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LES PRINCIPES ESSENTIELS VUS À LA LUMIÈRE DES INFRACTIONS SEXUELLES

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A. La présomption d’innocence

Définitions. – Consacrée par l’article 9 de la Déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen de 1789, par l’article 6, paragraphe 2, de la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales et par l’article préliminaire du code de procédure pénale, la présomption d’innocence est une règle fondamentale aux termes de laquelle l’individu qui n’est pas encore reconnu coupable par un jugement irrévocable est présumé innocent, c’est-à-dire qu’il doit être présenté et traité comme tel.
Elle revêt deux aspects bien distincts. D’une part, elle est un principe d’attribution de la charge de la preuve en vertu duquel il appartient à l’accusation de rapporter la preuve de la culpabilité, faute de quoi l’accusé doit être acquitté au bénéfice du doute. D’autre part, le droit d’être regardé comme une personne innocente est aussi un droit subjectif opposable à tous, prévu à l’article 9-1 du code civil, qui permet à une personne, présentée publiquement comme coupable de faits faisant l’objet d’une enquête ou d’une instruction judiciaire, de saisir le juge afin qu’il prescrive toutes mesures – telles que l’insertion d’une rectification ou la diffusion d’un communiqué par voie de presse – pour faire cesser cette atteinte.
Respect difficile dans l’époque actuelle. – Avec les médias traditionnels déjà, la présomption d’innocence n’était pas (et n’est pas) systématiquement respectée. Ainsi peut-on douter que l’emploi du conditionnel dans le grand titre d’un journal (« X aurait violé Y ») suffise à préserver la personne accusée de la détérioration de son image aux yeux des lecteurs. Et le procès en diffamation lui-même tourne bien souvent au désavantage du diffamé. Mais au moins les journalistes de métier s’abstenaient-ils de présenter clairement comme coupables les personnes au sujet desquelles ils écrivaient – tant par déontologie que par crainte de poursuites à leur encontre.


