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POLITIQUES PUBLIQUES DE LUTTE CONTRE LA PAUVRETÉ, LA PRÉCARITÉ ET L’EXCLUSION SOCIALE

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A. État des lieux des politiques publiques globales en général



1. LA LOI N° 98-657 DU 29 JUILLET 1998 : LOI PIVOT DES POLITIQUES PUBLIQUES CONTEMPORAINES

Pour remonter en des temps qui ne soient pas trop éloignés, il convient de relever la loi n° 98-657 du 29 juillet 1998 d’orientation relative à la lutte contre les exclusions. Selon son article 1er, la loi « tend à garantir sur l’ensemble du territoire l’accès effectif de tous aux droits fondamentaux dans les domaines de l’emploi, du logement, de la protection de la santé, de la justice, de l’éducation, de la formation et de la culture, de la protection de la famille et de l’enfance. »
Cette loi a une triple ambition. D’une part, elle envisage la multiplicité, la diversité et la complexité des processus d’exclusion qu’elle entend combattre : le champ couvert par la loi inclut l’emploi et la formation, le logement, la santé, l’éducation et la culture, la protection sociale, le surendettement, la citoyenneté, le sport, les vacances, les loisirs ou encore les transports. D’autre part, elle met l’accent sur l’accès aux droits fondamentaux : la loi considère que ceux-ci sont déjà légalement énoncés mais que nombre de personnes socialement en difficulté et fragilisées rencontrent des obstacles dans l’accès même à ces droits existants. Ses dispositions entendent alors créer les conditions et les procédures par lesquelles ledit accès aux droits sera mieux garanti. Enfin, la philosophie de la loi consiste en la prévention des difficultés – le deuxième titre est intitulé « De la prévention de l’exclusion » (cf. R. Castel, « Cadrer l’exclusion », précité, qui pointe le grand intérêt de mener des politiques préventives afin que les personnes ne sombrent dans ces situations d’exclusion).
« Accès au travail », « insertion », « accompagnement social » des individus et des parcours par les professionnels du secteur social intervenants sociaux sont des directions privilégiées. Tandis que, l’exclusion et les champs étant multiformes, l’action publique se réalise nécessairement sur un plan interministériel (travail et emploi, social, logement, ville...), la délégation interministérielle à la prévention et à la lutte contre la pauvreté constituant la première ligne de l’action.
C’est sur la base de cette loi que se sont déclinés les divers plans et dispositifs édictés par la suite, dépassant à l’évidence le seul cas du sans-abrisme, mais participant pour autant à sa prévention.


