A. « Occupation licite », « activité licite »
Licite. Le terme « licite » vise ce qui est « permis par la loi, par l’autorité établie » (Le Robert) ; ce « qui est permis par la loi, par une autorité, par les usages ; qu’aucune loi ne défend » (Dictionnaire CNRTL). Il est issu de « licéité », « caractère de ce qui est licite », tandis que le concept de « loi », au sens large du terme, comprend la loi édictée par le législateur jusqu’au plus obscur arrêté municipal. Dans un sens proche, « légal » renvoie à ce qui est relatif à la loi, ou qui est conforme à la loi, à la législation.
Occupation. Le terme « occupation » concerne l’« action d’occuper un lieu, un local, d’y habiter, d’y travailler » (Larousse), et plus avant de « prendre possession d’un lieu », de « remplir, de couvrir un certain espace », de l’« habiter» (Le Robert), impliquant alors concrètement la présence, intentionnelle ou non, d’une durée indéterminée, la pratique ou non d’activités, un mouvement à des degrés divers.
Activités. Le terme « activité » renvoie à l’« action de quelqu’un, d’une entreprise, d’un pays dans un domaine défini, champ d’action », à la « faculté, la puissance d’agir », à l’« ensemble des actions diverses menées dans un secteur, ou qui se manifestent dans un lieu » (Larousse). On y voit alors plus largement des comportements, des agissements de toute nature.
En conséquence, « occupation illicite » renvoie à l’interdiction légale d’occuper un espace de façon libre, peu importe son volume ; « activité illicite » convoque la prohibition également d’origine légale de certains actes ou attitudes et de certains biens – leur fabrication, leur circulation, leur consommation.
Ici, l’accent sera mis sur les activités et comportements licites ou illicites, en fonction de l’exercice – pouvant être abusif – de divers droits et libertés publiques ; la liberté générale d’occuper l’espace public restant le principe, sous réserve d’exceptions signalées.
B. Espace public
Un vaste ensemble physique et d’intérêts.
Il est commun de considérer que l’« espace public » désigne tout d’abord la sphère du débat politique, le lieu de la publicité des opinions privées, l’espace privilégié de la délibération et du débat public.
Au-delà, les « espaces publics », au pluriel, correspondent au réseau viaire, comprenant rues, avenues et boulevards, places et parvis, parcs et jardins, soit l’ensemble des voies de circulation ouvertes aux publics, dans les métropoles, villes et villages (cf. T. Paquot, L’espace public, La Découverte, coll. « Repères », 2015).
L’espace public urbain est le lieu par excellence de la cohabitation. Ainsi, ledit espace est le théâtre de la coexistence entre personnes et biens, selon diverses activités. D’où une multitude de réglementations – régissant les usages et les modes d’appropriation –, du secteur de l’urbanisme à celui de la voirie, en passant par l’énonciation des règles régissant les droits fondamentaux : liberté de circulation, de stationnement, liberté d’expression, salubrité et sécurité, liberté du commerce et de l’industrie... sous les auspices de la traditionnelle notion d’« ordre public ».
D’un point de vue juridique. Il existe une définition légale : « L’espace public est constitué des voies publiques ainsi que des lieux ouverts au public ou affectés à un service public » (L. n° 20101192, 11 oct. 2010).
Il est nécessaire d’opérer une distinction entre « espace public » et « domaine public ». Le « domaine public » est une notion issue du droit public français. Il désigne l’ensemble des biens, qu’ils soient mobiliers ou immobiliers (ex. : immeubles, terrains...), qui appartiennent à des personnes publiques telles que l’État, les collectivités locales, les établissements publics ou ceux affectés à une utilité publique comme une université ou un tribunal. Schématiquement, tous les espaces appartenant à la collectivité relèvent du domaine public.
