La palette des crimes et délits est étendue, et le code pénal regorge d’infractions. Pour demeurer dans le cadre de la rue, nous avons évacué l’ensemble des crimes et délits non spécifiques à l’espace public, punissables en tout lieu, du vol à l’homicide jusqu’au crime contre l’humanité, en passant par le trafic de stupéfiants..., en nous focalisant sur la catégorie du vandalisme et dégradations sur les biens publics et privés dans la rue (A), avec mention du phénomène des violences urbaines, susceptibles de réunir un grand nombre d’infractions (B), dont la réponse sociale est éminemment complexe.
A. Destructions, dégradations et détériorations de biens
1. VANDALISME EN GÉNÉRAL
Définies par le code pénal, punissables tant pour des biens privés que pour des biens appartenant au domaine public, ces infractions sanctionnent les atteintes portées directement sur les biens, visant leur destruction ou leur dégradation, autant d’actes constituant une atteinte volontaire aux biens et commis sans motif légitime (C. pén., art. 322-1 et s.).
Ces faits, réunis sous le vocable « vandalisme », sont sanctionnés par la loi en fonction de leurs circonstances, de la nature du bien attaqué et de l’importance des dégâts causés. Les biens visent les véhicules, le matériel urbain (ex. : abris bus, panneaux de signalisation...), les bâtiments publics comme privés (ex. : vitres, portes...). Les méthodes concernent autant l’incendie, le bris, les inscriptions, dessins et peintures sur des murs, véhicules... (v. les graffs et tags ci-après).
Au titre des sanctions, « la destruction, la dégradation ou la détérioration d’un bien appartenant à autrui est punie de deux ans d’emprisonnement et de 30 000 euros d’amende, sauf s’il n’en est résulté qu’un dommage léger », la peine pour un « dommage léger » étant de 1 500 d’euros d’amende, voire une peine de travaux d’intérêt général (TIG), cette dernière peine pouvant consister en la réparation des dégâts causés sur un équipement public. Le dommage « léger » est superficiel et entraîne peu de réparations ; le dommage « important » implique des dégâts lourds, voire définitifs. Les peines sont alourdies en cas d’infraction en groupe, avec dissimulation du visage, intention d’intimider certaines personnes telles qu’ascendants, titulaires de la force publique... Elles le sont également pour les dégradations importantes visant un bien public, soit cinq ans d’emprisonnement et 75 000 euros d’amende, et sept ans d’emprisonnement et 100 000 euros d’amende en cas de circonstances aggravantes (ex. : bien culturel d’un musée détruit...).
2. GRAFFS, TAGS ET COLLAGE D’AFFICHES EN PARTICULIER
Omniprésents dans l’espace public urbain, les graffs et tags désignent les inscriptions calligraphiées ou les dessins tracés, peints ou gravés à vocation artistique, non autorisés sur des biens tant mobiliers qu’immobiliers. Liberté d’expression artistique et défense du droit de propriété, publique comme privée, ne cessent de s’opposer. Mais la loi a tranché et fait primer le second de ces droits fondamentaux : « Le fait de tracer des inscriptions, des signes ou des dessins, sans autorisation préalable, sur les façades, les véhicules, les voies publiques ou le mobilier urbain est puni de 3 750 euros d’amende et d’une peine de travail d’intérêt général lorsqu’il n’en est résulté qu’un dommage léger » (C. pén., art. 322-1, al. 2), soit l’absence de toute peine d’emprisonnement en cas de « dommage léger » (ex. : peinture effaçable). En revanche, en cas de « dommage important », ces actes sont réprimables d’un emprisonnement de deux d’emprisonnement et de 30 000 euros d’amende, soit pour des dégâts lourds et/ou définitifs. Une aggravation des peines est possible en cas d’infraction en groupe, avec dissimulation du visage... soit une amende de 15 000 euros et une peine de TIG pour des dommages légers.
Il est tout de même à signaler qu’afin de laisser prospérer la fibre créative des graffeurs, dont certains sont de fines lames de l’expression artistique, et partant la liberté d’expression, des communes, sous des conditions strictes, donnent leur autorisation à l’élaboration d’œuvres graphiques sur différents supports, ou dédient certains de ceux-ci pour diverses expérimentations.