2. LA « STRATÉGIE NATIONALE CONTRE LA PAUVRETÉ »

Une des orientations majeures des politiques publiques trouve un aboutissement dans la « Stratégie nationale de prévention et de lutte contre la pauvreté », présenté en septembre 2018, fruit d’un travail réunissant élus et représentants du secteur associatif.
Six objectifs sont fixés :
  • éradiquer la pauvreté des enfants ;
  • prévenir la vulnérabilité des jeunes et favoriser leur insertion ;
  • développer l’accompagnement global et les leviers de prévention de la pauvreté ;
  • permettre un meilleur accès aux droits et aux services en luttant contre le non-recours ;
  • renforcer l’accompagnement dans la lutte contre l’exclusion ;
  • piloter la lutte contre la pauvreté à partir des territoires.
Ces objectifs ont abouti à l’énonciation de cinq engagements :
  • promouvoir l’égalité des chances dès les premiers pas pour rompre la reproduction de la pauvreté ;
  • garantir au quotidien les droits fondamentaux des enfants ;
  • fixer un parcours de formation garanti pour tous les jeunes ;
  • cheminer vers des droits sociaux plus accessibles, plus équitables et plus incitatifs à l’activité ;
  • investir pour l’accompagnement de tous vers l’emploi.
Mise en œuvre de liens renforcés entre l’État et les territoires. Ce dispositif est appelé à reposer sur une nouvelle approche de la relation entre l’État et les territoires. Le souhait étant d’éviter une démarche verticale, il s’agit de porter avec les acteurs territoriaux, en fonction des sphères de compétences de chacun, des objectifs dont les modalités de mise en œuvre font l’objet d’une contractualisation, avec des moyens financiers dédiés et une évaluation des résultats. Pour ce faire, des commissaires à la lutte contre la pauvreté ont été promus en région, aux côtés des préfets de région.
Principales mesures dans cinq grands domaines, « 35 mesures : petite enfance et éducation, santé, accompagnement formation emploi, logement, droits sociaux ». Plusieurs mesures ont d’ores et déjà été actées depuis la mise en place du plan. Elles ne sauraient produire des développements exhaustifs dans le cadre de la présente contribution, mais les domaines et les directions adoptées s’établissent comme suit :
  • « égalité des chances dès les premiers pas » : augmentation du nombre d’enfants défavorisés accueillis dans les crèches (ex. : faciliter l’accueil d’enfants issus de familles précaires via le bonus « mixité sociale » et le bonus « territoires », création des crèches à vocation d’insertion professionnelle [AVIP]) ; faciliter (ex. : tiers payant complément du mode de garde pour l’accueil individuel) et rendre effectif l’accès à l’accueil individuel par le développement de maisons d’assistants maternels ; renforcer le plan de formation des professionnels de la petite enfance (ex. : formations communes à l’ensemble des professionnels de la petite enfance pour les former aux enjeux sociaux de l’accueil formel des jeunes enfants et les aider à progresser dans l’accompagnement de l’ensemble des besoins des jeunes enfants, d’ordre affectif ou social, culturel, artistique, cognitif et sensoriel, spécialement ceux accueillant des enfants de moins de trois ans issus de familles vulnérables) ; distribution de petits déjeuners dans les zones d’éducation prioritaire ; établissement d’une tarification sociale dans les cantines (ex. : aide financière aux collectivités instaurant une grille tarifaire progressive pour leur restauration scolaire comportant au moins trois tranches, établies en fonction des revenus ou du quotient familial) ;
  • « lutte contre la pauvreté des jeunes » : promotion du contrat d’engagement jeune (effectif au 1er mars 2022) ; investissement dans les compétences via l’obligation de formation jusqu’à dix-huit ans (ex. : instruction obligatoire à partir de trois ans, mais également la formation jusqu’à dix-huit ans ; tout jeune entre seize et dix-huit ans doit se trouver soit dans un parcours scolaire, soit en apprentissage, soit en emploi [service civique, ou en parcours d’accompagnement ou d’insertion sociale et professionnelle]) ; prévention des sorties sèches de l’aide sociale à l’enfance (ex. : obligation de suivi jusqu’à vingt et un ans, accompagnement formalisé par les départements pour l’accès au logement, aux soins, en matière de démarches administratives...) ; mise en place des « Points accueil et écoute jeunes » (PAEJ) ; soutien des acteurs de la prévention spécialisée (ex. : développer les pratiques « d’aller vers » les jeunes majeurs en situation de décrochage social ou à risque fort de rupture – dits « invisibles » –, afin de leur garantir l’accès à un parcours d’accompagnement et de formation) ;
  • « renforcement de l’accès aux droits » : garantie d’un premier accueil social inconditionnel (ex. : en 2020, 5 474 730 personnes ont été reçues par les structures de premier accueil social inconditionnel contre 2 338 832 personnes en 2019...) ; améliorer l’accompagnement grâce aux référents de parcours ; rendre effectifs les « Points conseil budget » ; renforcer l’accès et le maintien dans le logement. [Il est à noter que la création d’un revenu universel d’activité (RUA), résultat de la fusion des principales aides sociales, pourtant annoncée, n’apparaît plus pertinente pour les pouvoirs publics en 2022] ;
  • « lutte contre les inégalités de santé » : amélioration des remboursements avec le 100 % Santé et la complémentaire santé solidaire (C2S) ; mesures dédiées à la précarité dans le Ségur de la santé (ex. : nouveaux modèles d’équipes mobiles « santé & social » allant à la rencontre des populations les plus difficiles d’atteinte) ; actions pour la santé mentale des personnes en précarité (ex. : renforcement des personnels dans les équipes mobiles psychiatrie précarité et création de telles équipes dans les départements n’en disposant pas...) ; adaptation de la gouvernance régionale pour la réduction des inégalités de santé ;
  • « accompagner vers l’activité pour sortir de la pauvreté » : accompagner les bénéficiaires du revenu de solidarité active (ex. : renforcer le caractère effectif de la portée des « droits et devoirs », orientation réelle et adaptée des allocataires, la plus rapide possible, déploiement du contrat d’engagement jeune...) ; soutien financier aux plus démunis (ex. : extension et revalorisation de la prime d’activité) ; favoriser la sortie de la pauvreté en renforçant les solutions d’insertion et d’activité pour les personnes sans emploi (ex. : nouvelles mesures d’accompagnement vers l’emploi et l’activité : augmentation de 70 % des places en dans les structures d’insertion par l’activité économique [240 000 places en 2022], entrée en vigueur, en septembre 2020, de l’obligation de formation pour les jeunes de 16 à 18 ans, 100 000 garanties jeunes chaque année, expérimentation « Territoires zéro chômeur » pour les publics très éloignés de l’emploi, orientation du plan « #1 jeune, 1 solution » majoritairement vers les jeunes précaires...) ; service public de l’insertion et de l’emploi (ex. : création du service public de l’insertion et de l’emploi [SPIE].