Parmi ces biens de droit public, seuls ceux affectés par la personne publique à l’usage direct du public (ex. : trottoirs, routes et voies diverses, parcs et jardins publics, places, espaces ouverts appartenant à la collectivité) ou affectés à un service public (Code général de la propriété des personnes publiques, art. L. 2111-1) sont constitutifs de l’espace public. Ce dernier s’étoffe par ailleurs de lieux pourtant juridiquement privés mais à usage public tels que les centres commerciaux, les gares, et plus généralement les lieux qui accueillent le public anonyme :
- soit sous condition (prix d’entrée ou consommation) tels que cafés et restaurants, théâtres, parcs d’attraction, parkings privés,
- soit sans condition, tels que voiries de lotissements privés, voieries ouvertes à la circulation publique.
En conséquence, l’espace public dépasse la notion de « domaine public », et tous les biens du domaine public ne sont donc pas concernés par un usage libre et direct du public ou par une affectation directe à un service public.
Naturellement, il s’interrompt et perd son empire dès lors que sont franchies les frontières qui le séparent de l’espace strictement privé, entendu comme l’ensemble des lieux régis par le droit privé, tels que le domicile, l’entreprise, y compris le véhicule privé, la séparation étant matériellement marquée par portes, grilles, accès divers. L’espace privé est l’objet d’une protection constitutionnellement reconnue par la loi contre toute violation du domicile, atteinte à la vie privée, à la propriété...
En tout état de cause, ces lieux de passage et de communication que constitue l’espace public ont pour principe d’être à usage libre de tous. Dans un État de droit, la loi doit garantir les droits et libertés des citoyens dans le champ public, dont la première des libertés : la liberté de circulation, mais également vis-à-vis d’autres libertés : liberté de manifestation, d’expression, de commerce.
Pour autant, si le principe de liberté s’y applique, son occupation n’est pas exempt d’aménagements réglementés (ex. : couvre-feux ). De même que certaines activités requièrent une autorisation. Enfin, quand bien même le principe de l’occupation de l’espace public ne serait pas en cause, certains faits et comportements – et même certaines activités telles que la prostitution – y demeurent sous la surveillance et la répression de la loi pénale, car de nature particulièrement illicite.
À noter. La liberté au sein de l’espace public n’est pas sans limite, et doit composer avec de nombreuses conditions et autres interdictions pures et simples, dont on trouve trace dans divers codes normatifs tels que le code général des collectivités territoriales, le code général de la propriété des personnes publiques, le code de l’urbanisme, le code de la route... Sans compter le code pénal, traditionnel gardien de l’ordre public, sous le contrôle du juge.
C. Droits fondamentaux et libertés publiques
À titre liminaire, observons qu’un point de vocabulaire fait débat. On trouve en effet dans une littérature abondante plusieurs dénominations : « libertés publiques », « droits et libertés fondamentaux », « droit des libertés fondamentales », « droits de l’homme ». Nous tranchons en adoptant simplement « droits fondamentaux et libertés publiques », par souci d’insister sur les « libertés », éminemment évocatrices (cf. X. Bioy, Droit fondamentaux et libertés publiques, LGDJ, 2022 ; P. Wachsmann, Libertés publiques, Dalloz, 2021).
1. SOURCES ET CONTENU
Les sources et contenu propres à la France.
▸ La Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 :
Texte suprême, fondateur de tout notre ordonnancement juridique, elle énonce un ensemble de droits naturels individuels et les conditions de leur mise en œuvre, et consacre les droits de l’homme. En effet, l’homme y est le réceptacle de droits, de droits naturels et imprescriptibles : ces droits sont notamment « la liberté, la propriété, la sûreté, et la résistance à l’oppression (...) » (art. 2), la liberté d’opinion et d’expression (art. 10 et 11). Par ailleurs, « les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits » (art. 1er). Enfin, le texte promeut le principe de la légalité des délits et des peines (art. 8).
