L’utilisation empirique d’animaux familiers pour soulager les maux de personnes souffrantes remonte à des temps très anciens. On recense par exemple une expérience menée au IXe siècle en Belgique, dans la ville de Gheel : on demandait à des malades de s’occuper d’oiseaux pendant leur convalescence, ayant observé que cette activité avait plutôt tendance à leur redonner confiance et moral. Au XVIIIe siècle en Angleterre, William Tuke fonda l’Institut York Retreat. Horrifié par la manière dont on traitait les malades mentaux dans un asile d’aliénés de la ville d’York, il préconisa l’utilisation d’animaux à des fins thérapeutiques. Les patients souffrant de troubles psychiques bénéficièrent ainsi de traitements novateurs : on confiait à leur responsabilité des lapins et des volailles, ce qui eut des effets très positifs sur leur bien-être. Un siècle plus tard, Florence Nightingale, fondatrice des techniques infirmières modernes, n’hésita pas à employer des animaux pour améliorer la qualité de vie des patients. Durant la guerre de Crimée (1854-1856), elle gardait une tortue à l’hôpital parce qu’elle savait, pour avoir longuement observé le comportement des animaux, que ceux-ci avaient le pouvoir de réconforter les gens et de diminuer leur anxiété. En 1867, à l’Institut Bethel de Bielefeld en Allemagne, on recourait à des oiseaux, des chats, des chiens ou des chevaux pour soigner certains épileptiques.
Les expériences de médiation animale ont commencé à se multiplier aux États-Unis à partir du début du XXe siècle, notamment dans les hôpitaux psychiatriques. Le passage de la pratique empirique à la théorisation est franchi dans les années 50 par le docteur Boris Levinson(1), psychologue à l’Université de Yeshiva, dans l’État de New York. Un jour qu’il recevait en consultation un enfant autiste dont le cas semblait insoluble, il laissa par mégarde son chien Jingles dans la pièce. Et l’enfant qui, jusqu’alors, était muré dans son silence, commença à communiquer et interagir avec l’animal. Dès lors, le docteur Levinson garda son chien avec lui pendant toutes ses consultations et consigna ses observations. Il est ainsi reconnu comme l’un des grands pionniers de la thérapie facilitée par l’animal, qu’il nommait « Petoriented Child Psychotherapy ». En 1962, il écrivit dans la revue Mental Hygiene, un article sur les effets bénéfiques que peuvent avoir les animaux sur l’homme : « the dog as a co-therapist » (le chien comme co-thérapeute).
En 1958, dans la foulée des découvertes de Boris Levinson, deux psychiatres américains, Samuel et Elisabeth Cor-son, n’hésitèrent pas à mettre à contribution des animaux de compagnie pour traiter des malades mentaux schizophrènes réfractaires aux méthodes conventionnelles (neuroleptiques, électrochocs). Ils constatèrent une nette diminution de la prise de médicaments psychotropes.
En 1976, Ange Condoret, un vétérinaire de Bordeaux influencé lui aussi par les travaux de Boris Levinson, se lança dans des recherches et expériences nouvelles auprès d’enfants souffrant de troubles du langage(2). Il définit en 1978 une méthode adaptable à chaque enfant : l’IAMP ou Intervention Animale Modulée Précoce. Il s’agissait de favoriser la communication non verbale (tactile, gestuelle, olfactive) des enfants en les mettant en contact avec des animaux, afin de les stimuler et de les rassurer, ce qui aboutit généralement à une amélioration de la communication verbale et à des échanges plus aisés avec autrui. Cette méthode permettait aussi la détection précoce de troubles de la communication. En 1977, Ange Condoret fonda la SEPMRAE (Société pour l’Étude Psychosociologique et Médico-pédagogique de la Relation à l’Animal familier chez les Enfants normaux ou inadaptés) et fut Président de l’AFIRAC (Association Française d’Information et de Recherche sur l’Animal de Compagnie).
Après les premières découvertes empiriques puis les écrits théoriques des précurseurs, les expériences de terrain se multiplient dans les années 70 et 80. Au tournant des XX et XXIe siècles, on assiste à une véritable montée en puissance du phénomène dans de nombreux pays. Les pratiques de médiation animale se répandent et de nombreux programmes se mettent en place. Dans les années 2000-2010, on assiste à un développement exponentiel et une forte médiatisation de la médiation animale, qui va de pair avec la reconnaissance officielle et les premières certifications.
POUR ALLER PLUS LOIN :
▸ Fondation Droit animal, Éthique et Sciences www.fondation-droit-animal.org
▸ International Association of Human-Animal Interaction Organizations (IAHAIO) www.iahaio.org
▸ MICHALON Jérôme, Panser avec les animaux. Sociologie du soin par le contact animalier, presses des Mines, paristech, 2014
▸ WILLEMS Sandrine, L’animal à l’âme - De l’animal-sujet aux psychothérapies accompagnées par des animaux, Éditions Seuil, 2011
▸ La médiation animale ou la clinique du lien, Sandie Belair, L’école des Parents Sup N°623-2017
(1)
LEVINSON, Boris M. et MALLON, Gerard P., Pet oriented child psychotherapy, Charles C. Thomas Publishing, édition révisée en 1997
(2)
CONDORET, Ange, L’animal compagnon de l’enfant, Éditions Fleurus, 1973