PLAN QUINQUENNAL POUR LE LOGEMENT D’ABORD ET LA LUTTE CONTRE LE SANS-ABRISME 2018-2022

La lutte contre la précarité esquissée ci-dessus est certes globale, mais elle connaît en outre des approches sectorielles, en particulier en matière de logement. En conséquence, dans la lignée du plan de lutte contre la pauvreté, les pouvoirs publics se sont penchés non seulement sur le logement, mais également en prenant en compte le sans-abrisme.
Le plan quinquennal entend apporter une réforme structurelle de l’accès au logement pour les personnes sans domicile. Il répond aux constats réalisés portant sur un sans-abrisme pérenne en France et une saturation permanente, voire en hausse, des dispositifs d’hébergement d’urgence dans les territoires. Ce plan a clairement pour ambition de diminuer de manière significative le nombre de personnes sans domicile d’ici 2022. La philosophie consiste à passer d’une réponse élaborée dans l’urgence et comptant prioritairement sur des places d’hébergement, avec des parcours longs et coûteux, à un accès direct au logement s’appuyant sur un accompagnement social adapté aux besoins des personnes.
Cinq priorités sont énoncées par le plan « Le logement d’abord » :
  • produire et mobiliser plus de logements abordables et adaptés aux besoins des personnes sans abri et mal logées ;
  • promouvoir et accélérer l’accès au logement et faciliter la mobilité résidentielle des personnes défavorisées ;
  • mieux accompagner les personnes sans domicile et favoriser le maintien dans le logement ;
  • prévenir les ruptures dans les parcours résidentiels et recentrer l’hébergement sur ses missions de réponse immédiate et inconditionnelle ;
  • mobiliser les acteurs et les territoires pour mettre en œuvre le principe du « Logement d’abord ».


