Le rapport précité du Conseil économique et social souligne déjà des difficultés relatives aux données statistiques (p. 6). Force est de constater que des décennies plus tard, cette question reste posée, tant par sa complexité – via l’intrication de nombreux paramètres – que par l’absence de données ou des données incomplètes (voir en ce sens, Comité d’évaluation de la stratégie nationale de prévention et de lutte contre la pauvreté, Rapport 2021, qui évoque des « informations parcellaires » [p. 8], des difficultés à évaluer les effets des mesures, ou l’absence d’indicateurs [p. 11]).
A. Plusieurs indicateurs
SALAIRE MÉDIAN
Est considéré comme en situation de pauvreté un individu (ou un ménage) qui vit dans un ménage dont le niveau de vie est inférieur au seuil de pauvreté à 60 % du revenu de vie médian (Conseil national des politiques de lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale, « La pauvreté démultipliée, Dimensions, processus et réponses », mai 2021, p. 47-54).
L’évolution du taux de pauvreté monétaire entre 2019-2020 ne sera pas connue avant mi-2022. D’ores et déjà, le rapport pour 2021 du Comité d’évaluation de la stratégie nationale de prévention et de lutte contre la pauvreté et le Conseil national des politiques de lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale soulèvent quelques questionnements.
« On utilise en France, par convention, le seuil de pauvreté à 60 % du revenu médian (soit 1 063 euros en 2018). Ce qui signifie que si le revenu médian baisse (ce qui risque d’être le cas en 2020, puisqu’un tiers des Français ont connu une diminution de leurs revenus), le seuil de pauvreté s’abaissera aussi, donc mécaniquement le nombre de pauvres englobés : une personne dont la situation monétaire n’aura pas changé pourra, en 2020, paradoxalement sortir de la pauvreté. Dit autrement, il est possible que les chiffres de la pauvreté pour 2020 sous-estiment l’effet de la déflagration économique.
On sait cependant depuis des décennies que la pauvreté n’est pas que monétaire : elle fragilise en particulier les situations de logement, de santé physique et mentale, la vie sociale, l’accès à la culture, aux loisirs et aux vacances, la participation civique... A cet égard, la notion de “précarité”, dont la définition est double, est un complément doublement utile. D’abord, parce qu’en ciblant le “halo de la pauvreté” (qu’on peut globalement situer, en France, entre le seuil de pauvreté en bas, et en haut le seuil de revenu décent, quantifié par l’Observatoire national de la pauvreté et de l’exclusion sociale à au moins 1 424 euros par mois pour une personne seule), elle focalise l’attention sur les personnes en situation de privation et à risque de basculement. Ensuite, parce qu’étant pluridimensionnelle jusque dans le sens commun (“précarité de l’emploi”, “précarité énergétique”, “logement précaire”, “santé précaire”, “équipes mobiles psychiatrie-précarité”...), elle souligne combien la pauvreté dépasse de très loin la seule dimension du revenu. D’où la création, française et européenne, d’indicateurs de “pauvreté en condition de vie”, répartis en quatre domaines (insuffisance des ressources, restrictions de consommation, difficultés liées au logement, retards de paiement) et qui pourraient en 2020 flamber bien plus que le taux de pauvreté lui-même » (A. Brodiez-Dolino, in rapport « La pauvreté démultipliée, Dimensions, processus et réponses », précité, p. 53 et s.).
LES INDICATEURS MIS EN PLACE
Aux termes de l’article L. 115-4-1 du code de l’action sociale et des familles, le gouvernement définit :
- par période de cinq ans ;
- après la consultation des personnes morales suivantes : départements, autres collectivités territoriales, Pôle emploi, maisons de l’emploi, ou, à défaut, les personnes morales gestionnaires des plans locaux pluriannuels pour l’insertion et l’emploi, les établissements publics, les organismes de sécurité sociale ainsi que les employeurs ;
- un objectif quantifié de réduction de la pauvreté, mesurée dans des conditions définies par décret en Conseil d’Etat.
Il transmet au Parlement, chaque année, un rapport sur les conditions de réalisation de cet objectif, ainsi que sur les mesures et les moyens financiers mis en œuvre pour y satisfaire.
L’objectif quantifié de réduction de la pauvreté est suivi au moyen d’un tableau de bord composé d’indicateurs relatifs à 11 objectifs thématiques de lutte contre la pauvreté (CASF, art. R. 115-5) :
1° Lutter contre la pauvreté monétaire et les inégalités ;
2° Lutter contre le cumul des difficultés de conditions de vie ;
3° Lutter contre la pauvreté des enfants ;
4° Lutter contre la pauvreté des jeunes ;
5° Lutter contre la pauvreté des personnes âgées ;
6° Lutter contre la pauvreté des personnes qui ont un emploi ;
7° Favoriser l’accès à l’emploi ;
8° Favoriser l’accès au logement et le maintien dans le logement ;
9° Favoriser l’accès à l’éducation et à la formation ;
10° Favoriser l’accès aux soins ;
11° Lutter contre l’exclusion bancaire.
La liste des indicateurs et leur définition figurent à l’annexe 1-1 du CASF.
