1. CONTEXTE : DES RISQUES DE DISPARITÉS TERRITORIALES ET DE RUPTURE D’ÉGALITÉ
En confiant la gestion des politiques sociales aux collectivités territoriales, l’objectif est de mettre en œuvre les dispositifs destinés aux publics vulnérables au plus près de leurs bénéficiaires, qu’il s’agisse de la protection de l’enfance, de la lutte contre la pauvreté ou de la politique en faveur de l’autonomie des personnes âgées ou en situation de handicap.
Mais un des enjeux forts de la décentralisation appliquée aux politiques d’aide et d’action sociales réside aussi dans le risque de voir des inégalités territoriales se creuser, selon les besoins, priorités et moyens engagés dans les territoires.
C’est pourquoi l’Etat conserve un rôle législatif et réglementaire important dans la définition juridique, dans le contenu des obligations et dans l’affirmation même de certains impératifs (voir chapitre 2 : cadre juridique légal, services départementaux imposés etc..).
Toute la question est de trouver un équilibre entre le caractère national de la solidarité, emportant le respect du principe d’égalité, et la mise en œuvre sur le terrain afin que les droits soient effectifs, ce qui nécessite bien souvent l’intervention de nombreux acteurs. Au risque de nuire à la lisibilité et à l’efficacité des dispositifs.
Ainsi depuis plus d’une décennie des instances et organismes alertent sur des démarches rendues ou perçues comme complexes ou stigmatisantes, laissant des tensions apparaitre entre des choix nationaux et locaux et/ou entre différentes échelles territoriales, entre services.
Note :
Sur le caractère stigmatisant de dispositions de la future loi pour le plein emploi, la Défenseure des droits a adressé un avis aux sénateurs avant l’examen du projet de loi (6 juill. 2023 voir site https://www.defenseurdesdroits.fr/avis-du-defenseur-des-droits-au-senat-sur-le-projet-de-loi-pour-le-plein-emploi-304). Notant que l’axe principal du projet de loi est la « remobilisation » des allocataires du RSA, elle a relevé que « cette approche tend à laisser penser que ces derniers seraient les principaux responsables de leur éloignement du marché de l’emploi en raison d’un manque de motivation. L’accent mis sur la conclusion d’un contrat d’engagements réciproques, avec les devoirs qui s’y attachent et viennent conditionner le versement du RSA, est de nature à renforcer le caractère stigmatisant de cette approche ». Selon elle, « l’existence d’obligations à la charge des allocataires du RSA n’est pas contraire aux libertés fondamentales. En revanche, celles-ci ne sont justifiées que si elles sont proportionnées et contribuent à l’insertion professionnelle ». Dans son avis, la Défenseure des droits a alerté les sénateurs sur le « risque de dénaturation de ces obligations ». La loi, adoptée définitivement le 14 novembre 2023, sera publiée après décision du Conseil constitutionnel, qui devrait être saisi.
2. TRENTE - NEUF TERRITOIRES DÉSIGNÉS ET UNE MULTITUDE D’ACTEURS
La loi dite 3DS prévoit une expérimentation territoriale visant à lutter contre le non-recours aux droits sociaux et à détecter les situations dans lesquelles des personnes qui sont éligibles à percevoir des prestations et avantages sociaux ne les demandent pas. Ce dispositif nommé « Territoires zéro non – recours » est significatif, dans ses étapes, dans le processus de mise en place de la volonté de l’Etat de prendre des initiatives ainsi que de contrôler les actions conduites, dans certains domaines sociaux (L. n° 2022-217, 21 févr. 2022, art. 133, JO 22 fév. ; D. n° 2023-602, 13 juill. 2023 ; Instr. DGCS/SD1C/2023/119, 9 octobre 2023, Bull. officiel Santé - Protection sociale - Solidarité n° 2023/19, 16 octobre 2023).
Il reflète aussi la diversité existante dans l’organisation des collectivités territoriales (villes, établissements publics de coopération intercommunale – voir lexique et chapitre 2), laquelle s’accompagne d’une certaine complexité prenant en compte une multitude d’acteurs. Reste donc à savoir si l’objectif de non recours sera atteint (et/ou s’il s’agit de renforcer des contrôles).
Note :
Dans son rapport d’activité de 2021, la Défenseure des droits indiquait que des informations recueillies pour lutter contre le recours ne peuvent être ultérieurement utilisées à d’autres fins, en particulier à la détection et à la sanction d’une fraude, Il est cependant difficile de l’établir, compte tenu du partage des données. Ce même rapport souligne une nouvelle fois les difficultés d’accès aux droits liés à la dématérialisation et les effets qui y sont liés, à savoir les non-recours aux droits (Défenseur des droits, Rapport annuel d’activité 2019 : Dématérialisation et inégalités d’accès aux services publics ; Dématérialisation des services publics · 3 ans après où est – on ? 2022).
En 2024, 39 territoires seront concernés. Le financement est assuré par les crédits 2023 de la stratégie de lutte contre la pauvreté, puis dans le cadre du Pacte national des solidarités à compter de 2024.