▸ Le préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 :
Cet autre texte essentiel réaffirme la primauté des droits de l’homme, sans distinction « de race, de religion ni de croyance », s’inscrit de façon filiale dans le sillage direct de la Déclaration de 1789, et insère de nouveaux droits, tels que les droits des travailleurs (ex. : droit de grève, liberté syndicale, droit à la participation des travailleurs), les droits des femmes, garantis « égaux à ceux des hommes », la liberté d’association, le droit au regroupement familial.
▸ La Charte de l’environnement de 2005 :
Cette charte, intégrée dans la Constitution de 1958, consacre de nouveaux droits tels que le droit de chacun de « vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé » (art. 1er) et y développe le concept de « développement durable » (art. 6) et le « principe de précaution » (art. 7).
Les sources internationales.
Certains engagements internationaux lient juridiquement la France – de son législateur jusqu’aux juges, qui ne peuvent s’y soustraire – en matière de droits fondamentaux et libertés publiques :
- la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (améliorée par divers protocoles additionnels) : adoptée en 1950 par le Conseil de l’Europe, elle énonce un certain nombre de droits, que les juridictions françaises doivent protéger, la Cour européenne des droits de l’homme étant compétente pour les rendre applicables dans les pays signataires. Elle assoit notamment l’« obligation de respecter les droits de l’homme » (art. 1) et consacre, pêle-mêle, le droit à la vie (art. 2), l’interdiction de la torture et du travail forcé (art. 2 et 4), le droit à la liberté et à la sûreté (art. 5), la liberté de pensée, de conscience et de religion (art. 9), la liberté d’expression (art. 10), la liberté de réunion et d’association (art. 11) ;
- la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne : proclamée le 7 décembre 2000 et destinée à améliorer la protection des droits fondamentaux, cet instrument applicable dans l’Union européenne regroupe divers droits en six grands chapitres : dignité, liberté, égalité, solidarité, citoyenneté et justice. Ayant la même valeur juridique que celle des traités européens, soit une application directe et une supériorité normative par rapport aux ordres juridiques nationaux, elle est contraignante pour les États membres et tout citoyen peut s’en prévaloir en cas de non-respect de ces droits par un texte européen.
Il ressort de cette construction au moins trois types de droits fondamentaux :
- les droits inhérents à la personne humaine : imprescriptibles, établis pour la plupart par la Déclaration de 1789 et la Charte des droits fondamentaux de l’Union : droits individuels civils et politiques, l’État ayant l’obligation de permettre leur exercice, soit l’égalité, la liberté, la sûreté, la résistance à l’oppression ;
- les droits découlant des droits inhérents à la personne : liberté d’opinion, d’expression, de réunion, de culte, liberté syndicale, droit de grève, droit d’entreprendre – en lien également avec le droit de propriété – autant de libertés qui sont le prolongement concret de la liberté d’aller et venir ; prohibition de tout arbitraire, présomption d’innocence, respect des droits de la défense, protection de la liberté individuelle par la justice, eux, se rapportent au droit à la sûreté ;
- les droits sociaux et économiques : intervenus plus tardivement, via le préambule de 1946 et la Charte des droits fondamentaux de l’Union : droit à l’emploi, à la santé, à la santé, à la sécurité sociale, à l’éducation, à la participation à la vie culturelle, à l’eau et à l’assainissement ;
- les droits de « troisième génération » : très récents et édictés par la Charte de l’environnement, ils visent entre autres le droit de chacun à vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé, d’où découlent les principes de précaution et de développement durable.
2. PROTECTION DES DROITS FONDAMENTAUX ET LIBERTÉS PUBLIQUES
Énoncer des droits sans pouvoir en assurer le respect - et encore moins la mise en œuvre - reviendrait à laisser ces droits lettre morte, devenus des droits purement formels. Des règles et mécanismes existent dans l’objectif de garantir leur pleine effectivité dans leur exercice.
Hiérarchie des normes.
