend confiant pour l’avenir, même si les besoins demeurent gigantesques ».
Comme le souligne Romain Joubert, de la F.A.S Nouvelle-Aquitaine, qui souhaiterait mettre en place un « Solivet bis » dans sa région, il n’est jamais évident d’adapter le logement ou l’hébergement à l’accueil du chien. Car en dehors de la nécessité de lui trouver un lieu ad hoc, d’autres appuis sont nécessaires : appui juridique, appui à l’évolution des pratiques professionnelles, partenariats avec vétérinaires... Autant de réflexions qui doivent être menées de concert avec la structure, et les bénéficiaires. « Les personnes hébergées étant les premières concernées, nous tenons à ce qu’elles soient associées à la réflexion sur le bâti, » ajoute-t-il. Une recommandation que partage Laurent Ghizzo, responsable du service de l’accueil de jour et du C.H.R.S La Maison de Rodolphe (Lyon) : « Quand on passe de la rue à un habitat, on ne se débarrasse pas du jour au lendemain de certaines habitudes, explique-t-il. Lorsque j’ai invité des étudiants de l’ENSAL (Ecole nationale supérieure d’architecture de Lyon, Vaulx-en-Velin) à visiter le site et à me livrer leurs préconisations sur l’aménagement intérieur des logements, ils se sont demandé s’il ne serait pas plus approprié de proposer des couchages à même le sol, ou de revoir le linge de lit car il n’est pas rare que les résidents continuent de dormir par terre, enveloppés dans un duvet avec leur chien par dessus. La chose mérite réflexion. »
Le chien, allié privilégié du travailleur social
Si l’animal apparait souvent comme un obstacle dans le maintien en hébergement ou en logement, en agissant comme stimulateur de réactions, facilitateur d’échanges, il peut devenir un précieux élément de reconquête sociale. « Quand on défend un accompagnement global, on ne peut ignorer la question de l’animal, insiste Nathalie Latour (F.A.S). Celui-ci peut être un levier dans l’accompagnement de la personne, une accroche pour travailler son insertion et donc un vrai plus. Ce n’est qu’en valorisant les initiatives pertinentes que l’on parviendra à les faire essaimer. » Le pédopsychiatre américain Boris Levinson fut le premier à évoquer le rôle du chien en tant que possible catalyseur social, rappelle Christophe Blanchard. Un atout que l’éducatrice spécialisée Margaux Gibert (C.H.R.S. Hériot, Dijon) défend bec et ongles : « Comment nous autres, travailleurs sociaux, pourrions écarter ces avantages quand on sait l’importance que le maître accorde à son compagnon ? Il faut au contraire s’appuyer sur l’un pour accéder à l’autre. Nous avons tout à y gagner ! »
A commencer par une meilleure compréhension du parcours de la personne suivie. « Un jour, raconte Margaux Gibert, un Monsieur m’a dit : Quand il y a trop de tension autour de lui, mon chien ne supporte pas, alors, il pince ! Cette remarque anodine l’a progressivement amené à me confier des détails plus intimes sur son enfance, et j’ai appris qu’il avait été témoin des coups que subissait sa mère. »
Véritable « borne biographique », pour reprendre les termes de Christophe Blanchard, l’animal permet en effet aux travailleurs sociaux de retracer plus aisément le parcours des maîtres. Alors qu’ils se montrent souvent peu loquaces dès qu’il s’agit de se livrer, le fait de parler de leur animal ou des conditions de son adoption n’est jamais source de blocage. Et dans leur regard, la lueur de fierté est éloquente : « Vous voyez, semblent-ils nous dire, moi qui suis à la rue, j’ai un chien en bonne santé, bien nourri. »
Au C.H.R.S Carteret (Lyon), où sont actuellement accueillis dix propriétaires de chiens, les balades qu’Imed Jendoubi organise régulièrement avec les binômes permettent de renforcer les liens dans le processus de réinsertion. « Tous les étés nous imaginons des sorties hors de leur cadre. Lors d’un séjour de quatre jours à la montagne où ils avaient eux-mêmes construit les règles, nous avons vécu des moments extrêmement fédérateurs. » Pour Thierry Pastou, tout est parti d’une participation à une séance de réflexion proposée par la F.A.S. Dans l’agglomération nantaise où est situé son établissement, on dénombre beaucoup de propriétaires de chiens à la rue. De ses échanges avec Nathalie Simon, vétérinaire comportementaliste et éducatrice canine dont les interventions ont bénéficié d’un soutien financier de la Fondation A. et P. Sommer lors de son appel à projets 2008, naît un souhait : pallier la carence de lien social en s’appuyant sur la relation affective des maîtres/animaux de manière à considérer le chien non plus comme un frein mais comme un compagnon d’insertion.
Pour Thierry Pastou « Il est important d’insister sur les contraintes. Quand on prend un chien, il faut être conscient que c’est pour une durée de 15/20 ans et que la race choisie doit répondre à ses propres capacités physiques mais aussi financières. Pas question d’adopter un berger allemand quand on touche le RSA sinon comment assumer les frais de nourriture ? Ces échanges nous permettent également d’inciter le maître à adopter une attitude positive vis à vis de son chien. »

SECTION 7 - DES SOLUTIONS ET DES FORMATIONS

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