POLITIQUES DE LUTTE CONTRE LA PAUVRETÉ, LA PRÉCARITÉ ET L’EXCLUSION À L’ÉCHELLE EUROPÉENNE

Les phénomènes de précarité et de sans-abrisme n’ont pas de frontières.
De nombreuses politiques menées par l’Union, comme celles relatives à l’inclusion sociale, au développement régional, aux migrations, à la régulation financière, à la santé et aux droits de l’homme, contribuent à lutter contre les causes complexes du phénomène des sans-abri.
Institutionnellement, l’Union européenne est compétente pour soutenir les mesures prises par les États membres, notamment grâce aux financements possibles apportés par le Fonds social européen (FSE), le Fonds européen de développement régional (FEDER) et le Fonds européen d’aide aux plus démunis (FEAD).
Mais plus globalement, la Commission européenne, qui est l’institution majeure et l’exécutif de l’Union, tout en observant de près les tendances constatées, les bonnes pratiques et autres stratégies des États membres, fournit impulsions et orientations en matière de lutte contre le phénomène des sans-abri.
Déclaration de Lisbonne sur la plateforme européenne de lutte contre le sans-abrisme. Le 21 juin 2021 est organisée une conférence à Lisbonne. Les représentants de la Commission européenne, du Parlement européen, du Comité économique et social et du Comité des régions, des organisations de la société civile (Feantsa, Social Platform, Housing Europe, Social Economy Europe), des partenaires sociaux (CES, SGI Europe) et des villes (Eurocities, Conseil des communes et régions d’Europe) ainsi que les ministres nationaux compétents, y ont signé la Déclaration de Lisbonne sur la plateforme européenne de lutte contre le sans-abrisme. Cette plateforme recèle les engagements des États membres à mener des actions au vu des objectifs suivants, en considérant la prévention, la collecte de données et le renforcement comme des leviers majeurs :
  • personne ne doit dormir dans la rue par manque d’un hébergement d’urgence accessible, sûr et approprié ;
  • personne ne doit vivre dans un hébergement d’urgence ou de transition plus longtemps que nécessaire pour une transition réussie vers une solution de logement permanente ;
  • personne ne devrait pouvoir sortir d’une institution (ex. : prison, hôpital, établissement de soins) sans avoir reçu une offre de logement appropriée ;
  • les expulsions doivent être évitées dans la mesure du possible, personne ne devant pouvoir être expulsé sans aide pour trouver une solution de logement appropriée, en cas de besoin ;
  • personne ne doit être victime de discrimination en raison de son statut de sans-abri.
Et de citer Nicolas Schmit, commissaire européen de l’emploi et des droits sociaux : « Le sans-abrisme est une forme extrême d’exclusion sociale dont le risque de prévalence a été accru par la pandémie. Lutter contre ce phénomène implique d’avoir une approche multidimensionnelle en ne prenant pas seulement en compte le logement, mais en agissant aussi sur les services sociaux, le soutien psychologique, ou encore l’éducation. C’est pourquoi nous avons mis en place la Plateforme européenne de lutte contre le sans-abrisme qui réunit des représentants des institutions et des agences de l’Union, l’ensemble des États membres, la société civile et les partenaires sociaux. Cette plateforme nous permet de partager nos bonnes pratiques et de trouver des solutions tangibles adaptables à chaque territoire. Le sans-abrisme est un problème européen qui appelle une réponse européenne. »
Conférence ministérielle sur la lutte contre le sans-abrisme du 28 février 2022. Dans le sillage de la Déclaration adoptée à Lisbonne en juin 2021 et du lancement de la Plateforme européenne de lutte contre le sans-abrisme, les États membres, les institutions européennes, les autorités locales et régionales, les partenaires sociaux et la société civile se sont réunis pour préciser la plateforme, encourager et soutenir des actions de prévention, d’accès au logement, de soutien et d’accompagnement des personnes sans domicile fixe. Lors de cette réunion organisée le 28 février 2022, les ministres ont évoqué les outils à privilégier et les solutions à mettre en œuvre :
  • des outils d’observation sociale permettant de disposer d’une connaissance fine des publics concernés, de leurs besoins et de leurs attentes. Des observatoires locaux du sans-abrisme (au niveau des collectivités, de la recherche et des acteurs du terrain eux-mêmes) sont encouragés pour la collecte informations, autant d’outils puissants d’aide à la décision ;
  • l’échange de bonnes pratiques européennes. Ainsi, il a été très largement question du concept de « Logement d’abord », expérimenté par plusieurs États, de sa reproductibilité dans l’ensemble de l’Union, de la question de son financement massif par les fonds européens.
À cela s’ajoute le déploiement du plan de formation pour les travailleurs sociaux et la valorisation des métiers (v. Haut conseil du travail social, « Livre vert 2022 du travail social », mars 2022). L’idée étant que seul le travail permet une sortie durable de la pauvreté ou de la prévenir, l’ambition est concrètement de coordonner les acteurs œuvrant pour l’insertion vers l’emploi des personnes les plus éloignées, de disposer d’une offre de services visible et partagée, d’offrir un accompagnement personnalisé et de disposer d’outils permettant la mise en place d’un parcours vers l’emploi sans rupture [dossier unique à l’usager...]) ou encore d’encourager la mobilité solidaire : un accompagnement pour lever les freins vers l’emploi (ex. : lancement de projets « mobilité », renforcement du « micro-crédit mobilité »).