PRÉSOMPTION D’INNOCENCE ET EXCLUSION D’UNE ÉCOLE

Le respect de la présomption d’innocence est une obligation qui incombe à tous, mais qui doit parfois être conciliée avec d’autres exigences. Il en va par exemple ainsi du droit du public à l’information dite « d’intérêt général », lorsque le mis en cause est une personnalité, notamment politique. Il en va de même des autorités qui exercent un pouvoir de surveillance ou hiérarchique sur les mis en cause. Un employeur peut-il et/ou doit-il sanctionner – c’est-à-dire bien souvent licencier – un employé accusé d’infractions sexuelles, alors que l’enquête est en cours ? L’exemple (réel) de Maxime est édifiant. Alors qu’il est inscrit en dernière année d’études au sein d’une école de commerce, une plainte pour viol est déposée à son encontre par une autre étudiante de la même école. Alors que l’enquête est secrète et toujours en cours, Maxime est convoqué en conseil de discipline puis exclu de l’école, à quelques semaines de l’obtention de son diplôme...
Avec l’émergence des réseaux sociaux et la multiplication des individus susceptibles de commenter sur Internet un fait divers, les personnes visées ne peuvent, sauf exception, trouver aucun secours ni dans un système judiciaire dépassé, ni chez les hébergeurs de contenus en ligne, qui refusent de consacrer des moyens suffisants à ce qu’ils appellent parfois des « tentatives de censure ». Le résultat est qu’un nom lâché sur Twitter génère parfois des conséquences irréversibles pour des personnes censées bénéficier de la présomption d’innocence.
Remise en cause par le législateur. – Ce principe essentiel en procédure pénale a néanmoins fait l’objet de débats en matière d’infractions sexuelles. En réponse à deux affaires médiatisées d’infractions commises sur des mineurs, ayant profondément ému l’opinion publique, le gouvernement a annoncé son intention de renforcer l’arsenal répressif existant par la « création d’une présomption irréfragable de non-consentement attachée à un seuil d’âge pour les mineurs, puis par la création de nouvelles infractions dont l’une qualifie de viol tout acte de pénétration sexuelle commis par un majeur sur un mineur de 15 ans dès lors que l’auteur “connaissait ou ne pouvait ignorer l’âge de la victime” »(1).
La création d’une présomption « irréfragable » de non-consentement prive la personne poursuivie de la possibilité d’apporter la preuve contraire, c’est-à-dire de prouver que la victime présumée était en réalité consentante à l’acte sexuel. Le Conseil d’Etat s’est prononcé défavorablement sur cette proposition, estimant qu’une telle présomption soulève de « sérieuses objections » en raison de son incompatibilité avec la jurisprudence du Conseil constitutionnel qui, en dehors du champ contraventionnel, n’admet qu’à titre exceptionnel l’existence de présomptions de culpabilité en matière répressive(2). En effet, le Conseil constitutionnel n’admet les présomptions de responsabilité pénale qu’à condition « qu’elles ne revêtent pas un caractère irréfragable, qu’est assuré le respect des droits de la défense et que les faits induisent raisonnablement la vraisemblance de l’imputabilité »(3). Par conséquent, il censure les lois instaurant une présomption irréfragable de culpabilité(4).
Quant à la Cour européenne des droits de l’Homme, si elle admet les présomptions de culpabilité, l’article 6, paragraphe 2, de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme commande aux Etats d’enserrer ces présomptions « dans des limites raisonnables prenant en compte la gravité de l’enjeu et préservant les droits de la défense »(5). La Cour de cassation les admet aussi dès lors qu’elles « réservent la possibilité d’une preuve contraire et laissent entiers les droits de la défense »(6), ou enfin « que les présomptions ne portent pas atteinte aux droits de la défense, ni au principe de la présomption d’innocence »(7).
En cet état, l’instauration d’une présomption irréfragable de non-consentement paraissait difficilement envisageable en droit français. C’est pourtant ce que le législateur, saisi d’un projet de loi par le gouvernement, a finalement fait implicitement, en créant de nouvelles infractions qui instaurent une véritable présomption irréfragable de non-consentement pour certaines hypothèses de relations sexuelles intervenues entre majeurs et mineurs de 15 ans. Il sera revenu en détail infra sur cette évolution majeure (v. infra, Chapitre 4).


