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LA FACILITATION DE LA CARACTÉRISATION DE LA CONTRAINTE ET DE LA SURPRISE À RAISON DE LA MINORITÉ DE LA VICTIME

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Conservatisme initial. – La contrainte et la surprise sont des moyens de contourner l’absence de consentement de la victime à l’acte sexuel. Lorsque la victime est mineure, on soupçonne que le consentement peut ne pas avoir été donné de façon libre et éclairée, les capacités de discernement du mineur étant bien différentes de celles d’un adulte.
Pour autant, la Cour de cassation s’est d’abord montrée très conservatrice, en censurant une cour d’appel qui avait déduit « la surprise, malgré la répétition des faits, du seul âge des victimes »(1). Elle refusait donc que l’âge des victimes, pris isolément, suffise à caractériser la surprise, et exigeait que s’y ajoutent d’autres éléments pour la corroborer.
Prise en compte de l’âge par la jurisprudence. – La Cour de cassation a cependant assoupli sa jurisprudence. Dans une affaire où les victimes étaient âgées d’un an et demi et cinq ans, elle a ainsi retenu que « l’état de contrainte ou de surprise résulte du très jeune âge des enfants qui les rendait incapables de réaliser la nature et la gravité des actes qui leur étaient imposés »(2). C’est bien l’âge des victimes, et lui seul, qui les avait nécessairement empêchées d’adhérer à des comportements dont elles ne comprenaient évidemment pas la portée. Comme l’écrit un auteur, « la contrainte ou la surprise peut juridiquement résulter du très jeune âge de la victime, dès lors que l’immaturité qui en résulte la rend incapable de réaliser ce qu’elle subit malgré elle »(3). Dans cette hypothèse, la qualification de viol ou d’agression sexuelle est alors retenue. La jurisprudence la plus récente confirme cette approche. La chambre criminelle a par exemple jugé en 2019 que la différence d’âge entre le prévenu âgé de 48 ans et la victime âgée de 14 ans, ainsi que la situation de précarité familiale et économique de la victime, caractérisaient suffisamment la contrainte au moment des faits(4).
Prise en compte de l’âge de la victime par le législateur. – Au regard de l’émoi suscité par certaines affaires où le consentement d’un jeune mineur n’avait pas été exclu, le législateur est intervenu en créant l’article 222-22-1 du code pénal(5), puis en le modifiant par la loi du 3 août 2018. Son objectif était ici de préciser les éléments d’appréciation de la contrainte morale.
C’est peu dire que le résultat est inintelligible. La loi prévoit ainsi que lorsque les faits sont commis sur un mineur, la contrainte morale ou la surprise « peuvent résulter de la différence d’âge existant entre la victime et l’auteur des faits et de l’autorité de droit ou de fait que celui-ci a sur la victime, cette autorité de fait pouvant elle-même être caractérisée par une différence d’âge significative entre la victime mineure et l’auteur majeur ».
Le texte ne précise pas ce qu’il faut entendre par différence d’âge « significative », en laissant latitude au juge pour en décider, au risque d’enfreindre le principe constitutionnel de légalité des délits et des peines. La rédaction apparaît particulièrement (et inutilement) hasardeuse – et ce n’est pas tout.
Cas particulier des mineurs de 15 ans. – Le législateur a en outre introduit un second alinéa à l’article 222-22-1, pour le cas où la victime a moins de 15 ans. Dans l’objectif de faciliter davantage encore la caractérisation de la contrainte dans cette hypothèse, la loi dispose ainsi qu’elle est « caractérisée par l’abus de la vulnérabilité de la victime ne disposant pas du discernement nécessaire pour ces actes [sexuels] ». Cette rédaction s’écarte de celle préconisée par le Conseil d’Etat dans son avis du 21 mars 2018, qui invitait à l’usage, prudent, du mode conditionnel...
Critique. – On peine à comprendre la portée normative du texte. Il voudrait instituer une présomption de contrainte, mais la condition d’existence de cette présomption est l’abus de la vulnérabilité de la victime. Or un tel abus signe selon nous déjà la preuve de l’intention de contraindre qui anime l’auteur. Le texte ne nous parait donc rien ajouter au droit antérieur. La chambre criminelle parait se ranger à cet avis, puisqu’elle a jugé que ces dispositions avaient une valeur simplement interprétative et non normative, de sorte qu’elles sont immédiatement applicables à des faits commis antérieurement à leur entrée en vigueur(6).
En outre, le fait de reconnaître cette donnée comme élément constitutif de la contrainte morale empêchera son usage au titre de la circonstance aggravante, au nom du principe « Non bis in idem ». La répression risque de s’en trouver affectée, ce qui peut surprendre au regard de la finalité même de ces textes qui visent à renforcer la protection des mineurs victimes de viols incestueux. Il en va de même du nouveau critère d’abus de l’autorité de droit ou de fait, que le législateur avait déjà érigé en circonstance aggravante.
Sous la réserve d’interprétation tenant au principe non bis in idem, le texte a néanmoins été validé par le Conseil constitutionnel, dans sa rédaction issue de la loi de 2010(7).


(1)
Cass. crim., 1er mars 1995, n° 94-85393.


(2)
Cass. crim., 7 déc. 2005, n° 05-81316.


(3)
Y. Mayaud, « Le jeune âge de la victime, facteur de contrainte ou de surprise constitutive d’agression sexuelle », Rev. sc. crim. 2006, p. 319.


(4)
Cass. crim., 4 sept. 2019, n° 18-84334.


(5)
Issu de L. n° 2010-121, 8 févr. 2010.


(6)
Cass. crim., 17 mars 2021, n° 20-86318.


(7)
Cons. const., 6 févr. 2015, n° 2014-448 QPC.

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