3. DE L’APPEL AU PROJET À LA MISE EN ŒUVRE
a. Les dossiers de candidature
La sélection est réalisée sur la base d’un appel à projets établi par le ministre chargé des solidarités, lequel a été lancé le 31 mars 2023, avec un calendrier fixant le dépôt des candidatures au 26 mai 2023 et donc avant même que tous les textes d’application de la loi ne soient parus. Ce document soulignait que « seuls seront recevables les dossiers de candidatures qui incluent des actions visant à favoriser l’accès au RSA et à la prime d’activité, ces deux prestations constituant un minima non exclusif pour l’expérimentation. Les projets proposés pourront porter entres autres, en plus d’actions concernant le RSA et la prime d’activité, des actions destinées à améliorer l’accès à d’autres aides et prestations légales (complémentaire santé solidaire, aides au logement...) ou extralégales »
Voir site :
Un décret est venu préciser tardivement les critères d’éligibilité : l’intérêt des actions prévues, la pertinence et réalité des partenariats envisagés et l’adéquation des moyens aux objectifs, ainsi que la diversité des projets et des territoires, notamment au regard de leur taille et de leurs caractéristiques sociologiques (D. n° 2023-602, 13 juill. 2023).
b. Grande diversité des territoires
Aux plus dix territoires devaient être sélectionnés pour une durée de trois ans. Ce nombre passe finalement à trente - neuf (Arr. 4 août 2023 : NOR : FAMA2322155A). Les territoires couvrent chacun tout ou partie de la superficie d’une ou de plusieurs collectivités territoriales ou d’un ou de plusieurs établissements publics de coopération intercommunale ou groupes de collectivités territoriales volontaires. Sont désignés :
▸ Les départements : (Haute-Garonne, Gironde, Guadeloupe, Meurthe-et-Moselle, Pyrénées-Atlantiques, Seine-Saint-Denis dont le dossier est porté avec la ville de Saint-Denis)
▸ Une collectivité territoriale (Martinique),
▸ Deux métropoles (Lyon et Dijon),
▸ Une communauté urbaine (Arras),
▸ Quatre communautés d’agglomération (Ajaccio, Redon, Blois, Chambéry),
▸ Cinq communautés de communes (situées dans l’Aude, la Haute-Corse, le Gers, le Lot et la Vendée)
▸ Sept grandes villes (Paris, Marseille, Lille, Strasbourg, Rennes, Montpellier, Grenoble)
▸ Huit villes petites et moyennes (Pont-de-Claix en Isère, Flers dans l’Orne, Chemillé-en-Anjou dans le Maine-et-Loire, Vannes dans le Morbihan, Grigny en Essonne, Saint-Louis et Sainte-Rose à la Réunion, Acoua à Mayotte...).
Peut participer à cette expérimentation tout organisme de droit public ou privé, notamment les administrations et les organismes de sécurité sociale. L’expérimentation comprend la production d’observations sociales, la définition d’indicateurs et d’objectifs de recours aux droits, des mécanismes d’évaluation de ces objectifs ainsi que les analyses des besoins sociaux réalisées par le centre communal ou intercommunal d’action sociale.
c. De nombreux intervenants
Comité local
Un comité local chargé de conduire l’expérimentation est instauré à l’initiative des collectivités et/ ou les EPCI. Ce comité est chargé d’organiser les relations entre les différents acteurs présents sur le territoire, selon un programme d’action qu’il définit et qui doit notamment permettre de :
- identifier les droits sociaux concernés ;
- s’assurer que les actions menées dans les divers lieux soient accessibles aux personnes en situation de handicap, quel que soit le type de handicap, notamment physique, sensoriel, cognitif, mental ou psychique, ainsi qu’aux personnes à mobilité réduite ;
- déterminer les modalités d’information, de mobilisation et d’accompagnement des équipes et des bénéficiaires ciblés.
Sa composition est prévue par la loi et le décret (respectivement, art. 133 et art 4) : représentants du ou des départements concernés, représentants des services déconcentrés de l’Etat concernés, représentants du service public de l’emploi, représentants de la protection sociale intéressés et services portant le label "France Services" présents sur le territoire, personnes qui bénéficient ou sont éligibles aux droits sociaux.
Une convention, conclue entre le représentant de l’Etat dans le territoire et le président de l’organe délibérant de la collectivité ou de l’établissement chef de file (cf définition supra), détermine le nombre et la catégorie de ses membres.
État
Sa contribution au financement des expérimentations doit se traduire par la conclusion d’une convention entre le représentant de l’Etat dans le département et la collectivité territoriale ou l’établissement chef de file (cf définition lexique supra) de l’expérimentation (D. 2023-602, 13 juill. 2023, art. 2 et 3). Préfets de région, commissaires à la lutte contre la pauvreté (en lien avec le préfet de région), préfet de département sont aussi concernés (Instr. précitée).
Une boîte fonctionnelle est mise en place pour toute question : dgcs-tznr@social.gouv.fr.