3. ÉVALUATION DE LA « STRATÉGIE NATIONALE CONTRE LA PAUVRETÉ »

Les pouvoirs publics envisagent le plan « Pauvreté » dans une perspective collective réunissant l’ensemble des acteurs publics et privés, et d’autant plus ceux agissant sur le terrain pour les publics les plus vulnérables. Ce plan fait l’objet d’un suivi à deux étages :
  • l’un effectué par le Conseil national des politiques de lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale (CNLE), via son comité de suivi national de la stratégie (v. infra sur le bilan actuel des politiques publiques et la « Stratégie nationale contre la pauvreté en particulier »), qui publie chaque année un rapport circonstancié ;
  • l’autre assuré par une gouvernance régionalisée, amenée à s’adapter aux besoins des territoires et à faire collaborer étroitement les personnes concernées, le secteur associatif et les représentants des collectivités territoriales.


B. Bilan actuel de la « Stratégie nationale contre la pauvreté »

Plusieurs années d’expérimentations et de pratiques permettent un certain recul et d’obtenir un tableau parlant des politiques publiques en matière de pauvreté, de précarité et d’exclusion. Si des contributions se succèdent plus ou moins régulièrement, acteurs publics et privés confondus, on citera le récent troisième rapport du comité d’évaluation de la « Stratégie nationale de prévention et de lutte contre la pauvreté » de juillet 2022, dernier bilan d’étape national de la stratégie en date, toujours en cours de mise en œuvre (Comité d’évaluation de la stratégie nationale de prévention et de lutte contre la pauvreté, « Rapport 2022 », strategie.gouv.fr). Une nouvelle fois, suivant en cela une démarche initiée en 2019, le comité évalue en 186 pages le déploiement et les effets de 35 mesures clés de la stratégie.


1. QUELQUES CHIFFRES

Quatre ans après l’élaboration de la stratégie, certains chiffres soulignés demeurent sans appel : 9,2 millions de personnes (14,6 % de la population) en situation de pauvreté monétaire, vivant avec moins de 1 102 euros par mois pour une personne seule (des proportions stationnaires) ; 2 millions de personnes en situation de grande pauvreté, vivant avec des revenus inférieurs à 50 % du revenu médian, dans l’incapacité de couvrir au moins sept dépenses de la vie quotidienne dans une liste de treize considérées comme souhaitables, voire nécessaires, pour avoir un niveau de vie acceptable. Enfin, la pauvreté frappe durement les territoires ultra-marins.