B. La prescription en matière pénale

Définition et fondements. – Au cours de ces mêmes débats, la question de la prescription s’est posée. Pour mémoire, la prescription est un mode d’extinction de l’action publique résultant du non-exercice de celle-ci à l’issu du délai fixé par la loi. Elle se justifie traditionnellement par les intérêts de paix et de tranquillité sociale, par la perte du caractère rétributif de la peine dans la mesure où le danger social se serait estompé, par la volonté de sanctionner la négligence des autorités judiciaires – la société ayant en quelque sorte perdu son droit de punir parce qu’elle ne l’a pas exercé en temps voulu et par la disparition des preuves. Elle constituerait même un moyen de politique criminelle de nature à dissuader le coupable de s’exposer à nouveau en commettant une autre infraction.
Ces fondements, plus ou moins convaincants, ont toutefois perdu de leur acuité et de leur acceptabilité sociale. Les progrès scientifiques, par exemple, permettent d’écarter la justification tenant au dépérissement des preuves et au risque subséquent d’erreur judiciaire.
Récentes réformes. – Dans ce contexte, et là encore en réaction à des affaires judiciaires médiatisées, le législateur s’est saisi de la question par trois interventions successives avec les lois n° 2017-242 du 27 février 2017 – portant réforme de la prescription en matière pénale –, n° 2018-703 du 3 août 2018 – renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes – et n° 2021-478 du 21 avril 2021 – visant à protéger les mineurs des crimes et délits sexuels et de l’inceste.
Premièrement, ces textes ont opéré un allongement significatif du délai de prescription, de sorte que désormais les crimes se prescrivent par 20 ans, les délits par six ans, et les contraventions – plus rare en matière sexuelle – par un an. Ces délais de prescription sont même spécifiquement allongés pour certaines infractions sexuelles si la victime est mineure.
Deuxièmement, ces textes ont maintenu le point de départ différé du délai de prescription pour les infractions sexuelles commises sur une victime mineure. Rappelons que, sauf exception (i.e. les infractions dites « dissimulées » ou « occultes », qu’on trouve essentiellement en droit pénal des affaires), le délai de prescription commence à courir au jour où l’infraction est consommée. Par dérogation, toutefois, lorsque les faits ont été commis sur une victime mineure, la prescription commence à courir au jour de sa majorité. Le législateur s’efforce sans doute de prendre en considération les difficultés liées à la libération de la parole d’un enfant – surtout si ces actes ont été perpétrés ou cautionnés par des personnes de son entourage ou exerçant une autorité sur lui – et les difficultés liées au phénomène du refoulement. En revanche, sur ce point, la Cour de cassation a récemment refusé de considérer l’amnésie traumatique comme un obstacle de fait insurmontable et assimilable à la force majeure, ayant pu suspendre le délai de prescription(8).
Enfin, ils ont introduit une forme de « relais de prescription » en cas d’infractions sexuelles connexes par un même auteur, de sorte que la prescription démarre au jour de la dernière infraction commise, même sur une autre victime.
Principaux délais. – S’agissant des crimes de viol sur mineurs, l’action publique se prescrit par 30 ans à compter de la majorité de ces derniers. Toutefois, en cas de commission avant l’expiration de ce délai d’une nouvelle atteinte sexuelle sur un autre mineur par le même auteur, le délai de prescription est prolongé jusqu’à la date de prescription de la nouvelle infraction.
Pour les délits d’agression sexuelle, de proxénétisme, de recours à la prostitution, de corruption de mineurs, d’atteinte sexuelle sur mineurs, l’action publique se prescrit par 10 ans à compter de la majorité de ces derniers. Pour les délits d’agression sexuelle, de proxénétisme et d’atteinte sexuelle aggravée sur mineurs de 15 ans, l’action publique se prescrit par 20 ans. Là encore, toutefois, en cas de commission avant l’expiration de ce délai d’une nouvelle atteinte sexuelle sur un autre mineur par le même auteur, le délai de prescription de la première infraction est prolongé jusqu’à la date de prescription de la nouvelle infraction.
Perte de sens ? – On le voit, le délai de prescription français permet désormais de punir un viol jusqu’à 48 ans après qu’il a été commis. Cette durée appelle à interroger la notion même de « prescription » : présente-t-elle encore un sens et veut-on en maintenir le principe, si c’est pour aussitôt le vider de sa substance ? Avec la libération de la parole et le développement de la technologie, qui permet parfois d’administrer la preuve d’un comportement des dizaines d’années plus tard, il semble que nos sociétés acceptent de moins en moins que certains crimes échappent à la sanction, même après l’écoulement d’un temps long. Sans doute la solution actuelle paraît-elle quelque peu hypocrite, avec le maintien d’un délai de prescription qui, au moins pour les crimes sexuels commis sur mineur, apparaît peu opérant.


(1)
Rapp. Sénat n° 589, par Mme Marie Mercier, session 2017-2018, fait au nom de la commission des lois, déposé le 20 juin 2018.


(2)
CE, avis, 15 mars 2018, n° 394437.


(3)
Cons. const., 16 juin 1999, n° 99-411 DC.


(4)
Cons. const., 10 mars 2011, n° 2011-625 DC.


(5)
CEDH, 7 oct. 1988, aff. 10519/83, Salabiaku c/ France.


(6)
Cass. crim., 6 nov. 1991, n° 91-82211 ; Cass. crim., 9 avr. 1992, n° 91-80672.


(7)
Cass. crim., 26 oct. 1994, n° 94-81526.


(8)
Cass. crim., 17 oct. 2018, n° 17-86161.

SECTION 1 - INFRACTIONS SEXUELLES ET PROCÉDURE PÉNALE

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