A. La liberté de la preuve
1. L’ADMISSION D’UNE MULTITUDE DE MOYENS DE PREUVE
Prévu par l’article 427 du code de procédure pénale, le principe de liberté de la preuve signifie que les infractions peuvent être établies par tout moyen : témoignages, documents, surveillances, interceptions judiciaires, perquisitions... – sans oublier les réponses auto-incriminantes aux questions posées durant la garde à vue. Le juge appréciera les preuves, selon son intime conviction, à la seule condition qu’elles aient été contradictoirement discutées devant lui. Même les preuves obtenues de façon illicite par la victime (ex. : vol d’un document ou mise en place d’un appareil enregistreur à l’insu de l’auteur) sont recevables en justice.
Ce principe classique en procédure pénale trouve bien sûr à s’appliquer en matière d’infractions sexuelles, pour lesquelles il est d’usage de procéder à des expertises psychologiques, psychiatriques, génétiques ou encore téléphoniques et informatiques. Ces dernières sont essentielles en matière de harcèlement ou s’agissant des infractions sexuelles commises par l’usage d’Internet. En matière d’infractions sexuelles, c’est bien généralement la preuve de l’absence de consentement qui soulève des difficultés. Si le législateur a prévu quatre adminicules pour le caractériser (v. infra, Chapitre 3), les parties demeurent libres d’administrer tout mode de preuve au soutien de leurs arguments.
2. LA DIFFICULTÉ PROBATOIRE EN MATIÈRE D’INFRACTIONS SEXUELLES
S’agissant d’infractions par nature intimes, qui ne connaissent bien souvent pas de témoin, leur caractérisation se heurte à des difficultés probatoires majeures. Certes, au cas particulier de violences physiques, la preuve ne pose pas de difficulté dès l’instant que, par leur brutalité intrinsèque, elles laissent des traces sur la victime – à la condition que celle-ci ait porté plainte à temps, ce qui n’est pas toujours pas le cas. En revanche, par hypothèse, ni la contrainte, ni la surprise, ni les menaces verbales ne laissent de traces puisqu’elles opèrent sur la psychologie de la victime – à telle enseigne que le débat se cristallise parfois sur le point de savoir si l’accusé a pu se méprendre sur les intentions de la plaignante.
La victime éprouvera donc d’extrêmes difficultés à rapporter la preuve de son absence de consentement, a fortiori lorsqu’elle connaît l’agresseur, ce qui est très fréquent, voire avait l’habitude d’entretenir des relations sexuelles avec lui. La contrainte, ressentie subjectivement, est difficile à démontrer de façon objective. A titre d’illustration, la chambre criminelle a récemment écarté la qualification de viol entre époux, en se fondant sur les habitudes du couple pour retenir que « les deux relations sexuelles, même si elles ont eu lieu après des disputes, s’inscrivent dans un mode de fonctionnement atypique du couple, traduisent en réalité la volonté de réconciliation des époux »(1).
LA PERSÉVÉRANCE ÉRIGÉE EN PREUVE PÉNALE ?
Une affaire réelle met en lumière ces difficultés probatoires. Ainsi Sabine accuse-t-elle Rachid de l’avoir violée à l’occasion de leur troisième rendez-vous galant, dans un parc d’une banlieue parisienne où ils s’étaient donné rendez-vous. Aucune preuve matérielle de la réalité du viol n’existe. Depuis sa plainte jusqu’au jour du procès, Sabine aura un discours évolutif et partiellement mensonger : de nombreux aspects de son récit sont contredits par les éléments matériels au dossier. A telle enseigne que la cour d’assises jugera « peu crédibles » ses déclarations à l’audience, qui imputent soudainement à Rachid, pour la première fois, de l’avoir entraînée par la force dans le parc avant de la frapper violemment à plusieurs reprises. Pourtant, tout en exposant clairement tenir ce discours pour une invention, la cour condamnera Rachid, au motif essentiel que la persévérance de Sabine, durant de longues années, signerait la preuve de son absence de consentement, et qu’elle aurait inventé les accusations de violences par crainte de ne pas être crue.
