La figure est multiséculaire, marquant le plus « vieux métier du monde », est-il affirmé : une personne consent une relation sexuelle à une autre personne en échange d’une somme d’argent ou autre service en nature. Depuis longtemps le commerce de son corps est l’objet de désapprobation sociale. La personne prostituée – une femme dans la grande majorité des cas – a sans cesse connu la répression, pour comportement contraire aux bonnes mœurs et à la moralité publique. En 1994, la loi a même créé le délit de racolage passif. La rue, souvent sous les porches, dans les embrasures de porte, dans l’ombre discrète des parcs, est le lieu de prédilection de l’acte de prostitution, du moins de la négociation. Cette occupation de l’espace public particulière, où l’acte infractionnel n’est jamais très loin, a cependant connu au moins une évolution majeure récente, même si la loi continue à tenir comme contraire à l’ordre public le contrat de prostitution, l’usage fait des corps renvoyant à la dignité humaine.
Ainsi, l’importante loi n° 2016-444 du 13 avril 2016 s’inscrit dans le mouvement abolitionniste des pouvoirs publics, en dépénalisant le comportement des personnes faisant commerce de leur corps – exit le racolage passif –, considérées comme des victimes de violence puisque la prostitution est assimilée à une violence faite aux femmes, tandis que les « clients » de la prostitution sont vus, eux, comme les auteurs de violence, et endossent la possible répression prévue par la loi, également dite de « pénalisation du client ».
L’autre volet de la loi instaure un droit pour toute personne victime de la prostitution – qui englobe la prostitution étudiante, la prostitution de femmes, d’hommes ou de personnes transgenre – à bénéficier d’un système de protection et d’assistance, précisé par une instruction du 13 avril 2022. Ce droit est censé s’incarner dans l’installation dans tous les départements de commissions départementales de lutte contre la prostitution, le proxénétisme et la traite des êtres humains aux fins d’exploitation sexuelle et l’ouverture des parcours de sortie de la prostitution.
Les nouvelles prescriptions de 2016 punissent « le fait de solliciter, d’accepter ou d’obtenir des relations de nature sexuelle d’une personne qui se livre à la prostitution, y compris de façon occasionnelle, en échange d’une rémunération, d’une promesse de rémunération, de la fourniture d’un avantage en nature ou de la promesse d’un tel avantage » (C. pén., art. 611-1), la tentative étant également réprimée. Le client encourt une peine d’amende de 1 500 euros, portée à 3 750 euros en cas de récidive, tandis que le proxénétisme, qui est l’aide, l’assistance ou la protection de la prostitution d’autrui, est passible d’un emprisonnement de sept ans d’emprisonnement et d’une amende de 150 000 euros – vingt ans et 3 000 000 euros d’amende si commission à l’égard d’un mineur, en bande organisée.
Au sujet des mineurs, leur protection est renforcée puisque les peines sont de trois ans d’emprisonnement et 45 000 euros d’amende, portées à cinq ans et 75 000 euros d’amende dès lors que l’infraction est commise de façon habituelle ou à l’égard de plusieurs mineurs, que le mineur a été mis en contact avec l’auteur des faits via Internet, ou lorsque les faits sont commis par une personne qui abuse de l’autorité que lui confèrent ses fonctions (ex. : policiers, médecins, infirmiers...) (v. « Je gère. Prostitution des mineurs en France », solidarites-sante.gouv.fr, mars 2022 ; A. Quesne, « La prostitution à l’ère du numérique : nouvelle forme de marchandisation du corps humain », actu-juridique.fr, 10 juin 2022).
Six ans après, le bilan de la loi de 2016 paraît être en demi-teinte. On invoque les limites de la pénalisation du client. Ainsi, les consommateurs d’actes sexuels, pénalement exposés, proposent, y compris les proxénètes, par crainte d’être verbalisés, des rendez-vous dans des appartements et autres lieux plus discrets. On assiste ainsi à une migration des victimes prostituées vers l’espace privé, les rendant moins visibles, plus vulnérables, d’autant qu’elles sont nombreuses à indiquer que, ayant alors battu en retraite vers les espaces privés, les clients sont plus exigeants avec elles. Ce phénomène de prostitution plus diffuse en espaces privés brouille les repères habituels puisqu’elle tend à quitter la rue, un mouvement favorisé par ailleurs par le recours aux nouvelles technologies et Internet – contacts, prises de rendez-vous en ligne... En outre, de l’avis général, la prostitution des mineurs est en constante progression, favorisée en cela par le recours aux réseaux sociaux tandis que ces mineurs invoquent un choix personnel qui tend sans complexe vers une disponibilité d’argent massive et « facile ». Enfin, le volet « accompagnement social des personnes prostituées » n’a pas rempli ses promesses, par un manque criant de moyens dédiés notamment aux associations engagées dans la lutte (v. les actions menées par L’Amicale du Nid, amicaledunid.org, et Aux captifs la libération, captifs.fr).