La figure du « sans domicile fixe », du « sans-abri », a pris une place prépondérante dans la société française contemporaine. Elle a pris le pas sur le vagabond, le mendiant, plus récemment le clochard – perçu volontiers comme un « pauvre volontaire ». Il y eut certes l’appel historique de l’abbé Pierre au cœur de l’hiver 1954, pour autant le sujet ne se tarit pas, malgré la parenthèse des Trente Glorieuses. La fin du XXe siècle a ensuite nettement levé le voile sur une donnée sociale dorénavant centrale, créé de nouvelles appellations, consacré un nouvel acronyme (le fameux « SDF »). Les effets de la crise économique durable, le chômage de masse, l’affaiblissement du salariat, la précarisation-exclusion – un thème devenu omniprésent dans le discours politique – sévissent. Le XXIe siècle a emboité le pas au précédent et observe la pérennité du phénomène « sans-abrisme ». Pourtant, le sujet a mobilisé l’attention des médias et consciences, maintes énergies, celle des pouvoirs publics qui tentent régulièrement d’éradiquer le fléau lors de l’élaboration de ses politiques publiques, celle des associations caritatives, des professionnels du secteur sanitaire et social, celle des chercheurs qui apportent leur contribution.
Le combat est-il voué à être vain ? En 2017, le président de la République Emmanuel Macron s’était engagé, comme d’autres avant lui, à atteindre l’objectif « zéro SDF ». Un vœu pieux ; cinq ans plus tard, le rapport 2022 de la Fondation Abbé-Pierre annonce le chiffre sans appel de 300 000 personnes sans domicile fixe (v. le point qui suit sur la différence entre « sans-abri » et « sans domicile fixe »), un chiffre en augmentation constante, près de deux fois supérieur à celui souligné en 2012 (Fondation Abbé-Pierre, « L’état du mal-logement en France – rapport annuel », 2022). Pourtant, toujours selon l’abbé Pierre : « Gouverner, c’est d’abord loger son peuple. »
Le chantier, complexe, semble alors sans fin, tandis que les enjeux restent colossaux, en termes de cohésion sociale, économique...
À noter. Pour la commodité de la compréhension de l’ensemble, nous utiliserons préférentiellement le vocable « sans-abrisme ». En somme, être sans abri ne consiste pas uniquement à devoir dormir dans la rue (ex. : caves, parties communes d’immeubles, parkings, porches, trottoirs, jardins publics...) ; on considère aussi comme sans-abri les personnes contraintes de vivre dans des logements temporaires, insalubres ou de piètre qualité, pour lesquelles aucun logement n’est clairement identifié par une adresse postale. Le sans-abrisme est alors amené à englober tant le « sans domicile fixe » que le « sans-abri » stricto sensu (se côtoieront ici et là les mentions « SDF » et « sans-abri »). Les deux types de situation peuvent également à l’évidence jalonner en se succédant l’existence de nombreuses personnes. En tout état de cause, le spectre de la rue constitue une réalité tangible pour ces deux catégories, celles-ci rencontrant des difficultés communes.