Maître de Conférences au laboratoire d’éthologie animale et humaine de l’Université de Rennes 1, Marine Grandgeorge fait le point sur l’état de la recherche dans le domaine de la médiation animale, soulignant l’importance croissante de ce nouveau champ d’investigation dans le monde universitaire.
Depuis quand la médiation animale intéresse-t-elle le monde de la recherche ?
La question de la médiation animale a brusquement surgi dans les milieux universitaires du monde entier dans les années 80 et 90... et puis elle a quasiment disparu de la scène jusqu’au début des années 2000, sans doute – tout simplement – faute de financement des projets de recherche. Elle est ensuite revenue en force, aux États-Unis tout d’abord, où plusieurs laboratoires ont mis en place des programmes de recherche centrés sur la médiation animale, au Japon et au Canada. En France, les années 2005-2006 ont été décisives et ont marqué un grand tournant. À partir de ces années-là, quatre jeunes chercheurs ont soutenu un doctorat en lien avec la médiation animale, dans des champs disciplinaires différents : Jessie Ansorge-Jeunier (psychologie clinique), Jérôme Michalon et Christophe Blanchard (sociologie anthropologie), moi-même (éthologie et psychologie). La Fondation Adrienne et Pierre Sommer a joué un rôle-clé dans cette émergence puisqu’elle a contribué à financer tous ces travaux de recherche. Aujourd’hui, trois chercheurs sont en poste fixe et travaillent sur des thématiques en lien avec la médiation animale.
Quel a été votre parcours personnel ?
J’avais un master en éthologie où mes recherches étaient consacrées aux oiseaux marins. Pour mon doctorat, je voulais absolument trouver un sujet impliquant des enjeux sociétaux. Le laboratoire d’éthologie animale et humaine de l’Université de Rennes 1 cherchait un doctorant pour mener une thèse sur les enfants autistes et leur relation aux animaux de compagnie. J’ai postulé et ma candidature a été retenue. Il ne s’agissait pas encore de médiation animale à proprement parler mais c’était un premier pas dans cette direction. J’ai soutenu ma thèse en 2010, avec le soutien de la Fondation Adrienne et Pierre Sommer. Ensuite, j’ai travaillé quelque temps à l’hôpital de Brest tout en continuant à collaborer avec le laboratoire de Rennes sur des sujets de médiation animale. J’ai finalement été recrutée par ce laboratoire en 2015 comme maître de conférences pour développer des recherches dans le domaine de la médiation animale, du point de vue éthologique et psychologique.
Sur quels sujets travaillez-vous ?
Nos travaux de recherche portent actuellement sur trois sujets très différents.
Partis d’anecdotes et d’observations empiriques, nous venons de prouver que les chiens sont capables, s’ils ont reçu un entraînement adapté, de discriminer une odeur de crise d’épilepsie parmi différentes odeurs émanant de la même personne. C’est un résultat qui surprend la communauté scientifique : en effet, les causes et les symptômes de l’épilepsie sont extrêmement variables et on ne s’attendait pas à trouver un marqueur commun aux crises. Nous avons largement communiqué ces résultats et collaborons avec Handi’Chiens qui forme désormais des chiens pour les épileptiques. Avertis de l’imminence d’une crise grâce au changement d’odeur qu’ils perçoivent, ces chiens peuvent aider leur maître à mieux gérer la situation. C’est très important pour nous que les résultats prouvés en laboratoire aient des applications concrètes et utiles sur le terrain, c’est tout le sens de notre travail.
Nous nous intéressons aussi au bien-être des équidés impliqués dans des actions de médiation animale. Nous avons commencé ce travail il y a un an avec une jeune doctorante. Elle est allée dans deux centres équestres qui reçoivent des personnes handicapées et elle a évalué les chevaux selon des tests et grilles d’analyse bien déterminés. Elle fera ensuite le tour de France pour approfondir ces premiers résultats. Nous souhaitons savoir si les chevaux qui travaillent en médiation animale vont globalement mieux ou moins bien que les autres chevaux. Nous avons naturellement des hypothèses, il nous reste à les valider ou les infirmer ; les conclusions seront publiées dans deux ans, au moment de la soutenance de la thèse ! Troisième sujet : le rôle des chiens d’assistance auprès des enfants autistes. Il s’agit d’un projet mené conjointement avec Handi’Chiens et la Fondation Mira au Canada. Le chien est très présent dans les établissements recevant des enfants autistes et nous étudions le comportement de l’enfant en présence de l’animal et du professionnel. Les premiers résultats semblent montrer que si on laisse l’enfant être acteur dans la triade mise en place par la médiation animale, il aura tendance à développer des compétences insoupçonnées. Autrement dit, si les professionnels n’obtiennent pas ou peu de réaction chez l’enfant, c’est peutêtre parce qu’ils sont trop intrusifs. Ils auraient alors sans doute intérêt à laisser l’enfant gérer seul sa relation avec l’animal, à lui donner plus de latitude... C’est une piste à explorer, en aucun cas une recette magique.
