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Introduction

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Serge Tisseron est psychiatre, docteur en psychologie habilité à diriger des recherches, membre de l’Académie des technologies. Il est l’auteur de nombreux ouvrages sur des sujets très variés. La médiation animale l’intéresse beaucoup. Il nous livre son analyse, ses mises en garde et quelques remarques personnelles.
En tant que psychiatre et psychanalyste, que pensez-vous de la médiation animale en général ?
Bien avant que naisse l’idée de médiation animale, les animaux ont toujours été des compagnons proches des humains. Couramment utilisés pour différents travaux ou tâches, ils pouvaient également procurer du réconfort dans certaines circonstances. C’est donc bien naturel qu’ils se soient retrouvés impliqués dans des approches thérapeutiques. Les animaux peuvent aider certaines personnes en difficulté à améliorer leur estime d’euxmêmes et leurs capacités de socialisation.
Avez-vous eu l’occasion de voir pratiquer des actions de médiation animale ?
Pendant vingt ans, j’étais le médecin responsable d’un externat médico-éducatif. Nous accueillions notamment des enfants autistes pour lesquels nous avons mis en place des séances d’équithérapie. J’ai pu observer tous les bienfaits que cela leur apportait.
Nous aurions aimé avoir des chiens et des chats mais pour des raisons de contraintes sanitaires, c’était alors interdit dans les établissements de ce type.
Quels bienfaits peut-on attendre de la médiation animale ? Sur quels types de pathologie ou de profil peut-elle agir ?
Je vois trois grands bénéfices. Le premier est lié à la communication non verbale. La communication avec un animal est une communication simplifiée, qui passe par des messages posturaux ou des mimiques simples. Cette communication réduite à des éléments non verbaux fonctionne très bien avec les enfants autistes qui ont généralement du mal à gérer la complexité des messages humains qui leur sont adressés, parce qu’il faut y être attentif à la fois aux messages verbaux et à des mimiques particulièrement complexes.
Deuxième bénéfice : la médiation animale permet d’apprendre le soin d’autrui, ce qu’on appelle le care. Il fonctionne en quatre temps : comprendre ce dont l’autre a besoin ; estimer si on peut le lui donner ; le lui donner ; et enfin évaluer si ce qu’on lui a donné était ce qu’il attendait. Avec un animal, cette démarche peut être menée paisiblement jusqu’à son terme, sans être interrompue ou contestée, ce qui pourrait être le cas avec un autre humain. Or apprendre à prendre soin d’autrui, ici d’un animal, c’est aussi apprendre à prendre soin de soi. Si on apprend à nettoyer ou brosser un cheval, on sera plus attentif à sa propre toilette. Une personne qui a de la difficulté à prendre soin d’elle même peut ainsi l’apprendre en s’occupant d’un animal.
Enfin, troisième bénéfice, la médiation animale est un excellent vecteur pour valoriser la notion de responsabilité et améliorer l’estime de soi. Quand on a la charge d’un animal, il faut penser à le nourrir, le promener, éventuellement faire sa toilette... Cette succession de petites tâches, si elles sont fortement investies, peut contribuer à augmenter l’estime de soi et la capacité de se sentir responsable d’autres humains.
Quels sont les pièges à év iter, les contre-indications ?
Tout d’abord, et ceci est valable pour toutes les formes de thérapie, il ne faut pas penser que la médiation animale se suffit à elle-même. Elle produit des résultats en combinaison avec d’autres types d’interventions.
Il faut ensuite surveiller les personnes qui auraient besoin d’écraser l’animal pour affirmer leur propre puissance. Enfin, il convient d’être particulièrement prudent avec les enfants qui ont été maltraités : ils peuvent se révéler maltraitants avec les animaux. Certes, le thérapeute est toujours présent lors des séances de médiation animale, mais il convient tout de même de ne pas laisser trop d’initiatives à l’enfant.
Pensez-vous que ce type de thérapie non médicamenteuse soit amené à se développer ?
Oui, tout à fait, en complément d’autres thérapies. Il existe aujourd’hui un large éventail de thérapies possibles : thérapies individuelles, de groupe, thérapies par l’art, la musique, les animaux, les jeux vidéo, etc. Toutes ces activités entrent en résonance les unes avec les autres. Il faut prendre en considération l’ensemble de ces possibilités et voir quelles sont les mieux adaptées à chaque cas particulier. C’est le médecin qui décide du dosage !
Il faut donc aussi se garder d’opposer frontalement les médicaments aux autres formes de thérapie, quelles qu’elles soient. Les médicaments, dont à mon avis on abuse, ne sont qu’une forme de thérapie développée et encouragée par les laboratoires pharmaceutiques, et souvent prescrite par des médecins qui n’ont pas le temps d’écouter leurs malades. La vraie question est ailleurs. Ce qui est essentiel, c’est la qualité de présence. L’importance de l’humain est d’ailleurs montrée par le fait que la manière dont un médicament est prescrit influe sur son efficacité. C’est pour cette raison que l’on fait des essais en double aveugle lorsque l’on teste un nouveau médicament : ni le patient ni le médecin ne savent si le médicament administré est le vrai médicament ou un placebo. Cet effet du comportement du médecin sur l’efficacité du médicament est ce que Mickael Balint appelait « le médicament médecin ».