Notre ordre juridique obéit à un principe de hiérarchie des normes. La norme suprême réside dans la Constitution du 4 octobre 1958, texte fondateur de la Ve République, établissant la forme de l’État, les caractéristiques du régime politique et de ses institutions dans leur fonctionnement et leurs prérogatives, les règles relatives à la production des normes et à leur place dans la hiérarchie de celles-ci, les modalités de la protection des droits et libertés constitutionnellement garantis.
Cette même Constitution intègre la Déclaration de 1789, le préambule de 1946, la Charte de l’environnement et est tenue de respecter les sources externes que sont la Convention européenne des droits de l’homme et la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, qui s’imposent à elle. En dessous figurent la loi, fruit du travail du législateur, le règlement (incluant dans l’ordre, le décret, l’arrêté, la circulaire), pris par le pouvoir exécutif.
Chaque échelon se doit de respecter l’échelon qui le précède. En conséquence, le règlement et la loi sont soumis aux dispositions constitutionnelles, ne pouvant y déroger, elles-mêmes prises dans les prescriptions des instruments internationaux.
Les droits fondamentaux et libertés publiques se situent par conséquent au sommet de la hiérarchie, gage d’une protection effective.
Mécanismes de contrôle et protection des libertés publiques : l’office fondamental du juge constitutionnel.
Afin de contrôler la conformité d’une loi à la Constitution, et ainsi se pencher sur le respect de la hiérarchie des normes, la figure du juge constitutionnel, dont le rôle n’a cessé de croître au fil de la Ve République, est centrale. Son office permet de contrôler le respect de la Constitution, norme suprême.
Au moins deux voies sont ouvertes au Conseil constitutionnel (Const. 4 oct. 1958, art. 56 et suivants). En premier lieu, le juge peut être saisi, sous certaines conditions de forme, au moment de l’élaboration d’une loi, et interrogé sur la constitutionnalité des dispositions d’un projet de loi. En cas de non-respect des prescriptions constitutionnelles, le juge peut censurer les aspects litigieux.
Par ailleurs, lors d’un contentieux porté devant une juridiction, quelle qu’elle soit (judiciaire – pénal, civil – ou administrative), il est loisible au demandeur de contester la loi applicable au litige s’il estime qu’elle est contraire aux droits et libertés garantis par la Constitution. Pour ce faire, une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) peut être posée, avec les justifications apportées. Le juge se livre à un examen, notamment sur le point de savoir si la demande est sérieuse ou nouvelle. Il peut alors saisir le Conseil constitutionnel. Si toutes les conditions sont réunies, ce dernier examine la loi contestée et peut décider de déclarer qu’elle ne peut plus être appliquée car entachée d’inconstitutionnalité, ou considérer qu’elle est conforme. La décision du Conseil n’est pas susceptible d’appel.
Grâce au juge constitutionnel, toute loi transgressant les libertés publiques ne peut voir le jour ou perdurer.
Le juge judiciaire : gardien naturel de la liberté individuelle.
La Constitution institue l’autorité judiciaire en « gardienne de la liberté individuelle » (art. 66). Le juge issu de l’ordre judiciaire - par opposition à l’ordre administratif - est ainsi érigé en protecteur naturel et de première ligne au quotidien des libertés (en matière de décisions d’expropriation, de visite domiciliaire administrative, etc.). Cependant, le juge administratif endosse également un rôle en la matière, comme en atteste la technique du référé-liberté, issu d’une loi de 2010. Le référé-liberté permet à un justiciable de demander au juge de prendre en urgence une mesure nécessaire à la sauvegarde d’une liberté fondamentale (liberté de réunion, d’expression, droit de propriété, etc.), le juge administratif devant se prononcer dans les 48 heures (C. just. adm., art. L. 511-1 et s.).
Indépendance de l’autorité judiciaire.
La protection des libertés publiques demeurerait relative si le juge judiciaire n’exerçait pas son office en toute indépendance. L’article 64 de la Constitution dispose que « le président de la république est garant de l’indépendance de l’autorité judiciaire ».