Avez-vous d’autres projets ?
Les projets ne manquent pas ! Nous sommes très régulièrement sollicités par des gens de terrain qui nous font part de leurs observations, qui ont des idées et des hypothèses à valider. Ce foisonnement est passionnant. Je dois malheureusement décliner de nombreuses propositions intéressantes et prometteuses, faute de temps. Je ne peux encadrer plus de 2 ou 3 doctorants et stagiaires chaque année. C’est frustrant bien sûr. Mais d’autres laboratoires prennent le relais et approfondissent certaines questions : à Toulouse, le laboratoire de psychologie étudie l’impact du chien sur les enfants autistes d’un point de vue psychologique ; à Lyon, un projet sur les chiens guides d’aveugle auprès des enfants a été mis en œuvre...
Un cercle vertueux s’est mis en place...
Effectivement, la conjoncture n’a jamais été aussi favorable. La médiation animale intéresse maintenant le grand public, de nombreuses émissions lui sont consacrées, le sujet est à la mode. Moi-même, je participe régulièrement à des conférences publiques pour faire connaître les résultats que nous obtenons, les bénéfices et les possibilités infinies de la médiation animale. Cette exposition médiatique et l’intérêt suscité par le sujet rendent plus facile le financement des travaux de recherche. Car cela reste bien sûr le nerf de la guerre. Nous avons besoin de recruter des doctorants et des chercheurs, de lancer de nouveaux projets pour faire grandir la communauté. Autrefois, le financement des travaux de recherche était souvent assuré par les fabricants de nourriture pour animaux, ce qui n’était pas idéal car cela pouvait générer biais méthodologiques et conflits d’intérêt. Aujourd’hui, la situation est plus claire.
Quelles sont les relations entre la recherche et le terrain ?
Dans le domaine de la médiation animale, ces relations sont très étroites et indispensables. Les chercheurs ont besoin des acteurs de terrain pour expérimenter et valider leurs hypothèses. Les acteurs de terrain ont besoin de conforter scientifiquement certaines observations. Soit on avance ensemble, soit on périclite chacun de son côté !
POUR ALLER PLUS LOIN :
▸ DORE Antoine, MICHALON Jérôme, LIBANO-MONTEIRO teresa « Place et incidence des animaux dans les familles », Enfances Familles Générations : revue interdisciplinaire sur la famille contemporaine, n° 32, 2019
▸ FAUVEL Aude, AMOUROUX Rémy, MICHALON Jérôme, « Les sciences du psychisme et l’animal », Revue d’Histoire des Sciences Humaines, n° 28, janvier 2016
▸ GRANDGEORGE Marine, LEMASSON Alban, HAUSBERGER Martine, KODA Hiroki, MASATAKA Nobuo, “Enhanced cognitive processing by viewing snakes in children with autism spectrum disorder. A preliminary study018 BMC psychology, bioMed Central, 2019, 7 (1), pp.74.
▸ GUELLAÏ bahia, GRANDGEORGE Marine, Le développement du jeune enfant : regards croisés entre approches éthologiques et psychologiques, 49e Colloque Annuel de la SFECA, Institut Supérieur d’Agriculture de Lille - Hauts-de-France ; Société Française pour l’Étude du Comportement Animal, juin 2019
▸ MICHALON Jérôme, « The rise of therapy animals’ personhood : a note on the ontological dimensions of professional dynamics », Humanimalia : a journal of human/animal interface studies, vol. 11, n° 2, 2020.
▸ Bénéfices de l’approche pluridisciplinaire dans la compréhension de la médiation animale ainsi que dans l’évaluation du bien-être du chien médiateur – Alice Mignot -Thèse doctorat 01/04/2022 Neurosciences
▸ La médiation animale à tous les âges de la vie : 13 études de cas - Sous la direction de Anna Rita Galiano - Edition In Press, avril 2023