Autrement dit, dans toute action de médiation, un trio se met en place : le patient, l’objet de la médiation (animale ou autre), et l’animateur-thérapeute. L’intérêt de l’animateur pour l’activité proposée est un facteur essentiel de succès. Si l’animateur est passionné par les chiens, il y a de fortes chances qu’une séance de médiation canine fonctionne avec lui, et s’il est passionné par la sculpture, c’est la sculpture qui marchera ! Dans la médiation thérapeutique, quelle que soit la médiation, ce n’est pas la relation que le patient a avec elle qui guérit, c’est le trio accompagnant/ médiation/ patient. Mais en même temps, l’animal n’est pas un médiateur comme les autres. C’est un médiateur vivant, qui oblige l’animateur à s’adapter à lui en permanence, et cette adaptation est aussi un modèle pour le patient. Dans la médiation animale, le caractère vivant du médiateur renvoie plus que dans toute autre forme de médiation le patient et l’animateur à leur propre humanité. Et en s’adaptant en permanence à un médiateur vivant qui s’adapte à eux, ils entrent bien plus en résonance entre eux que dans toute autre forme de médiation.
On parle beaucoup des robots animaliers, dans les maisons de retraite notamment. L’animal vivant n’a-t-il pas des qualités que la machine n’aura jamais ?
L’animal vivant a effectivement des qualités que le robot n’aura jamais. Pour commencer, il a une émotivité dont les machines sont totalement dépourvues. L’attention conjointe ensuite : si on tourne la tête, certains animaux comme le chien réagissent en tournant la leur dans le même sens. La résonance motrice inconsciente enfin, qui fait que le chien règle son pas et même son allure générale sur celui de son maître, exactement comme deux humains ensemble le font. Nous nous sentons facilement en proximité émotionnelle avec un animal, et l’animal et son maître finissent souvent par se ressembler. Il existe d’ailleurs beaucoup de photographies et de dessins humoristiques sur ce thème.
Au contraire de l’animal, le robot est totalement prévisible. Il est programmé pour un usage précis et limité dans le temps. On peut par exemple décider de mettre un robot animalier « Paro »(1) sur les genoux d’une personne âgée pendant quinze minutes, performance absolument impossible à obtenir d’un animal vivant. Or il s’avère que cela peut procurer un bien-être rassurant. On peut ainsi décider du temps selon les personnes. Le robot est prescrit avec un protocole adapté à chacun.
Le robot peut également se révéler très précieux lors de l’accompagnement de gestes thérapeutiques précis. Par exemple lorsqu’il faut changer un patient de lit, ce qui arrive souvent pour un soin ou un examen. Autrefois, les infirmiers prenaient la personne sous les bras et la déplaçaient vaille que vaille, ce qui était une solution douloureuse et anxiogène. Aujourd’hui, on utilise un hamac soulevé par des palans : la douleur est moins forte, mais l’angoisse est toujours très présente et elle a tendance à accentuer la souffrance. Si pendant tout le processus, on place un robot animalier « Paro » sur le ventre de la personne, celle-ci est tranquillisée. Cet usage expérimental du robot produit des résultats très encourageants et va être généralisé. Aucun animal domestique ne pourrait faire la même chose.
En réalité, cela n’a pas de sens de comparer l’animal et le robot. Les utilisations qu’on en fait sont différentes et complémentaires.
Le problème, c’est que quand l’homme invente une technologie nouvelle, il a tendance à la sur-utiliser – à l’utiliser là où on en n’a pas besoin. C’est la logique capitaliste. Les nouvelles technologies sont portées par des industriels qui ont investi de l’argent en recherche & développement et ils veulent évidemment retirer le produit de ces investissements. La voiture a longtemps été trop utilisée, on fait heureusement machine arrière. Il en sera de même, je l’espère, avec les écrans devenus omniprésents et pour lesquels une réflexion profonde s’impose. Les ampoules dites LED sont une invention géniale parce qu’elles coûtent peu, consomment peu et durent longtemps. Alors il y en a partout et cela génère une pollution lumineuse inutile. Il se passe exactement la même chose avec les robots animaliers. Leurs promoteurs expliquent qu’ils sont mieux que les animaux et pourront les remplacer. Ce qui est faux. Nous devons au contraire leur trouver des niches d’utilisation intelligentes que l’animal ne peut pas assumer.
La médiation animale garde un rôle indispensable et elle a encore de beaux jours devant elle !


(1)
Paro est un petit robot qui ressemble à un bébé phoque couvert de fourrure blanche, capable de regarder, remuer la queue et pousser de petits cris.

CHAPITRE 14 - LE REGARD TRANSVERSAL DU PSY : QUESTIONS À SERGE TISSERON

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