Les juges exploiteront alors les indices les plus ténus, qui prêtent le flanc à de nombreuses critiques pratiques et même théoriques. Ainsi en va-t-il du contexte : la situation se prête-t-elle à des relations sexuelles consenties, ou bien celles-ci « détonnent-elles » ? Mais en se fondant sur ce critère, le juge n’impose-t-il pas sa propre conception des relations sexuelles « normales » ? Reste que l’emprise de l’auteur sur la plaignante est de plus en plus prise en considération par les magistrats, comme le signe presque automatique de l’absence de consentement, ce qui pose là encore difficulté. De même, les déclarations de la plaignante seront prises en compte – leur constance, leur caractère circonstancié... C’est pourtant oublier que bien des victimes ont des souvenirs troubles, et restituent leur malheur de façon incohérente... tandis que le mensonge est parfois crédible, construit et constant. Il reviendra souvent à l’expert psychologue examinant la plaignante, la lourde – pour ne pas dire l’impossible – tâche de dire si son discours est « crédible » ou s’il décèle une tendance à l’affabulation. L’attitude lors de l’audience (avec pourtant tout ce qu’elle recèle d’ambivalence) est également déterminante. Enfin, de plus en plus souvent désormais, le simple fait de déposer plainte est érigé en indice significatif de l’absence de consentement. Pourquoi déposerait-elle plainte et s’infligerait-elle une procédure si lourde sans raison ? Raisonner ainsi, on le voit, revient à supprimer la charge de la preuve en matière d’infractions sexuelles...
B. La tenue de l’audience
1. LE DÉROULEMENT DE L’AUDIENCE
En matière d’infractions sexuelles, deux particularités tenant au déroulement de l’audience doivent être soulignées.
Premièrement, aux termes des articles 306 (pour la cour d’assises) et 400 (pour le tribunal correctionnel) du code de procédure pénale, les débats sont en principe publics. Toutefois, le huis clos est de droit s’il est requis par la victime de viol ou de proxénétisme aggravé, celle-ci ayant, à l’inverse, le droit de s’opposer, si elle ne le souhaite pas, à un huis clos qui serait décidé par le président de la juridiction. Le huis clos peut n’être que partiel et limité notamment à l’audition de la victime partie civile qui l’a demandé. Ce choix est réservé à la seule victime, et non à la famille, même partie civile, si la victime est décédée. Par ailleurs, devant la cour d’assises comme devant le tribunal correctionnel, le huis clos est également possible (mais non obligatoire) s’il est demandé afin de garantir « la sérénité des débats » ou « la dignité de la personne » (C. pr. pén., art. 400).
Deuxièmement, la loi du 3 août 2018 a introduit une question subsidiaire obligatoire devant la cour d’assises, à l’article 351 du code de procédure pénale. Ainsi, si l’accusé est mis en accusation du chef de viol aggravé par la minorité de 15 ans de la victime, le président doit nécessairement interroger les jurés sur la qualification subsidiaire d’atteinte sexuelle sur mineur de 15 ans, lorsque l’existence de violences ou d’une contrainte, menace ou surprise a été contestée au cours des débats. Autrement dit, le législateur entend éviter un acquittement pour viol, à raison d’un doute sur l’existence du consentement, sans que la cour ait examiné l’éventuelle requalification en atteinte sexuelle, où l’existence du consentement est indifférente.
2. L’ÉVALUATION DU PRÉJUDICE, PRÉALABLE À SA RÉPARATION
Si l’audience pénale est principalement centrée sur l’action publique, elle est également l’occasion d’examiner l’action civile en réparation du dommage causé par le crime ou le délit. Les différents chefs de préjudices, patrimoniaux et extrapatrimoniaux, soufferts par la victime sont les mêmes que pour n’importe quelle autre infraction.
Quelques remarques s’imposent toutefois : d’une part, sur l’évaluation du préjudice sexuel et, d’autre part, sur l’évaluation du préjudice subi par la victime mineure.
Le préjudice sexuel, consubstantiel à l’idée même d’agression sexuelle, vise notamment à indemniser le préjudice lié à l’acte sexuel lui-même qui repose sur la perte du plaisir lié à l’accomplissement de l’acte sexuel, caractérisé par la perte de l’envie ou de la libido. La jurisprudence tend à l’indemniser entre 6 000 et 20 000 euros, sans qu’il soit nécessaire que la fonction procréatrice ait été altérée. Elle prend notamment en considération « l’âge de la victime au moment de la consolidation », c’est-à-dire de la stabilisation de son préjudice. Son évaluation repose généralement sur des expertises de la victime menées au cours de l’instruction et/ou ordonnées par la juridiction de jugement à l’issue de l’audience, après la condamnation pénale. Dans cette hypothèse, la juridiction ordonnera un renvoi sur les intérêts civils et se prononcera exclusivement sur l’action publique dans l’attente que le préjudice soit évalué (et le cas échéant consolidé).
Enfin, l’article 706-48 du code de procédure pénale prévoit que les mineurs victimes d’infractions sexuelles peuvent faire l’objet d’une expertise médico-psychologique destinée à apprécier la nature et l’importance du préjudice subi et à établir si celui-ci rend nécessaires des traitements ou des soins appropriés.
(1)
Cass. crim., 29 mars 2017, n° 17-80237.