Rue : « Chemin bordé de maisons ou de murailles dans une ville, dans un bourg... » (Littré) ; « voie de circulation routière aménagée à l’intérieur d’une agglomération, habituellement bordée de maisons, d’immeubles, de propriétés closes... » (Larousse)...
La rue est plurielle, protéiforme. On l’emprunte pour se projeter, on y déambule, on y flâne, plus ou moins anonymement. Elle est calme, animée, bondée, possiblement bruyante, sauvage ou ordonnée, lieu de commerce, de célébrations ou de contestations. Elle est traversée en long et en large, crée parfois d’authentiques dédales, sépare les quartiers, concurrence la place et le parvis ; célèbre quand elle est avenue ou boulevard, plus discrète lorsqu’elle est venelle ou impasse, mais toujours affublée de noms.
Cependant, au-delà de la légèreté, voire du romantisme, il est d’autres regards portés. En somme, pas seulement l’œil du badaud, du livreur, de l’artiste... Des regards spécifiques.
Ainsi de l’œil du sociologue, qui pourra s’évertuer à décrypter le harcèlement des femmes dans la rue, les processus de socialisation et tant d’autres. Celui du philosophe, qui aura le loisir d’interroger l’assertion de Rousseau selon laquelle les « villes [et donc la rue] sont le gouffre de l’espèce humaine ». Celui du juriste, conste en expert l’omniprésence de la règle juridique dans la rue, biens et personnes coexistant à travers un maillage de droits et de devoirs très précisément fixés, à l’ombre du sacro-saint ordre public...
L’œil du travailleur social n’est pas en reste. Sa formation, son expérience, ses divers champs d’exercice jalonnés au cours de celle-ci lui procurent un regard à son tour instruit.
Qu’évoque la rue pour le travailleur social ? Quelles préoccupations celle-ci révèle-t-elle ? Quels champs d’intervention et d’action sont pris en considération ? À l’évidence, la rue est objet de toutes les attentions et siège d’une activité soutenue. S’y révèlent d’immanquables phénomènes sociaux, expression de la condition humaine et de l’empilement des vulnérabilités, auxquels les professionnels, qu’ils soient assistant de service social, éducateur spécialisé, et en première ligne ceux en phase directe avec le terrain, sont confrontés dans le cadre de missions définies.
Les thématiques sont vastes. Que ce soit le sans-abrisme, la précarité sociale et l’exclusion, l’enfance dans la rue, ou encore la prostitution, la rue apparaît comme un dénominateur commun.
Sous ce thème de la « rue » seront envisagés ici deux aspects. En premier lieu, l’acte de « vivre dans la rue » (Partie I), au sens le plus fort, convoquant le phénomène du sans-abrisme, observé au travers du triptyque « pauvreté-précarité-exclusion » et de l’hébergement d’urgence, les questions relatives au logement pérenne, soit l’après-rue, et à la santé n’apparaissant pas dans le document. En second lieu, l’acte – multiple – d’« occuper la rue » (Partie II), accueillant les questionnements relatifs au(x) sens donné(s) au fait d’aller et venir, de s’exprimer, de se réunir, de manifester, d’entreprendre dans l’espace « rue », avec toutes les garanties dignes d’un État de droit censées repousser l’arbitraire – où seront convoqués le licite et les droits et libertés publiques, leurs limites, et les faits absolument illicites dans la rue, l’ensemble donnant toujours une place éminente à la notion d’« ordre public ».