2. CONSTATS

Le comité rend des conclusions contrastées sur la mise en œuvre du plan depuis 2018 :
  • effectivité de la mise en œuvre de certaines mesures : au moins quatre mesures ont été intégralement mises en œuvre : revalorisation de la prime d’activité ; mise en place de la complémentaire santé solidaire ; renouvellement de la complémentaire santé solidaire pour les allocataires du revenu de solidarité active ; déploiement de 400 Points conseil budget ;
  • état d’avancement très inégal de l’effectivité des mesures : gel des discussions sur le revenu universel d’activité ; mise en œuvre très ralentie d’une offre de service universelle dans le cadre du service public de l’insertion et de l’emploi, qui demeure au stade de l’expérimentation ; avancement très relatif dans la formation des travailleurs sociaux ;
  • manque de visibilité dans l’évaluation de certaines mesures et dispositifs : le comité déplore notamment, d’une part, l’incomplétude d’informations budgétaires, entretenant le flou sur le volume des dépenses réalisées par rapport aux budgets initialement prévus – avec des « zones grises » marquant ici et là la stratégie –, et, d’autre part, le manque d’objectifs chiffrés ;
  • défaillances de la coordination institutionnelle : on entend en l’occurrence le niveau ministériel, interministériel et entre l’État et les territoires. La volonté politique nécessaire au succès de la stratégie est interrogée. Ainsi est-il écrit : « Le soutien politique de la stratégie reste insuffisant pour donner à la Délégation interministérielle à la prévention et à la lutte contre la pauvreté (DIPLP), qui en a la charge, les moyens d’une coordination interministérielle et d’un pilotage propres à garantir un niveau de mise en œuvre à la hauteur des ambitions initiales. »