Extraits de l’annexe 1-1 du CASF (indicateurs du tableau de bord prévu à l’article R. 115-5 du CASF). Pour les autres objectifs – intitulés selon les domaines concernés (enfants, personnes âgées, emploi, logement, éducation et formation, accès aux soins, exclusion bancaire) –, se reporter aux chapitres 2 et 3.
B. Vers une évolution ?
DÉFINITION DE LA PRIVATION MATÉRIELLE ET SOCIALE
Sur la grande pauvreté, selon le rapport 2021 du Comité d’évaluation de la stratégie nationale de prévention et de lutte contre la pauvreté (p. 14) : « Associer une dimension monétaire avec des ressources inférieures à 50 % du niveau de vie et une pauvreté matérielle et sociale définie par au moins sept privations sur 13 est une des pistes proposées dans le rapport du comité d’évaluation, qui souligne l’importance d’avoir un indicateur validé par l’Insee. » « Un tel indicateur, même s’il ne permettrait pas de prendre en compte des dimensions non mesurables de la pauvreté, serait une avancée importante. »
Selon l’Insee, sont considérés en situation de privation matérielle et sociale les individus qui, par manque de moyens financiers, sont confrontés à au moins cinq difficultés matérielles ou sociales parmi une liste de 13 concernant entre autres les dépenses de logement, d’habillement, d’alimentation et de loisirs.
Ces éléments sont détaillés dans différents rapports (dont celui du Comité d’évaluation de la stratégie nationale de prévention et de lutte contre la pauvreté pour 2021, précité, p. 101).
Etabli en 2017, cet indicateur de privation matérielle et sociale de l’Union européenne est défini comme la proportion de personnes vivant en ménage ordinaire (c’est-à-dire hors logements collectifs et habitations mobiles) incapables de couvrir les dépenses liées à au moins cinq éléments de la vie courante sur 13 considérés comme souhaitables, voire nécessaires, pour avoir un niveau de vie acceptable.
Ces 13 éléments sont les suivants :
- avoir des impayés de mensualités d’emprunts, de loyer ou de factures d’électricité, d’eau ou de gaz ;
- ne pas pouvoir se payer une semaine de vacances par an hors du domicile ;
- ne pas pouvoir se payer un repas contenant de la viande, du poulet ou du poisson (ou l’équivalent végétarien) au moins tous les deux jours ;
- ne pas pouvoir faire face à une dépense imprévue d’un montant proche du seuil mensuel de pauvreté (environ 1 000 euros pour la France) ;
- ne pas pouvoir se payer une voiture personnelle ;
- ne pas pouvoir maintenir le logement à bonne température par manque de moyens financiers ;
- ne pas pouvoir changer les meubles hors d’usage par manque de moyens financiers ;
- ne pas pouvoir se payer des vêtements neufs ;
- ne pas posséder au moins deux paires de bonnes chaussures par manque de moyens financiers ;
- ne pas pouvoir dépenser une petite somme d’argent pour soi sans avoir à consulter quiconque ;
- ne pas pouvoir se retrouver avec des amis ou de la famille au moins une fois par mois pour boire un verre ou pour un repas par manque de moyens financiers ;
- ne pas pouvoir avoir une activité de loisir régulière par manque de moyens financiers ;
- ne pas avoir accès à Internet par manque de moyens financiers.
(1)
Le taux de pauvreté monétaire ancré dans le temps est la proportion de personnes vivant dans des ménages dont le revenu, net des impôts directs par unité de consommation (niveau de vie), est inférieur à un montant équivalent à 60 % du niveau de vie médian de la population, apprécié au début de la période de référence et réévalué les années suivantes en fonction de l’indice des prix à la consommation.
(2)
Le taux de pauvreté monétaire au seuil de 60 % (respectivement 50 % et 40 %) du revenu médian équivalent est la proportion de personnes vivant dans des ménages dont le revenu, net des impôts directs par unité de consommation (niveau de vie), est inférieur à un montant équivalent à 60 % (respectivement 50 % et 40 %) du niveau de vie médian de la population.
(3)
L’intensité de la pauvreté monétaire est l’écart relatif (exprimé en pourcentage du seuil de pauvreté) entre le niveau de vie médian de la population pauvre et le seuil de pauvreté (calculé à 60 % de la médiane du niveau de vie).
(4)
Le taux de persistance de la pauvreté monétaire est la proportion des individus ayant un niveau de vie inférieur au seuil de pauvreté (60 %) pendant plusieurs années consécutives (année courante et au moins deux années sur les trois années précédentes).
(5)
La part des dépenses préengagées dans le revenu des ménages du premier quintile de niveau de vie est la moyenne des parts des dépenses à caractère contractuel et difficilement renégociables à court terme dans le revenu total avant impôt des ménages les plus modestes (notamment paiement du loyer et des autres dépenses de logement, services de télécommunications, frais de cantines, services de télévision, assurances et services financiers, impôts et remboursements de crédits).
(6)
Le taux de difficultés de conditions de vie est la proportion de ménages subissant au moins huit carences ou difficultés de conditions de vie parmi 27 types de difficultés prédéfinies.