C’est une idée qui naît aux États-Unis au tournant des XX et XXIe siècles. À Seattle, Ellen O’Neill-Stephens, General Attorney de l’État de Washington achète un jour un chien labrador pour son fils Sean, handicapé moteur contraint de se déplacer en fauteuil roulant ; Sean est sur le point de partir pour l’Université et la présence du chien lui permet de mieux gérer le stress lié à ce changement de vie. Ellen O’Neill-Stephens pense alors que des victimes d’agression pourraient, comme son fils, tirer grand profit de la présence d’un chien lors des différentes étapes de la procédure judiciaire. C’est ainsi que son chien accompagne plusieurs victimes dans les salles d’audience de l’État de Washington. Cette première expérience, qui s’est révélée très positive, conduit à la création, en 2003, de la Courthouse Dogs Foundation.
Dans les années 90, Nelly Creten, une policière belge, prend l’habitude d’emmener un chien pour calmer et mettre en confiance les victimes d’agression qu’elle est amenée à interroger dans le cadre de ses enquêtes. En 2004, lors d’un Congrès à Glasgow, elle présente sa méthode de travail. Exerçant à l’époque depuis 28 ans au sein de la police criminelle, en charge d’enquêtes sur les enfants abusés, Nelly Creten explique que l’interrogatoire d’enfants en situation de stress est toujours une entreprise délicate. Traumatisés par ce qu’ils ont vécu, ils n’ont généralement pas envie de se confier à un adulte représentant l’autorité, quelle qu’elle soit. Après avoir essayé plusieurs méthodes destinées à mettre l’enfant en confiance (poupées, dessins, pâte à modeler...), Nelly Creten a l’idée de recourir à un chien lors de ses interrogatoires, avec des résultats extrêmement probants. Entre 1995 et 2000, plus de cent enfants âgés de 3 à 14 ans sont interrogés chaque année dans son service, dans le cadre d’enquêtes criminelles. Dans 80 % des cas, une chienne labrador est présente lors des entretiens. Présence calme et rassurante, à l’écoute sans porter de jugement, aimant et suscitant le contact physique, l’animal protège et rassure l’enfant, lui tient compagnie sans jamais s’impatienter et l’encourage à parler. Il joue parfois même le rôle de confident direct, à la place de l’adulte.
De son côté, le sergent-détective Mélanie Bedard, de la police de Sherbrooke, lance le mouvement au Québec, avec le chien Kanak. En quelques années, Kanak accompagne dix personnes pendant qu’elles témoignent au tribunal et assiste les victimes dans plus de 225 affaires. En 2018, ce chien reçoit la médaille du mérite au Québec Animal Hall of Fame, pour services rendus à la collectivité.
Ainsi, de manière plus ou moins empirique, des expériences similaires sont menées sur de nombreux territoires en Amérique mais aussi en Europe.
En quelque vingt ans, l’utilisation de chiens spécialement formés pour soutenir et accompagner les victimes lors du marathon judiciaire auquel elles doivent se plier pour faire avancer les enquêtes (interrogatoires, témoignages etc.) est passée du statut intuitif et expérimental à la reconnaissance officielle grâce notamment à l’action d’associations et de fondations dédiées.
Des études sont mises en œuvre, attestant toutes des effets bénéfiques de la présence d’un chien auprès de personnes victimes, dans le cadre – au sens large – des procédures judiciaires. Les chiens mis au service des victimes ou des témoins de crimes sont naturellement spécifiquement entraînés et accrédités selon les normes internationales de l’Assistance Dog International (ADI), ils s’adaptent à tous les types de profils et savent d’instinct quelle doit être leur juste place.
Par ses actions, la Courthouse Dogs Foundation a largement contribué à confronter les expériences de chacun, valoriser les bonnes pratiques, diffuser les résultats positifs obtenus sur le terrain et ancrer l’idée en Amérique du Nord. Aujourd’hui, plus de 30 chiens sont déployés au Canada, dont 5 au Québec. Aux États-Unis, les polices et services judiciaires de 37 États ont recours à près de 250 chiens de soutien pour mener à bien leurs missions.
L’Europe reste à convaincre
En France, la Fondation Adrienne et Pierre Sommer a très tôt repéré les actions menées outre-Atlantique, qui entrent parfaitement dans le cadre de son domaine d’expertise et de son champ d’intervention : développer et favoriser les projets de médiation animale susceptibles d’améliorer le bien-être de personnes placées dans des conditions difficiles.
Décidée à promouvoir en France l’utilisation de chiens de soutien et à défendre le concept dans le monde de la police et de la justice, la Fondation Adrienne et Pierre Sommer a joué son rôle de facilitateur et de support financier. Elle a échangé avec les représentants de la Courthouse Dogs Foundation, participé à leur dernier congrès à Seattle et s’est fortement impliquée dans la mise en œuvre d’un premier programme en France.
« Le chien d’assistance judiciaire possède une qualification professionnelle et joue un rôle essentiel, non pas de serviteur, mais d’acteur. Il entretient de ce fait avec l’humain une proximité encore plus grande que l’animal de compagnie »
Louis Schweitzer, Président de la Fondation Andrienne et Pierre Sommer