DES PROBLÉMATIQUES DIVERSES IRRIGUANT LA RÉPONSE SOCIALE

La réponse sociale apportée au thème du sans-abrisme est nécessairement protéiforme, de longue haleine et évolutive. Les écueils rencontrés par les dispositifs mis en œuvre sont des réalités, dont peuvent hériter les professionnels du social et médico-social, qui sont au moins au nombre de trois.
Multiplicité, chevauchement et concurrence des différents domaines et dispositifs en cause. Logement, hébergement, santé, emploi, insertion... Les thèmes convoqués par la question du sans-abrisme sont nombreux, et qui, du fait de leur spécificité, appellent certes des réponses propres. Cependant, dans un souci de solutions efficaces et adéquates, se pose la question de la manière dont travaillent ensemble des professionnels venus de « mondes sociaux » distincts : social, sanitaire, éducatif... En effet, la prise en charge des intérêts des sans-abri couvre les questions d’hébergement, d’emploi, de santé... qui se cumulent (ex. : accès aux soins, hébergement, accès aux droits...), se recoupent, et fait intervenir des groupes professionnels très divers.
Le cloisonnement dans l’action apparaît comme un risque permanent à conjurer, les différents dispositifs devant tendre vers une transversalité efficace.
Il est à citer, au titre d’une approche globalisante, deux dispositifs existants. D’une part, le cas du dispositif « Un chez soi d’abord », marqué par l’exigence de pluriprofessionnalité, le principe d’action « le logement avant l’accompagnement », et par son ciblage cumulatif : être sans abri et atteint de troubles psychiatriques diagnostiqués. D’autre part, les permanences d’accès aux soins de santeì (PASS), cellules de prise en charge médico-sociale, dont l’objectif est de faciliter l’accès des personnes démunies au système hospitalier mais également aux réseaux institutionnels ou associatifs de soins, d’accueil et d’accompagnement social.
Par ailleurs, au sein même de chaque sphère, les dispositifs en cause sont eux-mêmes multiples. Se posent alors les questions de l’empilement de ces derniers, de leur éventuelle concurrence, et par là même de leur indispensable articulation, dans une logique de ciblage précis des réponses apportées et d’adaptation – grande singularisation des publics concernés oblige – au lieu d’une accumulation stérile. Un exemple actuel peut être tiré en matière de justice des mineurs. Ainsi, un rapport du Sénat de septembre 2022 a critiqué la création de plusieurs centres éducatifs fermés, le volet répressif prenant, selon le rapport, une place trop importante dans le traitement de la question de la délinquance juvénile, au détriment d’autres dispositifs, par exemple la lutte contre le décrochage scolaire...
Identification de la meilleure articulation des compétences des divers acteurs du secteur sanitaire, social et médico-social. Les domaines d’intervention sont institutionnellement marqués par une stricte répartition des compétences. Plusieurs types d’entités ont un rôle central pour le sujet du sans-abrisme et les problématiques connexes. L’État, qui dispose du pouvoir normatif et de la définition des politiques publiques, est certes compétent pour les questions de sécurité et de tranquillité publiques. Il l’est encore en matière d’hébergement d’urgence et de dispositifs d’urgence sociale, de définition des objectifs de santé publique sur le territoire, de lutte contre la toxicomanie, de protection en santé mentale, ou encore d’éducation.
Le département, disposant de la compétence de droit commun en matière sociale, est le pivot en matière de prise en charge des prestations légales d’action sociale, tel le revenu de solidarité active, d’insertion sociale et professionnelle des allocataires... La commune, elle, intervient pour l’animation d’actions générales de prévention et de développement social, l’attribution de l’aide sociale facultative par le biais des centres communaux d’action sociale (CCAS) et des centres intercommunaux d’action sociale (CIAS), la constitution des dossiers de demande d’aide sociale, en matière de sécurité et de salubrité, via les pouvoirs de police municipale, pour la gestion du fonds d’aide aux jeunes en difficulté, l’accueil des personnes dites « gens du voyage », etc.
La région, enfin, n’intervient que résiduellement.
Au-delà de ces entités publiques, évolue tout un tissu privé, sur délégation de l’autorité publique, à l’action très diversifiée, constitué d’associations et fondations.
Les préoccupations interrogent alors les risques bien réels d’entrée en contradiction entre certains acteurs – préfectures et municipalités –, de mauvaise articulation – polices municipales et associations caritatives intervenant dans l’espace « rue » –, de frictions entre logiques d’assistance et de dissuasion. Du bon emboîtement des actions et rôles de chacun dépendra l’efficacité de l’identification des besoins et profils et de la prise en charge des publics.
Choix de la place à accorder aux sans-abri dans la prise en charge. Le sujet concerne tous les champs du social et médico-social, et questionne la verticalité des politiques sociales et divers dispositifs. Entend-on faire appliquer des programmes « sur autrui » ou « avec autrui » ? La philosophie n’est pas identique, pas plus que les résultats. Quel que soit le secteur, l’époque contemporaine s’est engagée dans la voie du « faire avec » dans une logique de personnalisation de l’accompagnement, d’autonomisation, d’inclusion, tant dans le champ du handicap ou du grand âge que dans celui de l’insertion. Dans les faits, pour des raisons tenant aux moyens accordés par exemple aux agents de terrain, aux dysfonctionnements inévitables des dispositifs, la question ne doit pourtant jamais être perdue de vue.
En l’absence de volonté politique ancrée dans les faits, il est établi la crainte d’une pérennisation, voire d’un renforcement de tendances constatées : affaiblissement de la participation et du recours par les citoyens – déjà problématiques –, y compris ceux qui sont les plus concernés par la lutte contre la pauvreté ; intensification de la grande pauvreté chez les personnes les plus vulnérables (ex. : femmes seules, victimes de violence, anciens détenus...) et dans les territoires les plus modestes, spécialement les territoires ultra-marins.


3. RECOMMANDATIONS

Le chantier reste vaste, les recommandations nombreuses. Au nombre de vingt-quatre, réunies sous quatre thèmes, elles peuvent être synthétisées comme suit :
  • identifier et amplifier les mesures marquées par une certaine réussite et réaffirmer davantage la dimension préventive de la lutte contre le triptyque « pauvreté-précarité-exclusion » ;
  • améliorer la cohérence de l’ensemble des politiques publiques pouvant avoir un effet sur la pauvreté, au-delà par conséquent de la stratégie : chômage, mesures sur le pouvoir d’achat... ;
  • définir une meilleure articulation entre les acteurs publics, rééquilibrer les rapports entre État et départements, promouvoir une souplesse d’adaptation au niveau des territoires afin de permettre latitude et espace aux initiatives locales.

SECTION 2 - RÉPONSES SOCIALES GLOBALES APPORTÉES AU TRIPTYQUE « PAUVRETÉ-PRÉCARITÉ-EXCLUSION SOCIALE »

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