Si certains résidents issus de l’immigration et de régions comme le Moyen-Orient ou l’Afrique du Nord appréhendent le contact avec les chiens, chez les travailleurs sociaux aussi, celui-ci peut être source de stress. Et il n’est évidemment pas question de l’ignorer.
« L’accueil de résidents accompagnés de chiens ne doit jamais être excluant pour les autres, insiste Alexandre Bissig, du Centre Vésale-Les Enfants du Canal (Paris 5ème). Dans notre structure à taille humaine, il n’y a pas d’approche verticale avec les interdits d’un côté, et les autorisations de l’autre. La solidarité et les réponses sont collectives. Nous insistons particulièrement sur l’engagement. Si un propriétaire de chien présentant des conduites addictives souhaite par exemple participer avec son animal à une réunion et consommer, les autres résidents valident-ils sa présence ou doit-on entendre pleurer le chien dans la chambre ? Le but est de mettre davantage l’animal au centre du projet et de réinterroger la place du binôme dans le dispositif. Pour favoriser le maintien en hébergement, il faut trouver des leviers d’action. »
Pour Christophe Blanchard, qui a créé un diplôme universitaire de médiateur canin en intervention sociale, les futurs travailleurs sociaux pourraient s’appuyer sur l’animal et accompagner ces personnes en situation de vulnérabilité de manière encore plus pertinente pour peu qu’ils bénéficient d’une formation adéquate. D’où la nécessité de faire évoluer les mentalités à la source.
Au C.H.R.S Saint-Benoît Labre (Rennes), où les propriétaires d’animaux représentent 10 % de l’accueil sur les 182 places d’hébergement, des entraînements spécifiques sont organisés avec l’aide d’un éducateur canin. « Il ne s’agit en aucun cas de dressage, précise Thierry Pastou, responsable du pôle hébergement-logement. L’objectif n’est pas de brutaliser l’animal, mais de travailler sur la répétition, en lui transmettant quelques consignes claires. On l’invite d’abord à pénétrer dans le chenil extérieur, puis on disparait de sa vue. Au début, il aboie frénétiquement, puis se calme progressivement et finit par accepter la laisse. Très souvent ce n’est pas le chien qui s’y oppose, mais le maître, car elle le renvoie trop à son propre passé. » Lorsque les aboiements risquent de devenir une source de nuisance pour le voisinage, Sophie Louis, responsable de l’E.S.I Clos Feuquières (Paris) s’en remet au maître pour calmer l’intéressé. Le cas échéant, un membre de l’équipe ou un autre usager prend le relais et essaie de le distraire. « En général, cela se passe bien. Le plus délicat, c’est lorsque le maître doit être hospitalisé, » souligne Sophie Louis.
« Si les SDF propriétaires de chiens divisent les travailleurs sociaux, je pense que c’est parce qu’on ne nous a pas formés à cette problématique à l’école, dit-elle. D’où certains stéréotypes. »
Margaux Gibert, éducatrice spécialisée au C.H.R.S Hériot (Dijon) et lauréate 2021 du Prix Marie-Claude Lebret de la Fondation Sommer.
Dans les groupes qu’il anime, à la F.A.S. Nouvelle-Aquitaine, Romain Joubert constate en effet que le sujet ressort souvent sous l’angle de la contrainte, les questions que se posent les travailleurs sociaux étant légitimes : que faire du chien en cas d’absence prolongée du maître — incarcération ou hospitalisation —, quid de l’accès aux soins, de son alimentation, etc... « Mais ce qui est positif, ajoute-t-il, c’est que cela suscite chez eux un intérêt croissant. En avril dernier ils étaient une trentaine à participer à la réunion que j’ai organisée pour défricher les sujets prioritaires et analyser les dispositifs mis en place par chaque association. Si les gestionnaires de centres pouvaient mettre la question de l’accueil de ces binômes dans les fiches d’actions de leur projet d’établissement, ils pourraient l’inscrire dans la continuité, et ce, en dépit du turnover des équipes. »