Enfin, un arrêt de la Cour de cassation d’octobre 2022 mérite une attention en ce qu’il ouvre – peut-être – une brèche si le dessin ou l’inscription défend la liberté d’expression. En l’espèce, un graffeur avait été condamné à une amende pour dégradations légères sur des panneaux publicitaires urbains. Le condamné affirmait : « Il ne s’agit pas de dégradations, car il suffit de nettoyer les panneaux. C’est une forme de liberté d’expression. » La Cour de cassation, tout en rappelant les prohibitions légales, n’en a pas moins affirmé que « la cour d’appel aurait dû rechercher si l’incrimination pénale de ce comportement ne constituait pas une atteinte disproportionnée à la liberté d’expression », faisant entrer dans le débat la possible disproportion dans l’atteinte à la liberté d’expression. Certes le cas d’espèce – peinture (facilement effaçable), mobilier urbain (et non un bien immobilier) et dommage léger (et non important) – n’incite-t-il pas à voir une consécration plus généralisée de la liberté d’expression en la matière, mais la position de la Haute juridiction est novatrice dans la pesée des intérêts en présence (v. Droit[s] et street art, De la transgression à l’artification, LGDJ, 2017).
Enfin, un graff peut être doublement réprimé si, en plus des présentes interdictions légales, il est constitutif, de par ses inscriptions ou représentations picturales, de délits tels que délit d’incitation à la haine raciale, lié à des propos antisémites...
Le collage d’affiches, au même titre que la publicité et les enseignes, s’il ne porte pas la même atteinte que les tags, est strictement réglementé. La loi réprime l’« affichage sauvage », tant sur le domaine public que sur les biens privés, les propriétaires privés, qui disposent librement de leurs biens, ayant le droit d’apposer et de coller tout affichage, sous réserve de ne pas porter atteinte aux bonnes mœurs, de ne pas commettre de délit lié à l’abus d’expression... Dans l’espace public, le maire détermine quels emplacements sont réservés à l’affichage d’opinion, d’activités associatives... des prescriptions pas forcément respectées, telle l’expression par exemple du « street marketing » qui a fleuri il y a quelques années.
B. Violences urbaines en particulier
Le phénomène des violences urbaines est un trait social marquant ayant pris place, en divers points de l’Hexagone, au cœur de l’espace public. On peut les caractériser par l’expression de violences collectives opposant un public souvent jeune aux forces de l’ordre, en butte aussi avec les services publics de secours... en fait avec tout ce qui incarne l’autorité, le pouvoir et les discriminations, réelles ou supposées (v. S. Beaud et M. Pialoud, Violences urbaines, violences sociales, Hachette, 2013). Mais ces violences s’expriment en outre entre bandes rivales, donnant lieu à des scènes d’ultra-violence. Affrontements, dégradations de commerces, de bâtiments publics, incendies, pillages... provoquent la réalisation d’innombrables crimes et délits contre les personnes et les biens, ils sont les lieux de toutes les transgressions des lois et de l’ordre public – d’aucuns parlent de « zones de non-droit », à tort ou à raison –, mettant à mal des droits et libertés publiques tels que la liberté d’aller et venir, le droit à la sûreté, le droit à la propriété paisible, sans compter que dans ces espaces urbains l’expression des droits économiques et sociaux fondamentaux – droit à l’instruction, à la santé, au travail – est déjà parfois relative. En ces lieux, lien social et vivre-ensemble sont mis à mal, et « occuper la rue » prend alors une coloration singulière.
Dans tous les cas, les raisons profondes de ces violences en théâtre urbain demeurent multiples, complexes, échappant à une approche purement répressive, tant les thématiques des jeunes en rupture, relégués, de l’échec scolaire, de la défiance avec les institutions, de la paupérisation, de l’économie parallèle, des discriminations, de l’urbanisation, de la faillite des services publics réduits à la portion congrue quand ils ne disparaissent pas, des défaillances sociales, éducatives et politiques... se heurtent et se superposent.
Sur le terrain social, la tâche est ardue, les professionnels – au premier rang desquels les éducateurs de rue – se doivent de composer avec toutes ces réalités, dans l’accompagnement tant des victimes des violences urbaines que des jeunes souvent en déshérence (cf. « Médiateurs, éducateurs et police de rue : entre confrontation, coopération et méfiance réciproque », Sciences & actions sociales 2022/1, n° 16).